Si les Nations unies ont fait de l’année 2008, l’année internationale de la pomme de terre, c’est parce que ce tubercule pourrait permettre à l’humanité d’échapper à la famine et à la crise alimentaire. En Algérie, il est désormais question de production de semences in vitro. Pour en savoir davantage sur cette culture aux moult avantages nous nous sommes rapprochés des techniciens de Ceviagro qui envisage dans un proche avenir la production de ces fameuses semences.
Liberté : Les qualités nutritionnelles de la pomme de terre et sa culture facile font aujourd'hui, voire en plein crise alimentaire mondiale, dire aux chercheurs que le tubercule le plus célèbre pourrait sauver le monde. Il y en a même qui vont jusqu'à préconiser de manger de la pomme de terre le plus souvent possible, qu'en pensez-vous ?
Yamina Merzouki : Ce ne sont pas seulement les qualités nutritionnelles qui font consommer la pomme de terre à un grand nombre de personnes dans le monde. Certes, la pomme de terre est un aliment presque complet, consistant mais aussi qui ne coûte pas cher et dont le cycle végétatif est de 4 mois seulement. Avec la croissance de la pauvreté liée à la démographie entre autres, la population mondiale pauvre se tourne vers les aliments les moins coûteux. L’année dernière, les Nations unies par le biais de la FAO ont déclaré le 14 décembre 2008 Journée mondiale de la pomme de terre. Mais ne croyez pas que c’est une culture facile. La culture d’un hectare de pomme de terre avec l’achat des semences, des produits phytosanitaires et les engrais revient cher, et en dehors de la culture familiale et des jardins d’amateurs pour lesquels on ne demande pas de performance de rendement, elle demande une technicité et beaucoup de travail. Par ailleurs, la pomme de terre est un féculent, avant tout connu pour ses propriétés rassasiantes. C’est un légume idéal pour une alimentation équilibrée.
La valeur calorique pour 100 gr de pommes de terre est de 85 kcal (frites : 280 kcal et chips : 570 kcal). Par comparaison, la valeur calorique du riz est de 87 kcal et celle des pâtes de 114 kcal. Elle contient 70 à 80 % d'eau. Elle est précieuse par ses ressources en hydrates de carbone (glucides rapidement disponibles), elle est riche en fibres alimentaires (2 g/100 g) ; ce qui présente un intérêt au niveau du transit intestinal et sur le métabolisme (une ration de 300 g couvre 15 à 25% des besoins quotidiens). Elle contient 2 % de protéines dont les équivalences concernent les acides aminés essentiels. La pomme de terre est riche aussi en vitamines (C, B1, B3 et B6). La pomme de terre fournit également une bonne quantité de minéraux, notamment du magnésium, nécessaire au système nerveux et musculaire, et du fer, qui manquent souvent à notre alimentation. Elle contient une quantité relativement importante de protéines pour un légume (2 g/100 g). Celles-ci se trouvent essentiellement dans la pulpe, juste en dessous de la peau.
Donc évitez de l'éplucher, grattez juste un peu la peau quand c'est possible. Enfin, la pomme de terre est une bonne source de fibres (2 g/100 g), qui contribue au bon fonctionnement du transit intestinal. Dans tous les cas, notez qu'une pomme de terre primeur est plus riche en vitamines et minéraux, et qu'une cuisson vapeur permet de préserver et donc de bénéficier au maximum de ses atouts nutritionnels.
Après avoir été de grands consommateurs de céréales les habitudes alimentaires des Algériens ont basculé et penchent pour une consommation tout aussi importante de la pomme de terre. Par quoi expliquer ce phénomène ? Est-ce le motif qui a poussé les chercheurs algériens à se libérer de la dépendance en optant pour la multiplication et la culture in vitro de la pomme de terre ?
Les Algériens n’ont pas basculé comme ça du jour au lendemain vers la consommation accrue de la pomme de terre. D’ailleurs ils consomment toujours autant de céréales même si ce n’est plus du couscous, c’est du pain ! La consommation de la pomme de terre a connu une croissance réelle avec le boum démographique, le travail des femmes qui les pousse à préférer une cuisine rapide – il est plus facile de faire des frites que de préparer un couscous – il y a aussi le fait qu’une grande partie de la population laborieuse des villes déjeune à midi dehors. Il faut reconnaître le fait qu’un repas à la pomme de terre est consistant tout en restant à un prix abordable. La pomme de terre associée au lait constitue un repas complet. La pomme de terre associée aux œufs constitue un bon repas ! Il y a là un avantage au moins de prix par rapport aux autres plats de légumes et a fortiori de viande. Il est indéniable que la pomme de terre est un aliment qui prend de plus en plus de place dans la nutrition de l’humanité et qu’en Algérie, du fait même de la courte durée de son cycle de production comme du fait des rendements qu’il est possible d’obtenir sur un hectare qui sont beaucoup plus avantageux que ceux que nous avons sur une même surface avec les céréales, la pomme de terre va de plus en plus constituer avec le lait entre autres l’aliment des Algériens. L’aliment le moins cher également. Il faut le dire. C’est pourquoi tous les gouvernements accordent une importance capitale à cette culture. Pour ce qui est de sa culture, l’Algérie produit la totalité de ses besoins de consommation depuis 1986. La semence seule est importée presque en totalité. Comme vous le savez il y a trois périodes de production pour la pomme de terre : le printemps pour la pomme de terre de saison, le début de l’automne pour l’arrière-saison et l’hiver pour la primeur. La grande partie de la culture concerne la pomme de terre de saison dont la production commence déjà en fin février et peut aller jusqu’en début juin. Comme je l’ai dit, la semence est importée d’Europe principalement, toujours vers décembre pour une quantité de 80 000 à125 000 tonnes. Comme pour les cultures d’arrière-saison et de primeur, dont les superficies sont moindres, nous n’importons pas de semences, par ces quantités importées en décembre et qui sont destinées à produire de la pomme de terre de consommation, il est inclus dans une proportion de 10% des semences de multiplication qui seront semées par des multiplicateurs sous la surveillance des services techniques de l’administration agricole et qui produiront les semences d’arrière-saison et de primeur. Rendez-vous compte donc que pour la totalité de notre production de pomme de terre, ce produit alimentaire dont nous venons de dire l’importance capitale dans l’alimentation de la majeure partie de la population, nous sommes totalement dépendants de l’étranger en matière de semences ! Cela veut dire entre autres qu’à la moindre perturbation du circuit, nous avons, dans notre pays, une crise alimentaire profonde. Et c’est ce qui s’est passé en 2006 lorsque la pomme de terre était devenue introuvable et que les prix au kilo avoisinaient les 150 DA. C’est pourquoi notre projet de production de semences de pomme de terre traduit la volonté de M. Issad Rebrab, président de Cevital de sortir notre pays de ce type de dépendance. C’est ainsi que notre entreprise Ceviagro a été amenée à prendre en charge la question et à concevoir un projet capable de produire la totalité des besoins de notre pays en semences de pomme de terre saines et même des quantités supplémentaires qui seront exportées vers d’autres parties du monde où les besoins se feront sentir.
En quoi consiste exactement ce projet ? Quels sont les avantages liés à la création de laboratoires nationaux ? Quels sont les risques liés à pareil projet ?
La culture in vitro contribue à solutionner les problèmes parasitaires. Elle joue aussi un rôle croissant dans l’établissement des schémas de production de plants de pomme de terre notamment via l’utilisation des vitro-tubercules et des vitro-plants. Plusieurs raisons plaident en faveur de l’emploi de ce matériel végétal pour l’obtention des semences exemptes d’agents pathogènes, transport et stockage aisés, multiplication rapide. Notre projet comporte la création d’un laboratoire de multiplication de tissus qui nous permet à partir d’un matériel végétal de très haute qualité d’obtenir des vitro-plants. La culture de ces derniers sous serre dans des conditions d’hygiène très particulières aboutit à la production de mini-tubercules qui eux mêmes subiront plusieurs multiplications avant d’arriver à la production de semences dites Élite qui est la semence que nous comptons mettre à la disposition des agriculteurs qui produisent la pomme de terre de consommation. Nous avons depuis deux années déjà acquis l’expérience de culture sous serre des vitro-plants que, faute de laboratoire nous avons directement importés du Canada et nous avons capitalisé une bonne expérience et un savoir-faire en la matière. Cette année nous poursuivons le processus de production mais en même temps nous avons finalisé l’étude de création de notre propre laboratoire de culture de tissus et de production de vitro-plants. Ce laboratoire qui sera unique en Algérie pour son haut niveau de perfectionnement sera réalisé par un staff composé d’un bureau d’études international qui a réalisé les meilleures installations du genre aux États-Unis et en Europe. Dans ce staff, nous avons également un professeur de l’université algérienne dont les travaux en la matière sont connus. Il faut noter que parallèlement à la mise en place physique de ce laboratoire d’une superficie d’environ 1 000 m2 et qui sera opérationnel avant de l’année 2010, il y a tout un programme de formation des personnels scientifiques qui est entrepris. Ce laboratoire permettra de produire les vitro-plants pour la pomme de terre mais également pour la fraise et d’autres espèces comme l’olivier et le palmier-dattier.
La production de semences en Algérie aboutira-t-elle à l'autosuffisance ?
Nous comptons avec la production de mini-tubercules que nous avons entamée en 2009 arriver en décembre 2011 à mettre à la disposition des agriculteurs toutes les quantités de semences Elite et Super Elite dont ils auront besoin. Il reste entendu que dans ce processus de production de pomme de terre de multiplication, pour les deux derniers stades qui demandent de grandes superficies, nous ferons appel aux multiplicateurs professionnels. Mais en ce qui nous concerne, la promesse de notre président du groupe Cevital, M. Issad Rebrab, est d’assurer à terme l’autosuffisance en matière de production de semences de pomme de terre de haut potentiel sera tenu dès décembre 2011. Rendez-vous est pris !
La pomme de terre est actuellement la 4e production agricole mondiale derrière le maïs, le blé et le riz. Ses teneurs dites insoupçonnées en minéraux et en vitamines pourraient-elles un jour lui valoir un meilleur classement ?
Je vous l’ai dit au début, la pomme de terre a attiré l’attention des gouvernements et des instances internationales comme la FAO parce qu’elle constitue un aliment complet qui peut s’obtenir dans des délais courts de 90 à 120 jours contre une durée de cycle végétatif double pour le blé. Vous savez aussi qu’un hectare de blé donne sous nos horizons presque 50 quintaux à l’hectare lorsqu’un hectare de pomme de terre peut nous procurer au moins 250 quintaux. Le calcul est vite fait. Le développement de la pomme de terre se présente aujourd’hui comme l’un des moyens de lutte contre la famine et la pauvreté. Ce n’est donc pas ou pas seulement pour sa richesse que la pomme de terre progresse.
