Le difficile réveil du contre-pouvoir

 

Le difficile réveil du contre-pouvoir

le 14.03.14 | 10h00

| © photo : H. Lyes
 

Ils sont étudiants, militants politiques ou chômeurs. Depuis le début du mois,  manifestations, marches et sit-in se succèdent pour exprimer leur refus d’un 4e mandat. Une forme inédite de mobilisation encore balbutiante mais pleine de promesses. A sa tête : une nouvelle génération qui cherche à se faire une place.

Quelques pancartes qui s’élèvent. Des slogans déterminés qui claquent. Des regards assassins échangés avec les policiers en surnombre. Et puis la dispersion. Les berlines lustrées qui viennent ramasser les chefs de parti au milieu de l’attroupement. Le premier rassemblement du front du boycott, mardi dernier, n’a pas attiré les foules. Le sit-in des universitaires, hier matin, à Bouzaréah n’a pas non plus mobilisé comme il aurait dû. Mais ils s’ajoutent à la longue liste des manifestations (voir infographie ci-contre) qui s’organisent quasiment chaque jour. Et qui dessinent depuis quelques semaines  les contours d’une forme inédite de mobilisation que l’on croyait à jamais assoupie. «Comme s’il y avait eu une transmission des expériences de mobilisation collective passées, relève l’historienne Malika Rahal. On voit aussi chez les manifestants de Barakat un plaisir lié à l’action collective. Tout cela est peut-être le germe de quelque chose ?» Plusieurs indices indiquent en tout cas que la contestation de 2014 est très différente de toutes celles qui l’ont précédée.


La contestation de la société civile est portée par une nouvelle génération


Sid Ali Kouidri Filali de Barakat ? 35 ans. Achour Oudjdi, membre du mouvement étudiant de Béjaïa ? 23 ans. Youcef Baaloudjd, écrivain journaliste qui fait le buzz sur les réseaux sociaux ? 25 ans. «Il y a eu la génération de nos parents et de nos grands-parents qui a fait la guerre. Et puis la nôtre, celle d’après-l’indépendance, qui a fait l’université, parfois en France, et qui ambitionnait de prendre le pouvoir, pas uniquement politique, d’ailleurs, résume le politologue Abdelaziz Djerad. A nous, la génération d’avant a dit : « Si vous voulez participer, c’est avec nous, mais pas sans nous. Cette génération qui s’exprime aujourd’hui n’a plus les mêmes repères. Elle est très présente sur les réseaux sociaux, parle plusieurs langues, regarde les télés du monde entier. Elle va s’inscrire, pour trouver sa place, dans une période de transition qui peut durer, au cours de laquelle elle va revendiquer plus de libertés.» Pour Malika Rahal, cette génération est sans conteste celle d’Octobre 88. «Ceux qui manifestent aujourd’hui rongent leur frein depuis des années parce que l’Etat, le secteur économique ou culturel, qui aurait dû les amener progressivement à prendre des responsabilités ne l’ont pas fait. Maintenant, ils cherchent une modalité d’expression sur la scène politique.» Et cette expression se manifeste aussi dans la classe politique. Le sociologue Noureddine Hakiki estime par exemple que les crises que traverse le système, «celle du FLN ou encore les attaques de Saadani contre Toufik» sont les signes d’une mutation. «Les symptômes que le système est en train de changer de génération, de passer d’un âge à un autre. Ce qu’il n’a pas pu faire faute d’avoir formé les ressources humaines et intellectuelles pour se renouveler.»


La société civile refuse l’aide des partis politiques


Alors qu’en 2011, les militants de la Coordination pour le changement et la démocratie manifestaient aux côtés du RCD, ceux de Barakat en 2014, ne veulent pas entendre parler des partis politiques «qui ont échoué dans leur mission». Tarik Mira, de l’Initiative pour la refondation démocratique, ne s’en étonne pas. «J’ai toujours soutenu que le peuple algérien se méfie de la chose partisane — et non pas la chose politique. Les partis politiques, à cause de leur échec à créer l’alternative, de leur fonctionnement interne, sont des contre-exemples de pratique politique.» Une réalité que nuance Ratiba Hadj Moussa. La sociologue y voit «une coalition informelle où les partis politiques et les associations se sont donné le même mot d’ordre. Ce ne sont, certes, pas les mêmes partis de l’opposition (RCD, FFS, MDS), mais d’autres partis, nouveaux dans l’échiquier politique, qui semblent accompagner le mouvement».


Les Algériens de la diaspora appuient la contestation


Les Algériens ne manifestent pas seulement à Alger mais aussi à Paris (22 mars) et à… Montréal et Montréal. Ratiba Hadj Moussa souligne : «L’appui des Algériens est un aspect nouveau et ses effets sont encore méconnus. Mais si on se fie aux autres expériences des pays maghrébins voisins, il peut s’avérer important, ne serait-ce que dans la circulation de l’information et l’appui logistique. Je crois qu’on peut parler de solidarité diasporique comme cela a été pour le cas des derniers événements au M’zab.»


Les partis démocrates et islamistes discutent à nouveau ensemble


Le sociologue Nacer Djabi estime que les réunions et les positions communes exprimées par les partis islamistes (MSP, Ennahda, Al Adala…) et les partis démocrates (RCD, Jil Jadid…) met fin «à la logique en vigueur depuis des années». Une analyse que ne partagent ni Ali Brahimi (voir interview page suivante), ni Abdelaziz Djerad. Ce dernier qualifie cette alliance de «très conjoncturelle, pour s’opposer coûte que coûte au 4e mandat. J’aimerais aussi que les différences idéologiques s’effacent pour faire émerger un modèle de société acceptable par tous, mais je doute que cette union ne résiste au-delà du 17 avril». Et Nacer Djabi d’insister : «Depuis l’accord FIS-FFS à Sant’Egidio en 1995, on n’avait pas vu ça ! Or, nous avons aujourd’hui des partis politiques, appartenant à des familles politiques opposées, qui ne partent même pas ensemble aux enterrements, qui se retrouvent et qui tombent d’accord sur des points particuliers. Car il ne se s’agit pas d’être d’accord sur tout : il suffit pour cela de regarder l’exemple tunisien de la troïka.»


Les revendications se sont trouvé un objet commun de refus


«En 2011, on disait toujours que les Algériens, contrairement aux Tunisiens ou aux Egyptiens, n’avaient pas de cible identifiée : en cause, la nature tellement complexe, bicéphale diront certains, du pouvoir algérien, relève un ancien ministre. Demander le changement pour la démocratie ? Bof, ça ne marche pas trop. Mais se trouver un ‘‘ennemi’’, en l’occurrence le 4e mandat, c’est très fédérateur.» Noureddine Hakiki confirme : «La contestation s’inscrit dans le rejet, non plus dans la demande de changement. Et ce rejet du 4e mandat est en réalité un rejet du système tout entier. Je vois dans Barakat, d’ailleurs, des similitudes avec les mouvements altermondialistes, anticapitalistes, nés de l’expression d’un même ras-le-bol.»

Quel avenir prédire à cette nouvelle mobilisation ? Ratiba Hadj Moussa relève qu’à la différence de l’expérience tunisienne — l’UGTT avait soutenu la protestation à Redeyef et Gafsa — la contestation en Algérie reste tout de même «désorganisée». «Elles sont structurellement très faibles et il n’existe pas de structure pour assurer la coordination des revendications. L’opposition se cherche et se cherchera pendant longtemps. Il faut du temps et de la mémoire pour construire du nouveau.» Mais la sociologue souligne qu’il ne faut pas sous-estimer le caractère «spontanée, pacifique et citoyen» de la mobilisation. «Ces contestataires se donnent le droit d’être des citoyens comme si c’était la dernière chose qui leur restait. C’est assez remarquable. Ils s’exposent dans l’action.» Une particularité que souligne aussi Tarik Mira.

«L’opposition au 4e mandat mobilise davantage car, au-delà du politique, il s’attaque au sentiment de dignité humaine. Les Algériens n’aiment pas être la risée du monde. Il peut s’élargir rapidement en agrégeant les partisans de l’idée du refus du système dans sa globalité.» Comme l’a résumé sur les ondes de Radio M Ihsane El Kadi, membre de l’Initiative civique pour le respect de la Constitution, qui, en 2008, s’opposait à l’amendement du texte pour déverrouiller le nombre de mandats : «Est-ce que Barakat peut faire dérailler le processus Bouteflika IV ? La réponse est clairement non. Mais on peut sans doute percevoir ce mouvement comme le début de quelque chose de différent, capable de changer, donner et faire en sorte que l’opinion populaire pèse dans le jeu.»

Mélanie Matarese


14/03/2014
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