351-ACTUALITES du SAMEDI 17-12- 2011
Nouveaux heurts au Caire, le Premier ministre parle de "contre-révolution"
le 17.12.11 | 09h23
De violents affrontements ont repris samedi entre manifestants hostiles au pouvoir militaire et forces de l'ordre au Caire au lendemain de heurts sanglants, le Premier ministre Kamal el-Ganzouri évoquant un risque de "contre-révolution".
Le bilan des accrochages de vendredi qui s'étaient poursuivis jusque tard dans la nuit devant le siège du gouvernement dans le centre du Caire "est passé à huit morts et 299 blessés", a déclaré l'adjoint du ministre de la Santé, Adel Adaoui.
Ces violences sont les plus graves depuis celles qui avaient fait 42 morts, principalement au Caire, entre manifestants anti-armée et forces de l'ordre, fin novembre avant le début le 28 novembre des premières législatives depuis la chute de Hosni Moubarak en février, chassé par une contestation populaire.
Les forces de l'ordre ont repris le contrôle samedi tôt le matin des abords du siège du gouvernement. D'importants effectifs de soldats et de policiers ont barré les accès à ce secteur, en déployant notamment des barbelés, à quelques centaines de mètres de la place Tahrir, épicentre de la contestation.
Mais après quelques heures de calme, des heurts ont repris, avec des groupes de manifestants jetant des pierres et des cocktails Molotov, selon un journaliste de l'AFP sur place. Des hommes en civil leur jetaient des pierres et des bouteilles enflammées depuis des toits d'immeubles.
Des flammes s'échappaient également d'un bâtiment du ministère des Transports situé dans le secteur, ainsi que d'un autre bâtiment public.
Le Premier ministre a fait état de 18 blessés par balles, mais a assuré que "ni l'armée ni la police n'ont ouvert le feu" sur les manifestants.
"Ceux qui sont à Tahrir ne sont pas les jeunes de la révolution", a affirmé M. Ganzouri, en allusion à la révolte qui a débouché sur la chute du régime Moubarak.
"Ce n'est pas une révolution, mais une contre-révolution", a-t-il ajouté en mettant les violences sur le compte d'"éléments infiltrés" qui "ne veulent pas de bien à l'Egypte".
Les affrontements avaient débuté vendredi matin entre les forces de l'ordre et des manifestants qui campaient depuis fin novembre devant le siège du gouvernement pour protester contre la nomination par l'armée de M. Ganzouri, qui fut déjà chef du gouvernement sous M. Moubarak.
Les manifestants réclament également la fin du pouvoir militaire qui s'est mis en place au départ de M. Moubarak, et s'en prennent en particulier au chef de l'armée et chef de l'Etat de fait, le maréchal Hussein Tantaoui.
Le pouvoir militaire a rendu les manifestants responsables de la violence, dans un communiqué publié la veille, les accusant d'avoir lancé des cocktails Molotov et tiré à la chevrotine.
"Même si le sit-in était illégal, doit-il être dispersé d'une manière aussi sauvage et brutale, qui constitue une plus grande violation de la loi et de l'humanité?" s'est indigné Mohamed ElBaradei, candidat potentiel à la présidentielle, sur twitter.
Le parti de la Liberté et de la Justice (PLJ), issu des Frères musulmans, en tête des élections législatives en cours, a condamné "l'agression contre les manifestants et la tentative de les disperser", appelant l'armée à assurer leur protection.
L'élection de la chambre des députés (Assemble du peuple) qui s'est ouverte le 28 novembre et doit encore se poursuivre jusqu'en janvier s'est traduite par une large domination des formations islamistes au détriment des partis libéraux et des mouvements issus de la révolution.
Une première phase du scrutin, dans un tiers du pays, avait donné 65% des voix aux partis islamistes dans leur ensemble, dont 36% pour les Frères musulmans et 24% pour les fondamentalistes salafistes.
Les indications préliminaires sur le vote dans un deuxième tiers de l'Egypte donnent également ces deux courants largement en tête.
AFP
Anniversaire du printemps arabe: à Sidi Bouzid: les précurseurs de la révolution broyés par la grande Histoire
le 13.12.11 | 09h37
Un vendeur ambulant, une policière, une altercation. C'est ainsi que commence le 17 décembre 2010 à Sidi Bouzid la révolution tunisienne, qui déclenchera ensuite "le printemps arabe". Les protagonistes de cette journée historique, eux, ont été broyés.
Le 17 décembre en fin de matinée, une dispute oppose Mohamed Bouazizi, 26 ans, vendeur ambulant non autorisé, et Fayda Hamdi, agent municipal de 45 ans, qui lui confisque sa marchandise. Deux heures plus tard, le jeune homme s'immole par le feu devant la préfecture de Sidi Bouzid, et les premières manifestations commencent.
Aujourd'hui, les mémoires s'opposent et se déchirent dans cette ville du centre-ouest du pays toujours ravagée par le chômage et la pauvreté qui ont déclenché la révolution il y a un an.
Fayda Hamdi a repris le travail en octobre à la municipalité de Sidi Bouzid. Assise dans son bureau sans fenêtres, où s'engouffrent les courants d'air glacés, elle dit: "je ne fais rien, comme tout le monde ici". Le bâtiment a été mis à sac après l'annonce des résultats des élections d'une assemblée constituante du 23 octobre, et les agents municipaux ne vont plus sur le terrain.
Accusée d'avoir "giflé" Bouazizi --une version que plus personne n'évoque aujourd'hui à Sidi Bouzid-- Mme Hamdi a passé trois mois et demi en prison avant de bénéficier d'un non lieu en avril, après la révolution.
"J'ai été arrêtée le 28 décembre. J'ai servi de bouc émissaire, le pouvoir voulait calmer la colère des gens. Mais ça n'a rien calmé, et tout le monde m'a oubliée dans ma prison de Gafsa", raconte-t-elle.
Beau visage fatigué encadré d'un voile gris, yeux noirs perçants, Fayda Hamdi a toujours deux choses dans son portefeuille: le non-lieu de la justice en sa faveur, et une photo d'elle en uniforme. "J'aimais mon métier, et j'ai été punie parce que je n'ai fait qu'appliquer la loi", insiste cette femme qui avait la réputation d'être une fonctionnaire dure et intègre.
Elle évite de parler de Mohamed Bouazizi, dit juste qu'elle était "sous le choc" lorsqu'elle a appris son immolation.
Son supérieur intervient, en colère. "Elle n'y est pour rien s'il s'est brûlé! C'est une histoire incorrecte qui a été écrite, une pièce de théâtre", lance Mohamed Salah Missaoudi.
Mme Hamdi a décidé de reprendre ses fonctions à Sidi Bouzid, malgré d'autres propositions. "Si j'avais changé d'affectation, on aurait dit que j'avais quelque chose à me reprocher".
Car malgré ses 100.000 habitants, Sidi Bouzid est une petite ville, traversée par le qu'en-dira-t-on et la rumeur.
La famille Bouazizi n'y a pas échappé et a fini par quitter la ville.
"Trop de choses fausses ont été dites. On a raconté que la maman de Bouazizi avait touché de l'argent, qu'elle profitait de la mort de son fils. Et lui, on a voulu salir sa réputation", soupire Mohamed Amri, un ami du jeune vendeur défunt.
Des gens ont prétendu qu'il n'avait jamais voulu s'immoler, qu'il était ivre au moment des faits. Il se redresse, comme s'il avait été giflé: "c'est faux! C'était un garçon sérieux, correct, qui n'avait qu'un rêve, travailler, s'acheter une voiture, construire une maison".
Membre du "festival de la révolution du 17 décembre", qui s'apprête à commémorer le soulèvement, Youssef Jleli est plus cynique.
"Est-ce que Bouazizi voulait vraiment se brûler ? Seuls des psychiatres auraient pu répondre. Est-ce que Fayda a fait de la prison pour rien ? sans doute. Nous, ce qui nous intéresse, ce sont les conséquences du 17 décembre".
Depuis quelques jours, la photo de Mohamed Bouazizi a été raccrochée au fronton de la wilaya, la préfecture devant laquelle il s'est transformé en torche humaine. Sa mère a dédié au "peuple tunisien" le Prix Sakharov reçu par son fils à titre posthume.
Au café, ses amis entretiennent le souvenir du jeune homme.
"Quand on jouait, il abattait toujours ses cartes sur la table avec force et s'exclamait: vous allez voir, je vais tout faire péter! Aujourd'hui, on en rit..."