La question des retraites revient régulièrement au-devant de l’actualité et déchaîne parfois des réactions passionnées. Ce qui est compréhensible compte tenu de son impact sur la société.
Les travailleurs et les retraités observent ce qui se passe dans d’autres pays (augmentation de l’âge de la retraite, baisse des avantages, remplacement du régime en répartition par un régime en capitalisation etc.), et s’inquiètent quant à l’avenir après l’annonce des déficits successifs de la caisse de retraite. Les pouvoirs publics ont pris des mesures d’urgence pour équilibrer les comptes de la CNR : suppression du dispositif de pré -retraite, augmentation du taux de cotisation d’un point, affectation d’une taxe de 1% sur les importations. La décision de supprimer le dispositif de pré-retraite (retraite proportionnelle et retraite sans condition d’âge) a déclenché des protestations en série de la part du monde du travail. Il faut rappeler dans quelles circonstances les décisions ont été prises. C’est suite aux accords avec le FMI en1994 qu’un filet social a été conçu pour accompagner le PAS (programme d’ajustement structurel) : retraite anticipée et caisse de chômage. Après la retraite anticipée, on passa au dégraissage des effectifs des entreprises publiques par le biais de ce qu’on appela «les départs volontaires». Pour inciter les travailleurs au départ volontaire, fut instauré un autre dispositif : la retraite proportionnelle et la retraite sans condition d’âge en 1997(ordonnance 97/13 du 31 mai 1997). C’est à partir de ce moment-là qu’on assista aux départs massifs en retraite compte tenu des avantages proposés (prime de départ plus retraite).
La CNR publie le chiffre de 933 225 (site cnr.dz) de travailleurs qui ont opté pour cette formule depuis sa création. Mais le nombre est plus important si on ajoute les retraités décédés dans la période 1997-2017, soit 1 000 000 de pensionnés à ce jour, alors que la retraite anticipée n’a pas connu le même succès (36 000 retraités). Voyons quelle est la différence entre les deux formules.
Les formules de pré-retraite
La retraite anticipée instituée par le décret législatif n°94-10 du 26 mai 1994, qui faisait partie du dispositif qui devait accompagner l’opération de compression des effectifs est une mesure autoritaire ; le travailleur n’a pas le choix. L’entreprise concernée devait payer à la CNR une «contribution d’ouverture de droits» calculée selon l’âge des postulants.
Le calcul du montant de la pension de retraite s’effectue selon les règles prévues par la loi 83-12. Cependant, le montant obtenu subit une décote. Chaque année d’anticipation donne lieu au retrait d’un point. C’est ainsi qu’un travailleur qui prend sa retraite à l’âge de 50 ans voit sa pension diminuée de 10 points. Ensuite il récupère ces points progressivement jusqu’à l’âge de 60 ans à raison d’un point par an. En outre, pour financer cet avantage, un taux de cotisation supplémentaire fut introduit. Par contre, le pack de pré-retraite de 1997 supprime les moyens d’assurer l’équilibre financier :
- pas de nouveau financement ;
- pas de décote du taux de pension.
Il est financé par les cotisations du régime de base et de la retraite anticipée. La Caisse est privée de cotisations pendant la période d’anticipation. La durée de service des pensions est plus longue pour cette catégorie de retraités. Elle est de 11 ans pour un retraité parti à l’âge de 60 ans. Si un travailleur part à l’âge de 50 ans, la Caisse aura à lui payer des prestations pendant 21 ans ! Ils bénéficient d’une pension d’un montant supérieur, s’ils réunissent 32 ans d’activité ayant donné lieu à cotisation.
Le déséquilibre financier de la CNR
Si l’objectif de libérer du personnel a été largement atteint (100 0000 environ), on constate que cela a fortement contribué à épuiser les réserves de la CNR et à creuser un déficit impressionnant : 300 milliards de dinars selon Djilali Hadjadj (source site algerieinfo-saoudi.com le 3 avril 2017). Aujourd’hui, l’Etat met fin tardivement à ce dispositif sans être sûr que cela rétablira l’équilibre financier de la caisse de retraite. Car cela fait déjà plusieurs années que les voyants sont au rouge (depuis 2013). Malgré l’augmentation du taux de cotisation d’un point en 2015, défalqué du taux de cotisation des assurances sociales gérées par la Cnas, la Caisse n’est pas sortie du tunnel. Car c’est la trésorerie des autres caisses qui couvre le déficit de la CNR. Il faut signaler que ce n’est pas la première fois que le régime de retraite rencontre des problèmes.
En effet, depuis la création de la CNR en 1985 le taux de cotisation global a augmenté six fois : il est passé de 5% en 1985 à 18,25% en 2015. Après la prise en charge des retraites de l’agriculture en 1995 payées précédemment par la CNMA (155 000 pensions) et la promulgation de l’ordonnance 97/13 en 1997, le gouvernement est obligé de relever progressivement le taux de cotisation qui passe de 11% à 12, 5% en 1998, à 14% en 1999 ,puis à 16% en 2000 , à 17,25 en 2006 et à 18,25% en 2015. Aujourd’hui, le taux de cotisation du système de sécurité sociale se situe parmi les plus élevés au monde : il est de 28,40% au Maroc, de 29,75% en Tunisie, de 28,30% en Espagne, de 15% en Turquie, et 34,75% au Portugal.
Par conséquent, la marge de manœuvre est réduite. Le taux de cotisation a atteint un niveau qui ne permet plus des augmentations comme par le passé. Il faudra chercher de nouvelles recettes ailleurs. Le système de retraite algérien est un système financé par répartition (les actifs financent les retraites) : il fait appel à la solidarité inter et intra générationnelle. Cette solidarité a été étendue à d’autres catégories.
Sa viabilité dépend de deux facteurs :
- le facteur démographique ;
- le facteur économique.
Au plan démographique on assiste à l’explosion du nombre de bénéficiaires d’un avantage de retraite (retraités et survivants) et à la rigidité du nombre de cotisants (5,2 millions).
En effet, le nombre de bénéficiaires de retraites est passé de 1 253 912 en 2000 à 2 978 557 au 31 décembre 2016, soit un taux d’accroissement de 137% ; alors que le nombre de cotisants a progressé de 3 726 436 à 5 100 000 dans la même période ; soit un taux de 36, 85%. On observe que le nombre de retraités prend l’ascenseur alors que le nombre de cotisants prend péniblement les escaliers. En outre, les projections démographiques montrent que nous sommes engagés dans une période de vieillissement de la population (sources ONU, ONS). La population algérienne qui est de 42 millions passera à 51 millions en 2030. Le taux de dépendance démographique (rapport des plus de 60 ans sur la population totale) est en nette croissance : de 11,3% en 2000 il évolue à 14,4% en 2016. La tranche des plus de 60 ans par rapport à la population totale (3 800 000 en 2017) est en augmentation : elle passe de 8,7% de la population totale en 2015 à 8,9% en 2016. Les projections de l’ONS donnent 4 329 000 en 2020 et 6 455 000 en 2030.
La population active (âge 15 à 59 ans) continue à diminuer : l’ONS note une régression de 62,5% en 2015 à 61,8% en 2016. En l’absence de projections actuarielles nous estimons le nombre de bénéficiaires de retraites à 4 000 000 en 2030 si la législation reste à l’état actuel.
Les mesures prises en 2015 et 2016
Les mesures prises pour redresser les finances de la CNR s’avèrent très insuffisantes compte tenu du déficit affiché : l’augmentation du taux de cotisation d’un point (en2015) et la suppression de la pré-retraite sont insuffisantes.
Par contre, la mesure contenue dans la loi de 2016 peut réduire dans les prochaines années les départs à la retraite. Car on constate que l’âge légal de la retraite est fixé à 65 ans et celui de la pré-retraite à 60 ans, puisque le travailleur ne peut être mis à la retraite avant l’âge de 65 ans sans son accord. Par cette décision, le gouvernement veut retarder l’âge de la retraite en allongeant la durée d’activité des travailleurs.
Le succès de cette mesure dépendra de l’adhésion des acteurs et de son attractivité. Il aurait fallu réintroduire la surcote des années travaillées après l’âge de 60 ans : cette disposition abrogée existait à l’origine dans la loi 83-12. Chaque année supplémentaire était validée à 2% : le taux de pension pouvait atteindre un maximum de 90% au lieu de 80%.
Les réformes possibles
Quels sont les choix qui s’offrent à nos décideurs ? Le panel des réformes est large, mais on peut classer les réformes qui ont cours dans le monde en deux catégories : les réformes paramétriques sans changer le système et les réformes structurelles ou paradigmiques.
Les réform s paramétriques consistent à intervenir sur les paramètres du régime de retraite qui sont :
- le taux des annuités ;
- le salaire de référence ;
- l’assiette de calcul de la pension ;
- le taux de remplacement ;
- le taux de cotisation. es paramétriques consistent à intervenir sur les paramètres du régime de retraite qui sont :
- l’âge de la retraite ;
- le taux des annuités ;
- le salaire de référence ;
- l’assiette de calcul de la pension ;
- le taux de remplacement ;
- le taux de cotisation.
Pour augmenter les ressources on augmente le taux de cotisation global (part employé et part employeur) ou la base de calcul. Pour diminuer les dépenses on joue sur les autres paramètres. De cette manière le système de retraite reste inchangé (répartition par annuités à prestations définies). Quant aux reformes paradigmiques il s’agit de changer de paradigme. Dans ce cas on s’oriente vers la recherche d’un autre système de retraite. Par exemple, on passe d’un système de répartition à un système par capitalisation. Il s’agit dans ce cas d’une rupture avec l’ancien régime. Ou bien on introduit les mécanismes de la capitalisation dans le système de répartition : comptes notionnels, régime à points... Il faut signaler que l’objectif des réformes sera de restaurer l’équilibre entre les recettes et les dépenses de prestations servies par la CNR en réduisant les dépenses et en augmentant les recettes. Cela ne sera pas facile. Si on diminue par exemple le taux de validation annuel de 2,5 à 2%, il faudra travailler 40 ans pour prétendre au taux de pension maximum de 80%. Si on augmente l’âge de départ à 65 ans la pension sera servie sur une plus courte durée. Si le taux de cotisation est augmenté c’est le salaire net qui diminue, donc, le pouvoir d’achat. La réflexion doit être engagée le plus tôt possible avec les acteurs sociaux concernés. Mais avant de procéder à ce genre de réformes il faudra épuiser les autres possibilités d’amélioration des rentrées de la CNR. Pour cela, il faudra revoir le système de pilotage et le fonctionnement des organismes de sécurité sociale :
- instaurer un nouveau modèle de management des caisses ;
- modernisation de l’organisation des méthodes de gestion et des ressources humaines (tout un programme) ;
- une attention particulière doit être apportée a la fonction recouvrement des cotisations.
Selon Djilali Hadjadj, il y a près de 400 milliards de DA de cotisations impayées qui relèvent des institutions publiques et administrations.
En outre, plus de 4 millions de travailleurs ne sont pas déclarés à la Sécurité sociale. Le manque à gagner est évalué à 200 milliards de DA par an. Cela signifie qu’il y a un sérieux problème dans la gestion du recouvrement. Il faut signaler que le gouvernement a bien créé une caisse de recouvrement (2007) qui n’a vu le jour que sur le papier. Cette fonction est toujours assurée par la Cnas.
Le contrôle est une autre fonction à développer pour améliorer le recouvrement. Le développement du contrôle-employeurs apportera des recettes supplémentaires en faisant la chasse aux mauvais payeurs et surtout à ceux qui ne déclarent pas leur personnel. Tout le monde peut constater la non-déclaration des salariés du secteur privé dans le secteur tertiaire, le bâtiment et l’agriculture. Le contrôle des dossiers de retraite en paiement est un autre axe de gestion qui permettra de limiter les paiements indus (retraités décédés, filles mariées ou actives, etc.) et de récupérer des milliards de dinars.
Ce que prévoit le programme du gouvernement
A ce sujet, le programme du gouvernement se donne comme objectif «d’atteindre à terme 3 000 000 de nouvelles affiliations par l’introduction de l’économie numérique, des personnes actives occupées par le secteur informel, des personnes actives non occupées et du monde agricole», sans fixer d’échéance ni les modalités.
Par ailleurs il prévoit «la poursuite de l’adaptation du système national de retraite (élargissement de la base cotisante, révision des taux de cotisation des catégories particulières d’assurés sociaux à la charge de l’Etat, de nouvelles sources de financement autres que les cotisations des travailleurs, etc.».
A propos du recouvrement, l’objectif est de «poursuivre le renforcement de la fonction et du contrôle des assujettis». On remarque que ces objectifs ne peuvent être atteints qu’à moyen et long terme. Que compte faire le gouvernement aujourd’hui pour financer les retraites ? On retient que :
- il est question de récupérer trois millions de nouveaux cotisants qui activent actuellement dans l’informel ;
- élargir la base cotisante ;
- réviser les taux de cotisation de certaines catégories ;
- de nouvelles sources de financement autres que les cotisations.
En conséquence, on peut conclure que le gouvernement n’envisage pas de réformes importantes telles que le relèvement du taux de cotisation, âge de départ, etc., mais compte formaliser l’économie informelle, ce qui constitue un vrai défi.
La loi des finances 2018 prévoit une subvention de 500 milliards de DA au profit de la Cnas et une taxe de 1% sur les importations destinées à la revente en l’état. Ces mesures ne règlent la question du financement de la retraite que dans le court terme, car le problème de fond demeure en suspend. Le 1% de taxe suffira-t-il à combler le déficit ? L’Etat continuera-t-il à verser une subvention à la CNR ? La position actuelle du gouvernement est une position d’attente qui ne règle pas les problèmes de fond.
Des réformes sérieuses sont nécessaires. Elles ne peuvent se faire qu’en associant les acteurs du monde du travail (syndicats, employeurs). Sans cela, les réformes se feront sous la pression du FMI et de la Banque mondiale, comme cela s’est fait récemment en Égypte et d’autres pays de la région Mena (Maroc, Jordanie).
Cela peut se faire au sein d’un conseil national de la sécurité sociale, un organe consultatif qui réunirait tous les acteurs concernés et les experts en vue de proposer des solutions au gouvernement, comme cela existe dans d’autres pays (Canada, France).
Car, si des mesures ne sont pas prises, ce n’est pas seulement la CNR qui est menacée, mais c’est aussi la Cnas qui risque de ne pas pouvoir faire face à ses engagements.
Mustapha Oussalah, retraité
Email : oussalahmus@yahoo.com