DAKAR (Reuters) - Le président sortant Abdoulaye Wade, 85 ans dont 12 passés à la tête du Sénégal, a admis sa défaite au soir du second tour de l'élection présidentielle et félicité par téléphone son rival Macky Sall, rapporte la télévision nationale.
L'information a été confirmée au QG de campagne de l'ancien Premier ministre de Wade.
Bate Felix et Simon Akam, Jean-Loup Fiévet pour le service français
DAKAR - Présidentielle au Sénégal: Wade reconnaît sa défaite, félicite Sall
Des Sénégalais procèdent au dépouillement des votes à la présidentielle au Sénégal le 25 mars 2012 à DakarSEYLLOU AFP.COM
DAKAR - Le président sénégalais sortant Abdoulaye Wade a reconnu dimanche soir sa défaite à la présidentielle et félicité son rival et ex-Premier ministre Macky Sall, a annoncé la télévision publique sénégalaise (RTS).
Le président Wade "a appelé dimanche à 21h30 (locales et GMT) son rival Macky Sall (...) pour le féliciter après les premières tendances qui le donnent vainqueur du second tour de la présidentielle", selon la RTS rerpise par l'Agence de presse sénégalaise (APS, publique).
Cette information a été confirmée par Moussa Diop, un proche conseiller de Macky Sall qui a déclaré: "La victoire est officielle, Wade a reconnu sa défaite".
Les premiers résultats officiels ne sont pas attendus avant mardi ou mercredi, mais les chiffres bureau par bureau égrenés depuis la fermeture des bureaux de vote à 18H00 (locales et GMT) par les médias sénégalais, dont l'agence de presse publique APS, donnaient M. Sall, 50 ans, en tête dans la plupart d'entre eux.
Avant même l'annonce de vistoire, des milliers de personnes se sont rassemblées dimanche soir devant le siège de campagne à Dakar de Macky Sall.
Aux cris de "Macky président", "Cette fois ça y est!" ou "On a gagné", ces partisans dansaient au son d'une musique rythmée poussée à fond par une puissante sonorisation.
Des scènes de liesse similaires avaient lieu dans plusieurs quartiers de Dakar, y compris au coeur de la ville, Place de l'Indépendance, proche du palais présidentiel.
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Au Sénégal, la surprise anti-Wade
REPORTAGEContre toute attente, le président sortant sera obligé de disputer un second tour. La population, mobilisée, veut y croire.
«Na dem» : «Dégage !» L’expression popularisée dans le monde arabe se déclinera-t-elle bientôt en wolof ? Hier, Dakar semblait y croire. La capitale sénégalaise s’est réveillée avec la gueule de bois, après une interminable soirée électorale, marquée par un rebondissement inattendu : alors que tout le monde redoutait que le président sortant, Abdoulaye Wade, force, d’une manière ou d’une autre, le choix des urnes pour passer dès le premier tour, le candidat octogénaire se retrouve en ballottage. Les estimations, hier soir, le donnaient au coude à coude avec Macky Sall (lire ci-contre).
Il y aura donc bien un deuxième tour, prévu le 18 mars, et l’espoir d’un changement de pouvoir n’est soudain plus une utopie. Bien plus, le spectre de violences postélectorales, maintes fois évoqué en cas de victoire du camp présidentiel dès le premier tour, s’est soudain éloigné : le rejet massif du régime a été exprimé non plus dans la rue - comme ce fut le cas pendant la campagne -, mais par le vote. La «divine surprise» du ballottage a d’abord circulé comme une rumeur, confirmée au fur et à mesure du dépouillement : le vieux président, qui avait fait le forcing pour se représenter après deux mandats, n’est plus majoritaire dans le pays.
«Vieilles recettes». Au départ, il semblait pourtant pouvoir profiter de l’émiettement de l’opposition. Ses treize concurrents, bien que rassemblés dans une même coalition, n’avaient pas réussi à s’entendre pour désigner un seul candidat. Résultat, ils s’étaient tous présentés devant les électeurs. «Paradoxalement, la multitude de candidats face à Wade a aussi joué contre lui. Ces leaders ont tous un fief local, où ils ont conquis la majorité des voix, ce qui a finalement affaibli le score national du Président», analysait Etienne Smith, un jeune chercheur de l’université de Columbia, croisé au milieu de la foule bigarrée qui s’est précipitée dimanche soir au QG du candidat de l’opposition, Macky Sall. Ce dernier, arrivé en tête face au président sortant, devrait en principe bénéficier du report des voix des autres opposants, qui avaient tous signé un pacte en ce sens au début de la campagne.
Dimanche soir, l’ambiance de fête qui régnait chez les opposants contrastait avec l’atmosphère lugubre du siège du parti présidentiel : dans une semi-pénombre, des bandes de jeunes hommes souvent cagoulés accueillaient d’un regard hostile les rares visiteurs. Aucun officiel n’était présent. «Ils sont sonnés, ils ne s’attendaient pas à une telle débâcle», confie un «ex-ami» d’Abdoulaye Wade. Et les fraudes massives que l’on redoutait ? Les armes censées circuler ? «Le rejet a été trop massif», explique cet ancien proche qui dénonce l’influence nocive de l’entourage présidentiel : «Sa famille et tout un groupe de faucons l’ont persuadé qu’il pouvait encore rester au pouvoir en appliquant les vieilles recettes : l’achat des consciences, les tournées triomphales dans le pays… Mais ce n’était que des villages Potemkine : ceux qui l’acclamaient avaient été payés pour le faire. Une fois dans l’isoloir, eux aussi ont fait leur choix.»
Pour Abdoulaye Wade, la révélation de son impopularité a peut-être eu lieu au moment de glisser son bulletin dans l’urne : accueilli par des sifflements dans son bureau de vote, le président, sortant, visiblement troublé, a même oublié sa carte d’électeur sur place. Et même dans ce bureau situé dans un quartier aisé de la capitale, Wade arrive derrière l’opposition. «Si cela ne tenait qu’à lui, il partirait. Il est vieux et fatigué. Mais dans son entourage, trop de gens ont trop à perdre»,constate encore l’ancien ami de Wade, déplorant une telle fin de règne pour «un homme qui a été un leader politique brillant».
Avec quel état d’esprit Wade abordera-t-il le second tour ? Alors même qu’il s’affichait vainqueur d’avance, laissant son fils Karim annoncer depuis Paris le score attendu de 53% ? Tard dans la nuit de dimanche à lundi, l’un de ses conseillers a bien essayé de s’accrocher à ce chiffre. Mais la tentative n’a pas eu de suite et lundi, tous les barons du régime étaient aux abonnés absents. L’orgueil du Président l’a placé dans une position humiliante et inconfortable. Mais n’est-ce pas déjà cet immense ego qui avait contribué à lui aliéner son peuple ?
«Renaissance». Ouakam est une banlieue misérable de la capitale sénégalaise où des immeubles inachevés en béton nu semblent engloutis sous le sable et la broussaille. L’opposition y a été plébiscitée dimanche. Les habitants n’ont pourtant qu’à lever les yeux vers le ciel pour admirer les rêves grandioses de leur Président : érigée par les Nord-Coréens, une immense statue - «la plus grande du monde»,affirme un guide local -, représente un couple avec un enfant, censés incarner «la renaissance africaine».«Elle a coûté 50 milliards de francs CFA [75 millions d’euros. Elle est estimée en réalité entre 15 et 20 millions, ndlr] . Elle est gérée par une fondation dirigée par la fille du Président qui en tire tous les bénéfices. Et nous, qu’est-ce que ça nous rapporte ? Rien !» souligne Thierno, un comptable qui vit à Ouakam mais n’a jamais eu l’occasion de grimper jusqu’au monument, en empruntant cet escalier interminable symbolisant d’après lui «la souffrance du peuple noir».
Ses propres souffrances l’accablent assez et lui aussi a voté pour l’opposition : «Je n’ai plus peur des risques de violences !» ajoute-t-il, bien décidé à «faire dégager Wade», dans l’espoir d’une «renaissance sénégalaise».