ANNIVERSAIRES DU 20 AOÛT 1955 ET DU 20 AOÛT 1956

 

L'Expression

ANNIVERSAIRES DU 20 AOÛT 1955 ET DU 20 AOÛT 1956
L’HISTORIEN ABDELMADJID MERDACI
À L’EXPRESSION

«Tout a basculé à la Soummam»
Propos recueillis par Mohamed Sadek LOUCIF
  - Jeudi 20 Août 2009 - Page : 2

La maison où a eu lieu le Congrès de la Soummam

Sociologue et historien, M.Abdelmadjid Merdaci est maître de conférences à l’université Mentouri de Constantine. Dans cet entretien, l’historien nous livre un regard analytique sur un événement politique majeur de la guerre d’indépendance: le Congrès de la Soummam. En toute objectivité, l’enseignant-chercheur retrace les conditions dans lesquelles s’est tenu le congrès et son impact politico-stratégique sur la guerre de Libération. Ce faisant, l’historien évoque «la Réunion du Caire du 20 août 1957». Cette réunion a marqué la fin politique de Abane Ramdane, l’architecte reconnu du Congrès de la Soummam. Aussi, la Réunion du Caire a «inscrit le FLN et ses objectifs dans une conséquence sans relation avec ses valeurs d’origine». L’analyse de M.Merdaci fait la lumière sur des questions, jusque-là, méconnues de notre histoire récente. Jugez-en...

L’Expression: 43 ans nous séparent de la tenue du Congrès de la Soummam, quelle lecture faites-vous de la ligne politique adoptée par ce congrès, à savoir l’édification d’un Etat jacobin?
Abdelmadjid Merdaci: Si on revient aux documents et aux décisions sanctionnant le Congrès de la Soummam, c’est bien la dotation du FLN/ALN d’institutions de direction - le Comité de coordination et d’exécution, le Conseil national de la révolution algérienne- l’organisation des pouvoirs et des hiérarchies au sein de l’ALN, qui apparaît comme l’un des résultats marquant des travaux en sus de la clarification des fondements idéologiques de la guerre d’indépendance, de ses objectifs et de ses méthodes de direction. Nous sommes alors à moins de deux ans du début de l’insurrection et la priorité était de donner un contour politique pertinent à un FLN qui n’était plus celui des fondateurs. Pour rappel, seuls deux membres de la direction historique du Front - Ben M’hidi et Krim - sont présents au congrès. Leurs compagnons sont morts - Didouche, Benboulaïd- en prison -Bitat- ou à l’extérieur comme Boudiaf. Les liaisons entre zones étaient alors, soit interrompues ou difficiles et pour mémoire, la réunion des Six prévue en janvier 1955 ne s’est jamais tenue. L’évolution aussi du cours de la guerre a modifié les bases politiques du Front qui, lancé par un groupe minoritaire issu de l’Organisation spéciale, s’élargissait à d’autres courants patriotiques conformément à la proclamation du 1er Novembre. Ce sont ces évolutions que consacre le Congrès de la Soummam.

Pouvez-vous nous éclairer sur les raisons politico-stratégiques de la tenue du congrès à l’intérieur du pays et dans la Wilaya III en proie aux méthodes de pacification coloniale des plus poussées?
La tenue du congrès avait été aussi imaginée sur le territoire de la Zone 2 alors dirigée par Zighoud Youcef et on comprendra que le choix du lieu ait été déterminé par les garanties de sécurité pour les dirigeants du Front. Ce qu’il faut retenir, c’est que le Congrès de la Soummam serait peu imaginable sans la relance stratégique résultant de l’offensive du Nord constantinois du 20 août 1955. Au-delà des controverses au sein du FLN - et notamment lors du Congrès de la Soummam sur le chiffre des victimes de la répression au lendemain du 20 août 1955 - il faut au moins relever l’élargissement de l’état d’urgence des Aurès et de la Kabylie à l’ensemble du territoire algérien d’une part, le renforcement du contingent de l’ordre de cent quatre-vingt mille soldats qui consacrait définitivement l’état de guerre, la disqualification d’une troisième voie à laquelle voulait travailler le gouverneur Soustelle et les signes du basculement des courants politiques modérés que signera «le Manifeste des 61» élus qui prenaient publiquement acte du rôle du FLN dans la résolution de la question coloniale. Ainsi donc, le Congrès de la Soummam ne se comprend que dans la filiation et les mutations du courant insurrectionnel.

Abdelmadjid Merdaci

«Novembre 54: de l’insurrection à la guerre d’indépendance», est le titre de l’ouvrage de M.Abdelmadjid Merdaci à paraître dans les prochains jours. Docteur d’Etat en sociologie, M.Merdaci a axé ses travaux de recherche sur l’histoire de l’Algérie, sous de multiples facettes. Ses ouvrages ont notamment porté sur le Mouvement national algérien, la musique algérienne et l’histoire de la ville de Constantine. Parmi ses oeuvres figurent «La fonction présidentielle en Algérie», publiée chez Topois Simoune en 2004, le «Dictionnaire des musiques et des musiciens de Constantine», Ed. Simoune (2003) et «Constantine sur scène-Contribution à l’histoire du théâtre constantinois», Ed. du TRC. Aussi, l’historien a publié «Constantine, citadelle des vertiges». Cet ouvrage est sorti en 2005, dans la collection Beaux livres. L’enseignant-chercheur a aussi publié «Tata, une femme dans la ville», un essai biographique, aux éditions du Champ Libre, en 2008.



L’une des résolutions principales du congrès a porté sur la primauté du politique sur le militaire et de l’intérieur sur l’extérieur. En la contextualisant, pouvez-vous présenter la portée politique d’une telle orientation?
A-t-on, sans doute, focalisé sur ces questions en relation avec, d’une part, le destin tragique de Abane et, d’autre part, avec l’emprise de l’Armée des frontières sur le destin collectif de l’Algérie au lendemain de la crise de l’été 62. A bien y regarder, l’analyse est plus complexe à mener. Dans le contexte d’août 56, quel était le statut des militants en armes du FLN et de l’ALN? Les maquisards qui, souvent abandonnaient leur village, leur ville, leurs familles pour d’impérieuses raisons de sécurité, cessaient-ils d’être militants et étaient-ils pour autant des soldats de métier? Le Congrès de la Soummam a essayé de mettre de l’ordre dans ces aspects aussi, mais l’enjeu de fond était bien celui du pouvoir au sein du Front, du fondement de sa légitimité. Les réponses de la Soummam doivent notamment s’entendre en relation avec les querelles de prééminence entre les dirigeants de l’intérieur et ceux de la délégation extérieure. A peine plus de six mois après la Soummam, les membres du CCE étaient contraints de quitter le territoire national alors que le cours même de la guerre accélérait le mouvement des générations à l’intérieur du FLN/ALN en Algérie et exacerbait les ambitions de pouvoir à l’extérieur.

Des dirigeants de la Révolution se sont opposés aux résolutions du congrès et sont allés jusqu’à revendiquer la tenue d’un congrès bis, votre analyse?
La question était bien celle du pouvoir et que ce soit Boudiaf - qui fit à Abane le procès du rappel des centralistes alors même qu’il s’était allié à eux en 54- ou Ben Bella qui se couvrit avec l’opportunisme qui a caractérisé ses choix du manteau de l’Islam, les critiques portées au congrès doivent bien s’entendre comme une résistance aux évolutions nées du cours de la guerre et une tentative de disqualifier les modes de direction retenus par le congrès. Abane est-il aussi victime d’une lecture de surface du Congrès de la Soummam qui ne fait pas droit à la qualité de dirigeants qui l’entouraient - Ben Khedda, Dahleb, Ouzegane -, et qui l’adoubaient comme Krim et Ben M’hidi sans lesquels rien n’aurait été possible politiquement.

Quel a été l’impact du Congrès de la Soummam sur la Révolution algérienne?
Le Congrès de la Soummam est un moment-clé dans l’évolution du FLN et plus généralement du cours de la guerre. Son impact se mesure sur le long terme puisqu’il dote, notamment le FLN et l’ALN de structures durables, consacre la ligne frontiste portée par la proclamation du 1er Novembre et crée des conditions politiques nouvelles de mobilisation des Algériens qui, contrairement à la légende du peuple en armes en novembre, ont aussi attendu avant de se déterminer.

Une année après le Congrès de la Soummam, il y a eu la réunion du Caire. Selon des historiens et analystes, cette réunion s’est caractérisée par le renversement des principes de la Soummam, partagez-vous cette analyse?
Il a suffi d’une réunion en soirée dans un grand hôtel du Caire pour opérer ce qui tient lieu de «réaction thermidorienne» dans la guerre d’indépendance, à savoir la remise en cause des options retenues par le Congrès de la Soummam et l’ouverture aux jeux d’appareils et de clans dans la direction du FLN. Cette réunion du 20 août 1957 est sans doute l’un des tournants dans l’histoire de la guerre d’indépendance. Au-delà de marquer la fin politique de Abane, elle inscrit le FLN et ses objectifs dans une séquence sans relation avec ses valeurs d’origine.

En définitive, le Congrès de la Soummam a-t-il été un rendez-vous historique raté par la société et les dirigeants de la Révolution algérienne?
Le Congrès de la Soummam, comme toute manifestation politique majeure, n’est pas réductible à telle ou telle de ses dimensions et il faut toujours rappeler le nombre modeste des congressistes - seize - et aussi la diversité des décisions prises, comme celle - appliquée en fait dans la seule Wilaya 2 qui s’y était opposée lors des travaux - d’organiser des élections pour désigner les responsables du FLN. La Soummam en somme, reste une marque tout à fait significative des mutations du courant indépendantiste et du cours de la guerre d’indépendance.


 



20/08/2009
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