Abdelaziz Rahabi : « Il faut que nos dirigeants admettent que le système actuel a fait son temps »

Cette figure de l’opposition, qui a connu le système de l’intérieur, estime que l’Algérie a, pour la première fois, l’opportunité d’une transition démocratique pacifique.

 

Abdelaziz Rahabi à Alger, le 6 juillet 2019.
Abdelaziz Rahabi à Alger, le 6 juillet 2019. Batiche Farouk/DPA/ABACA / Batiche Farouk/DPA/ABACA

Ancien ministre et diplomate, Abdelaziz Rahabi a dirigé en juillet les travaux de la conférence nationale de dialogue dite de Aïn Benian, au cours de laquelle une plate-forme de revendications a été adoptée par plusieurs partis politiques, personnalités et associations de la société civile.

Les Algériens ont chassé Abdelaziz Bouteflika et manifestent depuis trente-cinq semaines. Qu’est-ce qui a changé en Algérie ?

Abdelaziz Rahabi Le Hirak [mouvement populaire] a surpris tout le monde. Par sa cohérence, par son caractère massif, national, pacifique. Ce n’est pas l’expression d’un ras-le-bol du système Bouteflika, c’est l’expression de l’accumulation de toutes les frustrations politiques et des aspirations à la justice sociale depuis des décennies. Le peuple s’est réapproprié l’espace public et politique. Ce mouvement transcende les idéologies, il veut rompre avec le système autoritaire, la corruption, c’est ce qui fait son caractère éminemment politique.

C’est aussi une opportunité historique dans un pays qui procède et n’avance que par ruptures violentes. La colonisation a été une très grande violence. L’indépendance a été marquée par la violence de la lutte pour le pouvoir. Puis vint le coup d’Etat de Houari Boumediene en 1965. La nationalisation des terres agricoles, qui a été une forme de violence économique. Le printemps berbère de 1980, les émeutes d’octobre 1988, le mouvement civique en Kabylie de 2001…

Pour la première fois, nous envisageons de sortir d’un système non démocratique de façon pacifique. C’est une immense avancée. Une sorte de coup d’Etat civil, un coup d’Etat de la société contre ses propres institutions, incapables de se réformer, de se mettre en rapport avec le temps réel.

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Comment expliquer cette surdité et cette résistance du pouvoir ?

C’est le pays le plus fermé de la Méditerranée alors que le peuple est mondialisé. Il y a un décalage profond entre la société, en lien avec le temps réel, et la structure gouvernementale, le fonctionnement de l’Etat, qui est archaïque et qui manifeste une très forte résistance au changement. Soit parce qu’il n’a aucune vision de l’avenir, soit par crainte de perdre sa rente, ses intérêts. Il est incapable d’accompagner la transformation de la société sans vouloir en contrôler tous les tenants et aboutissants.

Prenons Bouteflika. Pendant vingt ans, il n’a pas construit un Etat, il a construit un pouvoir. C’était un président omnipotent qui décidait de tout, qui a construit son pouvoir à coups de complicités étrangères, en dépensant la rente… Or il s’est effondré en une semaine, car il n’a pas construit d’Etat. Il a neutralisé toute forme d’intermédiation entre lui et le peuple. Son pouvoir ne reposait que sur des allégeances.