Baïda, ville syrienne martyre en pays alaouite

Baïda, ville syrienne martyre en pays alaouite

BAÏDA, Syrie (Reuters) - Réveillé par des tirs d'armes automatiques, Ahmad a entendu les hommes armés frapper à la porte de son frère en hurlant des insultes. En moins de deux heures, Baïda, jolie localité proche de la côte, allait devenir le théâtre d'un des pires massacres du conflit syrien.

"Soumets-toi à ton dieu Bachar !", ont-ils intimé au frère d'Ahmad, selon sa belle-soeur. Le couple et leurs deux enfants ont ensuite été conduits de force sur la place du village.

"Les genoux de son fils étaient couverts de sang parce qu'ils l'ont frappé et traîné", souligne Ahmad. Caché dans un grenier, il en est sorti une fois le calme revenu.

Après une série de revers, les forces gouvernementales ont lancé une vaste contre-offensive pour ouvrir un corridor entre Damas et le pays alaouite, minorité chiite dont le président Bachar al Assad est issu, sur la côte. Baïda, modeste réduit d'opposants sunnites cerné de villages acquis à la cause du chef de l'Etat, était le lieu idéal pour faire un exemple.

Ahmad a découvert le corps de son frère à quelques pas de sa maison. "On lui avait enlevé ses vêtements", dit-il, donnant lecture du compte rendu qu'il a dressé. "On lui avait tiré une balle dans la tête, qui a fait un trou béant grand comme la main. Son sang était répandu par terre", poursuit-il, après avoir marqué une pause pour contenir ses larmes.

Dans son rapport, dont la lecture prendra près d'une heure et demie, Ahmad, qui tait son nom de famille, décrit les circonstances de ses macabres découvertes : ici 30 hommes, là 20 femmes et enfants qui se cachaient dans une petite pièce.

Il y a consigné le nom de chacune des victimes, certaines calcinées, ainsi que leur métier, leur âge, leurs liens de parenté et même la position des corps. Ahmad, qui lui-même a perdu plusieurs dizaines de proches, n'a négligé aucun détail dans l'espoir que ces crimes ne restent pas impunis.

ENVIRON 300 MORTS ?

Les faits se sont produits le 2 mai, un jeudi, premier jour d'une semaine de vacances. Beaucoup d'étudiants et d'écoliers se trouvaient chez eux, tout comme les hommes qui vont d'ordinaire vendre leur production maraîchère sur la côte.

Le coq avait déjà chanté quand les miliciens sont entrés dans les ruelles étroites de la ville, qui comptaient 5.000 âmes. Visible des villages alaouites environnants, elle est toute proche de Banias, petite localité situé sur les hauteurs qui dominent la côte.

Selon l'opposition, six militaires avaient été tués dans l'attaque d'un car avant le massacre de Baïda, qui a été suivi d'un autre dans la ville voisine de Ras al Nabaa.

L'Observatoire syrien des droits de l'homme (opposition) parle de 300 morts au moins dans les deux localités. Les victimes ont été ensevelies dans des fosses communes et plusieurs milliers d'habitants sont parvenus à s'enfuir, d'après des partisans de l'insurrection.

Les autorités syriennes n'en ont rien dit, mais un membre des services de renseignement ayant requis l'anonymat a reconnu la responsabilité des loyalistes, dont certains venaient des villages alaouites voisins.

Acquises à la cause des rebelles, Baïda et Ras al Nabaa étaient qui plus est devenues des havres pour déserteurs et beaucoup de jeunes s'étaient enrôlés dans les rangs de l'Armée syrienne libre. Ce sont aujourd'hui des villes mortes.

Les forces gouvernementales en gardent soigneusement l'accès et les étrangers ne peuvent s'y rendre que par un chemin sinueux à travers les montagnes. Un correspondant de Reuters a pu l'emprunter pour aller recueillir le témoignage d'Ahmad.

NETTOYAGE ETHNIQUE

Auparavant, dit-il, seuls les hommes soupçonnés d'appartenir à l'insurrection couraient se cacher quand les militaires se présentaient. Cette fois, pourtant, il a senti qu'il devait le faire aussi. Son frère, lui, est resté sourd à ses appels.

"Il disait : 'Pourquoi devrais-je m'enfuir ? Je n'ai rien fait de mal. C'est mieux de rester à la maison. Ils n'ont rien contre moi", explique Ahmad.

Outre son frère, femmes, enfants en bas âge et vieillards figurent parmi les victimes. C'est le cas de Mohammed Taha, le cordonnier âgé de 90 ans, qui avait perdu une jambe dans un accident de voiture.

Le cheikh Omar Biyassi, imam de Baïda âgé 62 ans, est également du nombre. Ahmad l'a découvert à côté des corps de son épouse et de son fils, qui était étudiant en médecine.

"Bien qu'il se soit toujours opposé aux manifestations, ils l'ont tué quant même", souligne-t-il. Ibrahim al Choghri, un handicapé mental de 69 ans que le Croissant rouge a identifié le lendemain du massacre, n'a pas été épargné non plus.

"C'est une façon de rappeler que la côte est une ligne rouge (...) C'est ce qui arrivera aux îlots sunnites ici. Il s'agit de nettoyage ethnique et l'objectif est de faire peur", dit un opposant alaouite du nom de Sadek.

Jean-Philippe Lefief pour le service français, édité par Gilles Trequesser

NEWS MONDE



18/05/2013
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