"C’est une guerre à huit clos" Affrontements dans la capitale Damas

Reporter québécois en Syrie : choses vues                    NN               http://www.tv5.org/cms/chaine-francophone/info/Les-dossiers-de-la-redaction/Syrie-2012/p-23760-Reporter-quebecois-en-Syrie-choses-vues.htm
  
Après avoir disparu des radars de l'actualité, la situation en Syrie revient à la une des journaux. Affrontements dans la capitale Damas, inquiétudes affichées par l'OTAN à propos de supposées armes chimiques... L'occasion de se pencher sur la situation à l'intérieur du pays. Une équipe de Radio-Canada vient de rentrer de Syrie après une mission de 8 jours. Akli Aït-Abdallah y était pour la radio : son récit.
Zoom:
Akli Aït-Abdallah
07.12.2012Propos recueillis par Catherine François, à Montréal.

Quelle image marquante gardez-vous de cette mission ? 

La guerre. Dès qu’on a passé la frontière, on n’a pas besoin de s’enfoncer dans le pays pour voir la guerre, elle est déjà là. On la rencontre dès qu’on rentre, on la rencontre sous les traits de réfugiés, il y a un petit camp sur la gauche du poste-frontière, un poste-frontière tenu par l’armée libre, et là tu as des gens qui ont fui des villes, tu rencontres des enfants qui te racontent la guerre, les bombardements et tu  rencontres aussi des blessés graves qui ont été tirés par des snipers, les bombardements, donc tu as un contact immédiat et direct avec la guerre dès que tu as frôlé la frontière syrienne, on ne s’attend pas à la rencontrer si rapidement. Toutes les villes où l'on est passé ont été le terrain de batailles difficiles, à Azaz, par exemple, on tombe sur des chars calcinés, une mosquée complètement explosée et là on se rend compte que la guerre est passée partout.

Vous avez notamment passé plusieurs jours à Alep... 

A Alep les stigmates de la guerre, c’est partout, dans toute la ville, des immeubles défoncés, des queues devant les magasins, des gens excédés, les bruits des bombardements et des armes, c’est  permanent et… les avions qui continuent de bourdonner. Donc territoire libéré mais pas territoire apaisé. Libéré théoriquement, oui l’armée syrienne s’est retirée, mais les avions continuent de bombarder. Et la ville qui est divisée en deux… Aucune manifestation de joie, ça aussi ça m’a marqué, par rapport à la Libye, en Libye j’avais vu dans ces zones libérées des manifestations de joie perpétuelles, tous les jours les gens sortaient en véhicules avec des drapeaux même si la guerre était encore à quelques kilomètres, tandis que là, je n’ai pas vu une seule manifestation de joie au contraire j’ai vu des manifestations de colère.  Des gens en colère contre le régime de Bachar el-Assad et contre les rebelles qui mènent une guerre de guérilla dans leur quartier, ce qui attire évidemment les bombardements sur leur quartier. 
Zoom:
"Toutes les villes où l'on est passé ont été le terrain de batailles difficiles" - Crédit : A. A-A
Les civils que vous avez rencontrés se sentent-ils "otages" du conflit ? 
Complètement, aujourd’hui ils ne sont plus dans le débat faut-il se débarrasser de Bachar ou pas, tous ces gens-là ont participé massivement aux premières manifestations pour contester le régime la dictature, mais aujourd’hui ils sont dans la survie, les gens ne savent pas s’ils vont vivre, y’a des snipers dans les villes, des gens qui arrivent à l’hôpital avec des balles dans le ventre, dans la tête, dans la poitrine etc. des innocents qui passaient par là, donc ils risquent de mourir tous les jours, ils doivent se battre pour survivre, pour ne pas mourir de faim, ils n’ont plus de travail, l’économie ne fonctionne plus, l’administration s’est retirée donc la ville est livrée à elle-même, les ordures ne sont plus ramassées, Alep est un immense dépotoir, c’est un champ de bataille, c’est une jungle pour se nourrir, devant les boulangeries tu as des queues extraordinaires, il faut que les gens de l’armée libre fasse la sécurité pour que les gens puissent avoir du pain et tout est très cher… y’a des gens qui te disent moi je n’ai rien rien rien dans les poches, j’ai rien à donner à mes enfants ce soir, des gens qui avaient un emploi et qui ont tout perdu. Ils ont dû fuir leur quartier parce que près des lignes de front plus personne n’habite, tout le quartier a été déserté. Les gens reviennent une fois par semaine parce qu’on les autorise à revenir pour aller chercher quelques couvertures des habits d’hiver, ils reviennent au risque de leur vie parce que ça continue à tirer tout le temps. Alors la question qui revient c’est jusqu’à quand ? Les gens ne disent pas quand est-ce-que Bachar va tomber ou quand est-ce qu’on va être libéré, ils disent jusqu’à quand on va vivre cette situation ? Évidemment y’a le discours des rebelles, qui disent on va mettre fin à la dictature, on aura une Syrie meilleure, juste, où la corruption n’aura pas sa place, où toutes les confessions vont vivre en paix, mais en réalité… évidemment les gens aimeraient bien que Bachar parte parce que s’il part, ce sera la fin des bombardements, le régime s’effondrerait, plus d’avions au-dessus de leur tête, mais aujourd’hui tous les jours les gens ont deux défis : survivre physiquement et assurer leur survie au quotidien, un gite et à manger.
"Les rebelles sont dans leur quartier, celui où ils vivaient" - Crédit : A. A-A
Et les rebelles ? On parle d'une rébellion très hétéroclite, de guerre sainte...

Oui au départ, il y a eu ces manifestations il y a 20 mois, qui ont été terriblement réprimées mais, après, la révolution s’est militarisée, c’est devenu une guerre, une guerre de position. Alors tu as cette fameuse armée libre de Syrie qui n’a pas de commandement unique, elle a peut-être des structures, et tu as cette coalition, mais les gens sur le terrain, ils te le disent, « c’est de la merde, de l’encre sur le papier, nous on négocie avec les commandants de katiba, les gens qui sont sur le terrain, les commandants de l’armée libre oui ils viennent de temps en temps nous visiter mais ils ne nous donnent pas d’ordres, ils ne connaissent pas la situation, la situation c’est nous qui la connaissons ». Généralement, les rebelles sont dans leur quartier, celui où ils vivaient. Ensuite il y a des brigades qui se réclament de l’Islam et qui ne reconnaissent pas l’armée libre, comme les brigades de la paix qu’on a rencontrées, ce sont clairement des formations islamistes, on les entend crier "le djihad le djihad le djihad !" et les enseignements du prophète. Mais ce ne sont pas les plus durs, parce que tu as aussi les « Djihadistes », par exemple Le front de la victoire, ils viennent de partout, de Lybie, du Maroc de Tchétchénie, d’Algérie, des sortes de désespérados qui viennent parce qu’ils sont persuadés qu’ils sont sur une terre de djihad… ils ont le même modus operandi qu’Al-Qaïda, ils vivent seuls, ils ne se mélangent pas aux autres, ils mènent des opérations tous seuls, des opérations très audacieuses, ils sont dans Alep, ils ont commis des attentats à Damas, on voit qu’ils sont nombreux et partout. Alors ces gens-là on les accepte mais leur Islam ne correspond pas à l’Islam syrien, c’est clair que l’Islam qu’on a rencontré chez les rebelles est infiniment moins conservateur et moins violent, il y a donc différents degrés dans la référence à l’Islam dans le combat. Mais en même temps les rebelles les admirent pour leur courage, pour leurs armes, leur argent, leur force à aller au combat, ce sont des guerriers, ce sont des gens qui ont une expérience qui pèse dans le conflit et aujourd’hui chez les rebelles toute aide est bienvenue, ils nous ont dit « le monde occidental ne nous aide pas alors nous disons merci à tous ceux qui nous aide », y’en a même un qui disait «  chaque jour qui passe en l’absence de l’aide de la communauté internationale renforce le pouvoir des Islamistes, ce sont les Islamistes qui capitalisent parce qu’ils sont perçus comme les sauveurs ».
Zoom:
"C’est une guerre à huit clos" - Crédit : A. A-A
Justement, la "Communauté internationale", qu'en disent les rebelles que vous avez rencontrés ? 

Ce que les rebelles demandent à la communauté internationale au minimum ce sont des armes et des armes lourdes, anti-aériennes car le plus gros danger c’est l’aviation, c’est pourquoi ils veulent aussi des « no fly zone », des zones d’exclusion aériennes, parce que c’est clair que si les avions d’Assad ne peuvent plus voler et bombarder les zones et les villes contrôlées par les rebelles, le rapport de force sera complètement différent. Tous les jours les avions viennent bombarder et ils bombardent des quartiers où vivent des civils, ils bombardent des hôpitaux, cela fait partie de la stratégie du régime, ils veulent dégoûter la population - et les rebelles le reconnaissent-  le régime veut que la population se soulève contre les rebelles en leur disant « partez de nos quartiers, nous sommes bombardés à cause de vous ». Et le fait aussi que l’armée libre ne soit pas capable de pallier le retrait du gouvernement, que les gens n’aient plus de travail, plus de bouffe, donc y’a des gens qui disent « c’est l’anarchie, cette révolution elle est en train de tourner à l’anarchie ». Pour l’instant les rebelles ne peuvent se fournir en armes que par le marché noir, ou lors d’opérations audacieuses menées contre des casernes de l’armée syrienne, ou alors quand les déserteurs partent avec des armes avec eux.
Vous avez couvert l’Irak, le conflit au Proche-Orient, le Liban, le Pakistan, la Libye, l’Égypte et les soulèvements du printemps arabe, qu’est-ce-qui caractérise le conflit syrien selon vous ?
C’est une guerre à huit clos… en Irak, y’avait les interventions étrangères, la coalition. Par rapport à la Libye, ce conflit en Syrie fait beaucoup de victimes, on parle de 40 000 morts mais c’est un chiffre très conservateur. Ensuite c’est un pays où la situation interne est très complexe, les Sunnites, les Alaouites, les Chiites, les Druzes, les Chrétiens, les Kurdes, des Arméniens, des Assyriens donc une crainte pour ces minorités de savoir ce que serait leur place dans une Syrie dominée par les Sunnites. C’est aussi une guerre qui risque de déborder dans une région explosive, on est donc dans une sorte de guerre mondiale qui se déroule à l’échelle de la Syrie. En Égypte, le régime est tombé, les Frères Musulmans ont pris le pouvoir lors d’élections, en Syrie je ne suis pas sûr que cela sera aussi simple que ça. Demain on ne sait pas trop ce qui pourrait arriver, qui est vraiment cette armée libre, il n’y a pas non plus de leader ou de figure de proue qui se démarque…  http://www.tv5.org/cms/chaine-francophone/info/Les-dossiers-de-la-redaction/Syrie-2012/p-23760-Reporter-quebecois-en-Syrie-choses-vues.htm


08/12/2012
0 Poster un commentaire

A découvrir aussi


Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 76 autres membres