La ville dâOum-El-Bouaghi, dans lâEst algĂ©rien, sâest rĂ©veillĂ©e hier matin sur une tentative dâimmolation par le feu, sur une aurore froide chargĂ©e dâangoisse, dâinquiĂ©tude et de peur. En haut de la tour de la caserne de la Protection civile, un pompier, auquel la direction venait de signifier sa mutation dans une ville du sud, a menacĂ© de sâasperger dâessence et de sâimmoler. Il finit, aprĂšs promesse du wali, de renoncer Ă son suicide. Sofiane AĂŻt-Iflis - Alger (Le Soir) - M.K., agent de la Protection civile, percevant un salaire mensuel de 18 000 DA, fait partie du lot des gens ordinaires qui vivent dâoignons et dâeau pas toujours disponible. Avec un salaire Ă peine plus haut que le salaire national minimum garanti (SNMG), dans un pays oĂč 5 litres dâhuile coĂ»tent, aprĂšs intervention du gouvernement, 600 DA, M.K. devait Ă©prouver mĂȘme des difficultĂ©s Ă rĂȘvasser de lendemains meilleurs, tant est quâon ne dort pas dâun sommeil apaisĂ© quand on est dans pareille situation. La Direction de la Protection civile dâOum-El- Bouaghi ayant dĂ©cidĂ© par mesure disciplinaire de le muter vers une ville du Sud algĂ©rien, il a rĂ©solu, lui, de voyager pour lâĂ©ternitĂ©, de passer de vie Ă trĂ©pas. NâĂ©tait lâintervention du wali dâOum-El-Bouaghi, qui a su le persuader de renoncer Ă son suicide, M.K. aurait accompli son voyage. Un voyage quâil avait choisi dâentreprendre aux premiĂšres aurores. Câest Ă 5 heures du matin quâil a, en effet, escaladĂ© en haut de la tour de la caserne, armĂ© de bouteilles remplies dâessence, avec Ă lâidĂ©e de sâasperger et de sâimmoler. Il y est restĂ© jusquâaux environs de 8 heures, avant de daigner remettre les pieds sur terre au sens propre comme au figurĂ©. Le wali dâOum-El- Bouaghi, qui a accouru sur les lieux oĂč le drame se prĂ©parait, lui a promis de prendre en charge son cas et de solutionner son problĂšme. M.K. en est redescendu convaincu. ExtrĂȘme gravitĂ© dâune dĂ©sespĂ©rance sociale qui est allĂ©e crescendo au fil des annĂ©es, lâimmolation par le feu tend Ă gonfler la statistique en AlgĂ©rie. Samedi, soit la veille de cette tentative de suicide avortĂ©e, dans la ville miniĂšre de Boukhedra, dans la wilaya de TĂ©bessa, un jeune sâest immolĂ©, dĂ©contenancĂ© quâil a Ă©tĂ© par la rĂ©ponse du P/APC auprĂšs de qui il nâen finissait pas de solliciter un emploi. Le maire lui aurait suggĂ©rĂ© de prendre exemple sur le jeune Tunisien Mohamed Bouazizi, le jeune qui, en sâimmolant par le feu, a allumĂ© la rĂ©volte qui chassa du pouvoir Zine el Abidine Ben Ali. Le jeune Tebessi, Bouterfif Mohcene, ĂągĂ© de 27 ans et pĂšre de deux enfants, est malheureusement passĂ© Ă lâacte. Vendredi, câest Jijel qui a Ă©tĂ© le thĂ©Ăątre dâune tentative dâimmolation par le feu. Un jeune, ĂągĂ© de 26 ans, sâest aspergĂ© dâessence et sâest brĂ»lĂ© dans le centre-ville. Le mĂȘme jour, un autre jeune a incendiĂ© le logis de fortune quâil partageait avec sa famille dans la commune de AĂŻn BĂ©nian. Ce jeune, qui a vu son pĂšre subir des brĂ»lures dans lâincendie, a commis son geste par dĂ©pit, du fait dâune situation sociale prĂ©caire. Trois jours auparavant, Ă Bordj-MenaĂŻel, dans la wilaya de BoumerdĂšs, un jeune, non retenu parmi les bĂ©nĂ©ficiaires de logements sociaux, sâest immolĂ© dans le bureau mĂȘme du chef de daĂŻra. Ăa faisait 11 ans que ce jeune attendait dĂ©sespĂ©rĂ©ment lâattribution dâun logement social. Bien avant que le jeune Tunisien Mohamed Bouazizi ne sâimmole, des AlgĂ©riens y avaient recouru. Lâon se rappelle ce citoyen de Djelfa qui a tentĂ© de sâimmoler par le feu en 2005, dans lâenceinte mĂȘme de la maison de la presse Tahar-Djaout. AprĂšs lui, dâautres citoyens ont recouru au mĂȘme procĂ©dĂ© pour mettre fin Ă leurs jours, Ă leurs souffrances. En juin dernier, câest au niveau du tribunal de Hussein-Dey quâun vieux, objet dâune expulsion de son local commercial, sâest aspergĂ© dâessence et a menacĂ© de gratter un bĂąton dâallumette. Forte symbolique de la dĂ©tresse sociale que ces immolations Ă rĂ©pĂ©tition. Plus forte que cette mutilation Ă laquelle avait recouru un citoyen de Bordj-Bou- ArrĂ©ridj qui, rongĂ© par la honte dâun homme incapable de nourrir sa progĂ©niture, faute dâemploi, sâest coupĂ© la verge. Ces immolations par le feu, ces mutilations sont autant de cris dâalarme dans une sociĂ©tĂ© qui vit mal, oĂč les libertĂ©s sont bĂąillonnĂ©es, le pouvoir dâachat insupportablement Ă©rodĂ©. Lâon sait de fraĂźche rĂ©volution que lorsque se perpĂ©tue ce genre de suicides, les dĂ©flagrations sociales ne sont pas loin. S. A. I.
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