Dix idées fausses sur le séisme et le tsunami au Japon
Petite mise au point sur quelques principes géologiques mis à mal par le battage médiatique autour de la catastrophe japonaise.
Depuis le séisme du Japon, et comme à chaque évènement naturel catastrophique, il faut se farcir les évidences assénées de bonne foi par des experts de café du commerce, du genre : « Ah ! ben c'est quand même pas croyable, avec la tectonique des plaques on peut quand même prévoir les tremblements de terre » ou « il n'y a eu aucun séisme majeur en France depuis 1000 ans », ou encore « personne n'imaginait qu'il pouvait y avoir un tel séisme à cet endroit ».
Une petite mise au point s'impose, maintenant que le gros du battage médiatique est retombé, sur quelques principes géologiques simples.
A Tokyo, le séisme ressenti fut de magnitude 6
FAUX. Il s'agit d'une confusion entre deux échelles : celle des magnitudes, qui correspond à l'énergie relâchée par le séisme, et l'échelle de MSK [2] (ou l'ancienne échelle Mercali), qui attribue une intensité (notée en chiffres romains) qui correspond à la façon dont un séisme a été ressenti en un lieu donné. Une intensité de V réveille les dormeurs, une intensité de IX provoque des destructions importantes.
Dans le cas du séisme du Japon, l'intensité ressentie à Tokyo fut donc de VI voir VII sur l'échelle MSK : « les meubles sont déplacés », « quelques lézardes apparaissent sur les édifices ».
La magnitude d'un séisme, quant à elle, est une valeur absolue, indépendante de la distance à l'épicentre. Regardons ce que nous dit Wikipédia :
« La magnitude d'un tremblement de terre mesure l'énergie libérée lors d'un tremblement de terre. […] Il s'agit d'une échelle logarithmique, c'est-à -dire qu'un accroissement de magnitude de 1 correspond à une multiplication par 32 de l'énergie et par 10 de l'amplitude du mouvement.
Les médias grand public l'indiquent souvent sur l'échelle de Richter ou sur l'échelle ouverte de Richter. Ces terminologies sont impropres : l'échelle de Richter, stricto sensu, est une échelle dépassée et uniquement adaptée aux tremblements de terre californiens.
Les magnitudes habituellement citées de nos jours sont en fait des magnitudes de moment (notées Mw) […] directement reliées à l'énergie libérée lors du séisme. Des lois d'échelle relient cette magnitude de moment aux paramètres géométriques du séisme (surface rompue et quantité de glissement sur la faille). […] »
On peut prévoir les tremblements de terre
FAUX. Les connaissances géologiques, basées sur les mouvements des plaques tectoniques, sur la cartographie de failles, sur les séismes passés, ne peuvent nous renseigner que sur les probabilités de séisme.
Par exemple, on sait qu'il est plus probable d'avoir un séisme le long de la faille de San Andreas [3] que dans le bassin parisien. Et c'est encore plus vrai pour un « gros » séisme. De même, il est possible d'identifier le long d'une faille majeure les « gaps sismiques », c'est-à -dire les zones qui ne se sont pas rompues depuis longtemps, là où les contraintes se sont le plus accumulées, et là où un séisme est le plus probable.
Pour prévoir un tremblement de terre, il faudrait connaître parfaitement, en tous points (en surface et en profondeur) :
- les contraintes accumulées partout sur la faille ;
- le couplage de la faille (la « force » avec laquelle la faille « bloque » ; si elle ne bloque pas, le mouvement est continu et il n'y a pas de séisme) ;
- la géométrie de la faille et de toutes les failles associées.
Il est possible de faire une analogie avec la climatologie : il est plus probable d'avoir un orage en août à Marseille qu'en mars à Paris, mais il n'est pas possible de dire quand auront lieu les orages longtemps à l'avance.
Malheureusement, contrairement aux orages, la prédiction à court terme (quelques jours à quelques minutes) des séismes est pour l'instant exploratoire et aucune étude n'est assez avancée pour permettre la lourde responsabilité politique d'ordonner une évacuation, ni même de publier un article dans Nature prévenant de l'imminence d'un séisme pour le prochain numéro…
Personne n'imaginait qu'il pouvait y avoir un séisme à cet endroit quand les centrales ont été construites
FAUX. Comme détaillé dans le point précédent, les zones sismiques sont connues depuis longtemps, surtout dans les régions du globe où les gros séismes sont suffisamment fréquents pour rester constamment dans les mémoires.
A l'époque où les centrales de Fukushima [4] ont été construites (dans les années 60), la théorie de la tectonique des plaques était balbutiante (théorisée par Wegener [5] en 1915, prouvée en 1968 par une équipe internationale).
Cette théorie, aujourd'hui incontournable, a permis d'unifier les différentes observations géologiques (localisation des séismes, anomalies magnétiques du plancher océanique, similitudes des fossiles de part et d'autre des océans, etc.), mais la sismologie n'a pas attendu l'unification permise par cette théorie pour être une science à part entière.
Dans le cas du Japon, la zone était particulièrement connue pour ses séismes fréquents, et pour le risque de séisme majeur et de tsunami. Le séisme de Kanto [6] en 1923 (Mw=7,9), responsable de la destruction de la ville de Tokyo, a même affecté une zone située juste au sud du séisme du 11 mars dernier.
Enfin, au moment de la construction des centrales, les deux plus gros séismes de notre histoire moderne ont eu lieu au Chili (1960, Mw=9,5) et en Alaska (1964, Mw=9,2). On savait donc, dès les années 60, que des séismes de Mw>9 étaient possibles et pouvaient affecter les zones périphériques de la plaque pacifique.
La puissance du séisme du Japon est absolument unique
FAUX. Pour impressionnant qu'il soit, le séisme du Japon semble être le quatrième plus gros depuis le début du XXe siècle (le plus récent étant celui de Sumatra en 2004, Mw=9,1).
En d'autres termes, c'est un phénomène très fréquent à l'échelle géologique et même humaine (les estimations données ici sont basiques, et basées uniquement sur une fréquence de quatre séismes de magnitude supérieure à 9 par siècle) : plus de 80 séismes de cette magnitude ont eu lieu depuis le début de notre ère. Plus de 600 depuis la fin de la dernière période glaciaire et, si on extrapole encore, plus de 80 000 séismes de cette magnitude ont pu être ressentis par les hommes et les mammouths laineux depuis le début du Quaternaire…
Personne n'envisageait qu'un séisme Mw>9 pouvait avoir lieu au Japon
FAUX. Les deux questions précédentes relevant de l'histoire mondiale de la sismologie, elles peuvent être facilement détournées en se disant : « On sait maintenant que les séismes extrêmes (Mw>9) existent mais on ne pensait pas que c'était possible au Japon. »
Pourtant, en dehors des considérations historiques et nucléaires, l'étude approfondie du mécanisme des plaques dans le monde nous apporte beaucoup d'éléments pour prévoir les zones à risques.
Pour provoquer un séisme d'une telle magnitude, il faut plusieurs paramètres :
- une vitesse de convergence entre les deux plaques très importante (Chili, 8 cm/an ; Alaska, 5,5 cm/an ; Sumatra, 6 cm/an) ;
- une longueur de faille de plusieurs centaines de kilomètres ;
- un glissement sur la faille qui est bloqué la plupart du temps.
Dans la moitié nord du Japon, la convergence est de 8 cm/an, la zone de subduction fait plus de 2 000 km de long et il n'y avait pas eu de séisme majeur depuis plusieurs siècles. Tous les éléments sont donc réunis pour envisager qu'un tel séisme puisse se produire à cet endroit.
Si cela fait plusieurs siècles qu'il n'y a pas eu de séisme majeur, deux hypothèses pouvaient être envisagées :
- la zone de subduction glisse sans frottement et les 8c m/an de convergence sont absorbés chaque année sans produire de séismes. Cela paraît peu probable car la zone est sismiquement très active ;
- la zone de subduction est complètement bloquée et encaisse chaque année 8 cm/an de convergence. C'est plus ou moins l'énergie libérée lors d'un séisme de Mw=7. Comme il faut 32 fois plus d'énergie pour produire un Mw=8 et 1 000 fois plus d'énergie pour un Mw=9, on peut en déduire que plusieurs siècles de blocage ne sont pas loin de correspondre à l'énergie libérée lors du séisme du 11 mars.
En recoupant les connaissances actuelles sur la dynamique des plaques, les observations lors des trois autres séismes extrêmes et l'histoire sismique du nord du Japon, il était possible d'imaginer un séisme d'une telle ampleur à cet endroit. C'est plus facile à dire après-coup, mais l'hypothèse ne pouvait certainement pas être écartée, surtout pour construire des centrales nucléaires.
On ne pouvait pas imaginer un tsunami d'une telle puissance
FAUX. Le Tsunami, engendré à la suite du séisme, a formé des vagues estimées à plus de 15mètres de hauteur dans les secteurs les plus exposés de la côte est du Japon.
On peut lire régulièrement dans les articles qu'une telle puissance n'était pas imaginable. Pourtant, suite aux précédents séismes de magnitude supérieure à 9, on a observé des vagues atteignant largement les hauteurs constatées au Japon (25 m en 1960 au Chili, 15 m en 1964 en Alaska et 20 m en 2004 en Indonésie). On sait donc que les séismes les plus importants depuis cinquante ans sont tous à l'origine d'un tsunami majeur qui a dévasté les côtes proches de l'épicentre.
Pire, au Japon, le séisme d'Hokkaido-Nansei-Oki [7] en 1993 (Mw=7,8), est à l'origine d'un important tsunami qui a dévasté les côtes de l'île d'Okushiri et qui a atteint la cote maximale de 31m ! Les autorités japonaises ont depuis construit une digue le long d'une grande partie des côtes pour protéger les villages et les ports.
Il est donc difficile d'imaginer que les japonais, à la pointe de la recherche et de la modélisation sur les tsunamis, n'aient pas évalué les risques sur l'ensemble de leurs côtes suite à ces évènements catastrophiques.
Les dégâts sont proportionnels à la magnitude d'un séisme
VRAI ET FAUX. Il est clair que plus l'énergie libérée par un séisme est importante, plus les dégâts peuvent être importants.
Les destructions sont provoquées par le passage des ondes sismiques, qui provoque une accélération du sol, des cisaillements, des déformations. De la nature de ces ondes (fréquences, amplitudes) dépendent les contraintes auxquelles sont soumis les bâtiments. Cela dépend de la nature de la source sismique (le style de faille, la durée du séisme, etc.), de la distance à l'hypocentre et des « effets de site ».
Il est intuitif de percevoir que plus l'on s'éloigne de la source sismique, plus l'énergie du séisme est distribuée dans un grand volume, et moins l'effet est important. Un petit séisme très superficiel peut provoquer des dégâts plus importants qu'un séisme très puissant dont l'hypocentre est profond et loin des côtes. Les effets de site sont liés à la géométrie des formations géologiques qui peuvent focaliser et amplifier les ondes sismiques.
Par exemple, le séisme de Mexico en 1985 fut particulièrement destructeur (plus de 10 000 morts) malgré la distance à l'épicentre (350km, Mw=8,1), la ville étant construite sur un bassin sédimentaire dont les dimensions ont agi comme une caisse de résonnance.
Enfin, la qualité des infrastructures et la densité de ces infrastructures sont des paramètres fondamentaux : le séisme de Bam en Iran (Mw=6,6, 2003, plus de 26 000 morts) a détruit une ville faite de maisons de terre, qui ont moins bien vécu le passage des ondes sismiques que les buildings parasismiques tokyoïtes. (Voir la vidéo)
Les séismes de Christchurch en Nouvelle-Zélande (2010 et 2011) illustrent également bien que les dégâts ne sont pas proportionnels aux magnitudes : le séisme de 2010 (Mw=7,1) n'a causé que relativement peu de dégâts, alors qu'une de ses répliques, six mois plus tard (Mw=6,3), a sérieusement endommagé la ville et causé plus de 180 morts.
Il ne peut pas y avoir de séisme important en France
FAUX. De nombreux médias et personnages politiques nous disent qu'il n'y a aucun risque de séismes majeurs en France, qu'aucun n'a eu lieu depuis plus de 1000 ans et que nos centrales sont prévues pour supporter des séismes de magnitude entre 5 et 6.
Il suffit pourtant de remonter en 1909 pour retrouver trace d'un séisme estimé à Mw=6,2, le séisme de Lambesc [8] en Provence. Celui-ci a provoqué la mort de 46 personnes et les dégâts ont été estimés à plusieurs millions de francs. L'intensité est quant à elle estimée à la magnitude IX (échelle MSK), ce qui correspond aux dégâts suivants : « Les maisons s'écroulent. Les canalisations souterraines sont cassées. »
Si on continue nos recherches à travers l'histoire, au cours des six derniers siècles, on retrouve de nombreuses traces de séismes [9] qui auraient atteint voire dépassé l'intensité VIII, principalement dans les Pyrénées, la région de Lambesc et la région de Roquebillière. En Suisse, l'intensité MSK du séisme de Bâle (1356) est estimée à IX-X (« Les maisons s'écroulent. Les canalisations souterraines sont cassées. Destruction des ponts et des digues. Les rails de chemin de fer sont tordus. »), pour une magnitude estimée à 6,2 - 6,7.
Un siècle après le séisme de Lambesc, le séisme de l'Aquila [10] (Italie, 2009, Mw=6,3, 308 morts) a provoqué des dégâts très importants pour une magnitude (Mw=6,3) et une intensité proches (VIII sur l'échelle MSK).
Il ne peut pas y avoir de séisme à l'intérieur des plaques tectoniques
FAUX. La communauté scientifique a longtemps pensé que les régions de la Terre situées loin des limites de plaques n'étaient pas ou peu soumises à l'activité sismique. On considérait que les plaques étaient rigides et que la déformation s'appliquait uniquement aux limites.
Depuis l'avènement des techniques géophysiques modernes (comme le GPS), on a découvert que la déformation affectait également l'intérieur des plaques. En 1988, en plein cœur du Québec, un séisme de Mw=5,9 a mis en lumière la possible activité sismique loin des limites de plaques. Plus loin dans l'histoire du Québec, en 1663, un séisme aurait atteint la magnitude 7.
Plus proche de nous, si on regarde la sismicité de la France depuis 1964 [11], on constate que le sud de la Bretagne et la Vendée sont sismiquement très actifs et produisent régulièrement des séismes de Mw>5. Bien que ces régions soient loin des zones tectoniques reconnues (Alpes, fossé rhénan et Pyrénées), il existe de nombreuses failles très anciennes qui sont réactivées régulièrement (la faille sud-armoricaine notamment) malgré les faibles contraintes.
Beaucoup de paramètres entrent en jeu dans ces séismes intra-plaques : les paramètres mécaniques des roches, la réactivation de failles méconnues…
Nous ne sommes qu'au début de la compréhension de ces phénomènes et il est très hasardeux d'affirmer qu'aucun séisme majeur n'arrivera dans les zones que l'on considère actuellement comme stables.
Il est facile d'édicter des normes parasismiques suffisamment strictes pour que l'on soit à l'abri
VRAI ET FAUX. Pour déterminer les normes parasismiques, il faut étudier les failles existantes, et estimer la longueur maximale capable de se rompre en une seule fois. Il faut également étudier les séismes passés et la distribution de leur magnitude pour pouvoir estimer la fréquence de récurrence des gros séismes. Pour cela, on utilise la distribution de la magnitude des petites séismes qui permet d'estimer la probabilité d'un gros séisme. Il faut aussi estimer ces effets locaux, qui eux-mêmes dépendent des caractéristiques de la source sismique… un casse-tête.
Les cartes de sismicité sont présentées sous la forme de probabilités, et montrent le risque qu'une accélération supérieure à un certain seuil se produise tous les – par exemple – 100 ans. Les normes si l'on veut construire un cabanon de jardin ou une centrale nucléaire ne sont pas les mêmes : si l'on veut être prudent, on peut utiliser la probabilité – très faible – d'un évènement très puissant, mais les coûts deviennent vite très importants.
La probabilité d'un séisme de magnitude supérieur à 6 en France est faible. Faible mais pas nulle. Cette probabilité est peut-être comparable à la probabilité d'un séisme de magnitude 9 au Japon.
Alors, quelles normes utiliser pour construire un hôpital, une centrale nucléaire [12] ou une porcherie ?
Photo : un homme pousse un charriot avec ses affaires à Kamaishi, le 25 mars 2011 (Carlos Barria/Reuters).
Links:
[1] http://www.rue89.com/planete89
[2] http://fr.wikipedia.org/wiki/Échelle_Medvedev-Sponheuer-Karnik
[3] http://fr.wikipedia.org/wiki/Faille_de_San_Andreas
[4] http://www.rue89.com/tag/fukushima
[5] http://fr.wikipedia.org/wiki/Alfred_Wegener
[6] http://fr.wikipedia.org/wiki/Séisme_de_1923_de_Kantō
[7] http://geot.civil.metro-u.ac.jp/archives/eq/93hokkaido/index.html
[8] http://planet-terre.ens-lyon.fr/planetterre/XML/db/planetterre/metadata/LOM-seisme-Lambesc-1909.xml
[9] http://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_des_tremblements_de_terre_en_France
[10] http://fr.wikipedia.org/wiki/Séisme_de_2009_à _L'Aquila
[11] http://www.franceseisme.fr/images/CarteSismicite_BCSF_1964-2008_w.jpg
[12] http://reneblanchemanche.blogspot.com/2011/03/japon-la-catastrophe-nucleaire-avait.html
[13] http://www.rue89.com/tag/seisme
[14] http://www.rue89.com/2011/03/13/des-milliers-de-morts-et-la-peur-dun-drame-nucleaire-au-japon-194403
[15] http://eost.u-strasbg.fr/pedago/fiche1/magnitude.fr.html
[16] http://fr.wikipedia.org/wiki/Séisme_de_2011_de_la_côte_Pacifique_du_Tōhoku
[17] http://isterre.fr/article482.html