Les clivages politiques qui caractĂ©risent la corporation font quâelle nâa jamais Ă©tĂ© en mesure de se doter dâune reprĂ©sentation syndicale pour dĂ©fendre son statut professionnel et ses intĂ©rĂȘts matĂ©riels.
Ă la veille de la JournĂ©e internationale de la presse, la corporation des journalistes algĂ©riens a perdu deux de ses meilleurs Ă©lĂ©ments. Mohamed Issami, de son vrai nom Mohamed Rouabhi, a en effet Ă©tĂ© retrouvĂ© mort le 19 avril dernier, dans sa chambre Ă lâhĂŽtel El-Manar de Sidi-Fredj. Ce spĂ©cialiste des questions sĂ©curitaires, auteur dâun livre sur le fondamentalisme religieux, Au cĆur de lâenfer, sâen est allĂ© Ă lâĂąge de 61 ans, sans achever lâĆuvre quâil a commencĂ©e sur le terrorisme. Ă peine six jours passĂ©s, quâune autre mauvaise nouvelle est annoncĂ©e : notre consĆur Baya Gacemi, 59 ans, est dĂ©cĂ©dĂ©e Ă Paris, suite Ă une maladie respiratoire. Cette journaliste au parcours remarquable est Ă©galement auteure de Moi, Nadia, femme dâun Ă©mir du GIA, un ouvrage traduit en plusieurs langues. Mais la liste nĂ©crologique est encore longue. Outre la centaine de journalistes assassinĂ©s par les groupes intĂ©gristes, pour avoir dĂ©fiĂ© les âloisâ de lâintolĂ©rance, bon nombre de confrĂšres et de consĆurs ont quittĂ© ce monde brutalement des suites dâarrĂȘt cardiaque ou de maladies chroniques. Ils Ă©taient, pour la plupart, victimes des conditions de vie et de travail dĂ©plorables et/ou du harcĂšlement suscitĂ© par leur mĂ©tier. Comme en octobre dernier, un mois marquĂ© dâailleurs par la disparition terrible du journaliste Chawki Madani, Ă lâĂąge de 53 ans, le dĂ©cĂšs de Mohamed Issami et de Baya Gacemi nous interpelle, une fois encore, sur lâexercice de notre mĂ©tier devenu, par la force des choses, une profession Ă haut risque, voire un vivier de maladies. EnfermĂ©s continuellement dans un monde fait de stress, de salaires infamants, calculĂ©s loin de la courbe ascendante des bilans des employeurs, dâheures de travail dĂ©stabilisantes, dâabus et de pressions multiples, la plupart de ces journalistes nous ont quittĂ©s dans un silence assourdissant, comme une derniĂšre action de dĂ©nonciation dâun mĂ©tier que lâon qualifie dâingrat. Un rapport rĂ©alisĂ©, en 2009, par la Ligue algĂ©rienne de dĂ©fense des droits de lâHomme (LADDH), en partenariat avec le groupe arabe pour le Monitoring des mĂ©dias (AWGMM), fait part du âphĂ©nomĂšne de la pauvretĂ© et la misĂšre socialeâ vĂ©cues par les journalistes algĂ©riens. Il relĂšve notamment un âgrand Ă©cartâ entre les salaires des Ă©diteurs de journaux et ceux des journalistes, en justifiant en partie cela par âla perception de la libertĂ© (quâont) les Ă©diteurs et leur intĂ©rĂȘt pour les revenus gĂ©nĂ©rĂ©s de la publicitĂ©â. La situation des journalistes correspondants est encore plus dramatique. Une Ă©tude rĂ©alisĂ©e, cette annĂ©e, par lâuniversitĂ© dâAlger, rĂ©vĂšle que plus de 85% des journalistes correspondants sont payĂ©s moins de 150 $ par mois. Pire, plus de 75% dâentre eux ne sont pas affiliĂ©s Ă la SĂ©curitĂ© sociale et ne bĂ©nĂ©ficient donc pas d'une assurance maladie, si lâon en croit Boujemaa Redouane, universitaire et rĂ©dacteur du rapport Monitoring des mĂ©dias. Mais, il ne faut pas se voiler la face : la situation est connue de tous, des pouvoirs publics aux organes dâinformation, en passant par les journalistes eux-mĂȘmes. La preuve, lâan dernier, une jeune consĆur de La Tribune des lecteurs a mĂȘme Ă©tĂ© licenciĂ©e et menacĂ©e de poursuites judiciaires, par son employeur, pour avoir tĂ©moignĂ© dans les colonnes dâun quotidien sur les conditions socioprofessionnelles. Que dire aussi de ces journalistes sans logement ou de ceux installĂ©s âprovisoirementâ dans des hĂŽtels sĂ©curitaires, pendant la dĂ©cennie rouge, dont le sort est suspendu ? Les uns comme les autres ne vont pas sortir indemnes de ces sentiers douloureux. Comme on le voit, plusieurs raisons ont contribuĂ© Ă fragiliser le journaliste, censĂ© ĂȘtre un faiseur dâopinion et un Ă©claireur, principalement lâabsence de loi nationale rĂ©gissant la profession, dans cette phase de transition, celle dâun organe de dĂ©ontologie, lâinexistence de syndicats reprĂ©sentatifs, pour se pencher sur les droits matĂ©riels et moraux du professionnel de lâinformation.
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