L'Iran s'oriente vers un duel sans merci Ahmadinejad-Moussavi
L'Iran s'oriente vers un duel sans merci Ahmadinejad-Moussavi
Par Vincent Hugeux, publié le 11/06/2009 07:00 - mis à jour le 11/06/2009 12:02
A la veille du premier tour de l'élection présidentielle iranienne, les foules se mobilisent pour soutenir les deux favoris: le président sortant Mahmoud Ahmadinejad et l'ancien Premier ministre Mir Hossein Moussavi.
Ca chauffe, ça bout, ça brûle. A l'approche du 12 juin -22-Khordad selon le calendrier persan-, date du premier tour du scrutin présidentiel, la campagne électorale s'est emballée, tandis que la joute se polarisait en un duel entre le sortant Mahmoud Ahmadinejad et le "conservateur modéré" Mir Hossein Moussavi.
Bien sûr, des règles strictes corsètent en Iran la compétition démocratique, réservée à une poignée de candidats mâles jugés loyaux envers les dogmes de la République islamique; ainsi le Conseil des gardiens de la Constitution n'a-t-il adoubé que quatre prétendants sur 475, révoquant les 42 femmes en lice.
Reste que les 46 millions de citoyens appelés aux urnes ont été les témoins d'une bataille acharnée, où le quatuor des "qualifiés", à commencer par le populiste ultra-conservateur Ahmadinejad, aura puisé largement dans l'arsenal des coups tordus et des anathèmes.
Insultes, accusations réciproques de mensonges, menaces de procès en diffamation: rien ne manqua. Pas même les batailles rangées entre partisans des deux favoris.
Lundi, tandis que les disciples de l'ancien Premier ministre Moussavi formaient une chaîne humaine le long de la légendaire avenue Vali-Asr, qui court sur 18 km du nord au sud de Téhéran, le meeting des fans d' "Ahmadi" virait au tribunal populaire. On y a même entendu des "Moussavi menteur!" et des "Makhbar Hachémi!" (A mort Hachémi!), allusion à l'ex-président Hachémi Rafsandjani, l'un des procureurs les plus implacables de celui qui l'a balayé lors du second tour du scrutin de 2005.
Des débats télévisés inédits
Le recours, inédit au pays des mollahs, aux débats télévisés, a grandement contribué à aiguiser les antagonismes. Même lestés par un rituel rigide -une alternance de longs monologues-, ces directs ont confirmé la propension du sortant au basisme et à la provocation.
Témoin, son face-à -face du 3 juin avec Moussavi, au terme duquel il brandit à l'écran des dossiers censés étayer ses accusations de corruption à l'encontre des alliés de son rival -à commencer par la famille Rafsandjani-, ou mettre en doute la validité du doctorat en sciences politiques détenu par son épouse Zahra Rahnavard, sans pour autant nommer celle-ci...
Pas sûr qu'un tel coup de Jarnac nuira à Mir Hussein Moussavi. Lequel, malgré un charisme indécelable, une élocution souvent laborieuse et un accent azéri qui trahit son origine et suscite au sein des élites quelque ironie, ravive un élan inattendu au sein de la jeunesse urbaine. Notamment dans cette génération qui, dépitée par le délitement des espoirs incarnés par le réformiste Mohammad Khatami, s'était jurée de déserter à jamais l'arène politique.
Des cohortes tapageuses et enjouées ont ainsi envahi les artères de la capitale, égayées de vert vif, la couleur choisie par le clan Moussavi. Celui-ci, à l'unisson de Mehdi Karroubi, candidat réformateur, a d'ailleurs fustigé les contrevérités d'un sortant qui "dit que le noir est blanc et que deux et deux font dix", "ment au nom de la religion" ou "manipule les statistiques et les graphiques" afin de maquiller un bilan économique calamiteux.
Getty Images/AFP
Les partisans de Mir Hossein Moussavi annoncent la couleur...
Reflet de son goût immodéré de la provocation et de l'outrance, l'agression verbale d'Ahmadinejad témoigne d'une indéniable nervosité. Car il s'en prend ainsi à celui qui fut le Premier ministre -fonction abolie depuis lors- du Guide suprême Ali Khamenei, au temps où ce dernier occupait la présidence.
De même, Rafsandjani, lui aussi ex-président, demeure l'un des acteurs les plus en vue de l'échiquier iranien, puisqu'il dirige le Conseil de discernement, influente instance d'arbitrage. Dans un geste là encore sans précédent, Hachémi Rafsandjani a écrit une lettre au Guide, dans laquelle il déplore son silence et met en garde contre les troubles que pourrait déclencher la campagne "diffamatoire" dirigée contre son clan.
De même, celui qu'on surnomme en Iran "le Requin" a vainement exigé un droit de réponse à la télévision d'Etat. Ahmadinejad -qui l'eût cru?- a eu plus de chance: lui s'est vu autorisé à s'exprimer à la télévision mercredi soir, soit une trentaine d'heures avant l'ouverture du scrutin, récusant durant 20 minutes les griefs de ses trois rivaux. Lesquels ont décliné "l'offre" qui leur avait été faite: une intervention de 103 secondes pour Moussavi, 76,5 secondes pour Karoubi et 70 pour Rezaï...
Ultime revue des troupes à quelques heures de l'ouverture du scrutin, dont l'issue dépendra pour l'essentiel du niveau de participation. Qu'un front "TSM" (Tous sauf Mahmoud) émerge, et Ahmadinejad peut mordre la poussière, fût-ce au second tour. Qu'une frange des déçus du Khatamisme s'abstienne, et il peut hériter d'un nouveau mandat de quatre ans.
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