La Santé 2.0 soigne les bobos
La Santé 2.0 soigne les bobos
Une petite synthèse de la Santé 2.0 après le World of Health IT (WoHIT) à Barcelone les 15, 16, 17 et 18 mars et le Congrès du MEDEC à Paris les 17, 18 et 19 mars derniers.
Alors que l’on voit fleurir le fameux suffixe numérique "2.0" sur tous les termes à la mode, que signifie réellement la « santé 2.0 » ?
Selon la définition large qu’en donne Scott Shreeve, il s’agit d’un concept nouveau bousculant les paradigmes habituels, s’appuyant sur le réseautage (social networking), où tous les acteurs (patients, médecins, fournisseurs et payeurs) développent des moyens innovants pour améliorer l’accès à la santé, son prix et sa qualité. Ces leviers sont laconcurrence entre les fournisseurs de soins, lacommunication transparente à grande échelle, uneinformation ubiquitaire basée sur les preuves.
En réalité, la notion de Health 2.0, comme celle deWeb 2.0, est un phénomène encore récent et reste assez vague soit parce que l’on ne sait pas trop réellement de quoi l’on parle soit parce que l’on parle de ce que l’on ne sait pas encore…
1. Un panorama de la santé 2.0
les communautés virtuelles
Avec près de 20 millions d’abonnés en haut débit, la France n’a pas raté la révolution du Web 2.0 initiée aux États-Unis (La France accueillera d’ailleurs les 6 et 7 avril prochains la conférence Health 2.0.) : dans le genre de FaceBook pour les médecins, on trouve Sermo (UK), ou Santelog (Fr.) ; de même pour les patients avec PatientsLikeMe (US) ou Le guide Santé (Fr.). Ces communautés sont parfois centrées autour de pathologies précises (le cancer, la psychothérapie, etc.).
Ces sites permettent à des individus anonymes de rencontrer et d’échanger avec d’autres individus, témoignant et partageant le même intérêt pour une maladie donnée. De surcroît, ils permettent également de trouver une information médicale partagée par les professionnels avec les patients : le site Bonjour Docteur, animé par le médiatique Michel Cymès, ou 3G Doctor qui permet de trouver un médecin directement.
En Grande-Bretagne, les patients peuvent même s’exprimer sur le site de la NHS et formuler leurs critiques en ligne. Mais, en France, l’échec d’une notation des professionnels de santé (De Pange Marie-Françoise, « Notation des médecins, Surveillez le bouche à oreille 2.0 », le Quotidien du Médecin n°8653, lundi 9 novembre 2009.) comme GoogleMaps et Qype marque les limites du tout 2.0.
les wikis
Une autre (r)évolution concerne le savoir médical et paramédical à la portée des individus et des patients. C’est le cas de la wikisanté, encyclopédie alimentée par la communauté, ou de radiopaedia, où chacun peut soumettre sa radio à l’expertise de la communauté. On peut même, sans prescription, s’automédiquer à l’aide d’un médicament selon ses symptômes sur Pickka directement sur son IPhone.
L’excellente analyse de Dominique Dupagne sur la médecine 2.0 cerne un aspect essentiel de cette nouvelle vague : la sagesse collective communautaire. Pour simplifier, face à une question donnée, les réponses sont évaluées qualitativement par la majorité. Cette majorité pondérée des réponses apportées détrône, y compris pour les médecins (interrogés par D. Dupagne), l’avis d’experts (notamment celui de la HAS).
Cette connaissance doxique du savoir, plus sélectionnée par le bon sens populaire et la voix du peuple que fondée par l’expertise d’un sage, apporte des réponses riches mais globales et, de fait, reste profondément éloignée d’un diagnostic ciblé et précis, propre à chaque individu.
2. Un changement de paradigme en médecine
Philippe Ameline, dans une de ses notes, propose une synthèse explicative sur ce changement de paradigme majeur dans le champ de la santé. « En cinquante ans, le progrès technologique a permis une expansion considérable du savoir, mais a également éloigné les acteurs, à la façon dont deux points tracés à quelques centimètres l’un de l’autre à la surface d’un ballon de baudruche s’écartent à mesure qu’on le gonfle, les différentes spécialités médicales sont aujourd’hui à des distances considérables en terme de connaissance. (…) Une vision nouvelle peut naître de la conscience que la médecine devra s’accommoder de la complexité et qu’en se perdant dans les détails elle renonce à la compréhension systémique. (…) Si un nouveau paradigme doit émerger, les premières fissures viendront de la pression extrinsèque engendrée par l’évolution de la population ; vieillissante et prenant de l’embonpoint, elle développe des pathologies chroniques qui nécessitent un suivi coordonné pluridisciplinaire. »
L’hyperspécialisation des sciences médicales, corrélée avec l’émergence du patient en tant qu’individu, marque la fin des blockbusters et la distribution massive de traitement pour une population ou une pathologie donnée. Par exemple, chaque tumeur est un système génétiquement unique appelant une réponse adéquate et pertinente pour chaque individu. Cette personnalisation de la démarche et l’hyperspécialisation médicale participent d’un changement de paradigme kuhnien. Et la santé 2.0 semblerait accompagner cette révolution.
3. Un déluge de données face à l’humain
L’individu, le patient –sacré par la loi HPST– est submergé par l’information médicale qu’il trouve sur Internet, même si le Web 2.0 tamise ces sources en indexant les plus appréciées ou les plus citées, ou réunit professionnels et patients par des communautés virtuelles. La question qui se pose est letraitement doxique de l’information : ce n’est plus l’expert, extérieur, qualifié qui accrédite une information, c’est le comportement général des internautes qui gratifie ou non un "hit parade" des meilleures contributions. C’est un système endogène qui s’autoévalue en permanence. Ce n’est pas l’internaute lui-même qui plébiscite (même s’il peut le faire), c’est son comportement passif. La navigation est comportementale et cible davantage chaque internaute. Ce n’est plus l’aréopage de sages qui juge, c’est la masse dans son ensemble, sans hiérarchie.
En outre, le sacerdoce hippocratique n’est plus clos ; il est morcelé en une myriade de champs qui appellent à se fédérer autour de pratiques de plus en plus transdisciplinaires. Si d’aucuns renonceront à appréhender la complexité du vivant dans son ensemble, pour traiter une pathologie chronique aux déterminants multiples, il est nécessaire de trouver les outils de diagnostic communs aux professionnels autour du patient. Et pour apporter une réponse globale et transdisciplinaire à un individu particulier, se pose la question de la compréhension de l’information et de son interopérabilité. La médecine 2.0 n’est-elle pas tentée de réaliser son rêve de rendre possible la compréhension totale du fonctionnement du vivant ? Gageons, néanmoins, que les connaissances médicales morcelées trouvent dans la médecine 2.0 un outil communicationnel ubiquitaire qui comble leurs lacunes. Bref, un moyen plus qu’une fin en soi.
La médecine 2.0 s’adresse à un patient 2.0, acteur de sa santé. Même si Google évolue en qualité pour proposer des réponses pertinentes à chaque requête, encore faut-il que ce patient soit "éclairé" et qu’il parvienne à trouver une information qui lui convienne. Car la majorité pondérée, pierre angulaire du Web 2.0, est loin d’apporter la finesse d’un diagnostic humain.
La santé 2.0 quant à elle s’adresse à un public plus large –étymologiquement pas encore patient. S’il est certain qu’encadrer le développement des outils médicaux 2.0 est nécessaire pour les défis de la médecine moderne, la santé 2.0 en revanche s’engouffre rapidement dans un créneau très lucratif. Orange HealthCare, applications pour IPhone, etc. sont autant de services de bien-être payants qui permettent à l’utilisateur de bénéficier d’un suivi personnalisé (diététique, coach sportif, etc.). La dérive de la santé 2.0 est qu’elle ne profite finalement qu’à une minorité éclairée ayant les moyens de se soucier de son bien-être : un hobby de bobos.
jeudi 25 mars 2010 - 2 réactionsEcouter en mp3(Readspeaker)
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http://vincentfromentin.fr/recherche/la-sante-2-0-soigne-les-bobos/