Le syndrome ghardaoui est l’expression mortifiante d’une réalité algérienne

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 Rabeh Sebaa : "Le syndrome ghardaoui est l’expression mortifiante d’une réalité algérienne longtemps scotomisée"

le 21.07.14 | 13h02 | mis à jour le 21.07.14 | 16h55

 
 

"Le faisceau de symptômes, au sens clinique du terme, dont Ghardaïa est devenue le chancre de fixation, se trouve en état de latence, dans l’ensemble des régions d’Algérie", prévient Rabeh Sebaa, anthropolgue-sociologue à l'université d'Oran  dans un entretien accordé à ElWatan.com où il tente de nous apporter un éclairage sur ce qui se passe à Ghardaïa depuis voilà un peu plus de neuf mois. Pour lui ,il ya aujourd'hui "urgence et impérativité" à contrer ce genre de symptomes.

 

Rabeh Sebaa

 

Conflit ethnique, racisme, problèmes inter communautaires,  crise identitaire, inter-tribal ou linguistique, religieux (ibadites, malékites) … quel qualificatif pourrait-on donner à ce qui se passe à Ghardaïa depuis voilà un peu plus de  9 mois ?

Syndromatique. Sachant que le faisceau de symptômes, au sens clinique du terme, dont Ghardaïa est devenue le chancre de fixation, se trouve en état de latence, dans l’ensemble des régions d’Algérie. Et c’est précisément pour cela que le drame ghardaoui ne saurait se réduire à l’une ou l’autre des dimensions souvent avancées. Les notions d’ethnicité, de tribalité, de religiosité ou de racialité, sont tout à fait réductrices et par conséquent inappropriées. Y recourir est un raccourci commode qui n’est que la manifestation d’une paresse de l’esprit face à une situation multicomplexe.

On se focalise sur  le conflit du moment ,on nie ou on oublie le précédent...

 

Ce qui se passe aujourd’hui à Ghardaïa ne nécessite-t-il pas justement et notamment pour le reste de l’Algérie de se pencher sérieusement et surtout positivement sur  cette question de « diversités à l’algérienne » que nous cessons de nier ?

Incontestablement. Avant Ghardaïa, il y eut le printemps amazigh, les émeutes récurrentes du sud, la cyclicité des soulèvements à Bejaia ou encore, récemment, les affrontements violents dans les nouvelles villes du Constantinois. Mais chaque fois l’attention ne se focalise que sur le « conflit » du moment, oubliant ou « niant » les autres qui viennent tout juste de le précéder et qui s’y apparentent fortement. Il s’agit d’un traitement par le déni caractéristique de l’Etat algérien.

 

Dans quelle mesure l’absence de l’État dans ce genre de conflits représente-t-il un danger à la stabilité de Ghardaïa et de l’Algérie dans son ensemble ?

Une autre notion est souvent  associée à la tragédie ghardaouie, celle de chaos. Le contenu sémantique de cette notion signifie un état physique dans lequel on ne perçoit aucun ordre ou encore la manifestation violente d’un désordre épouvantable découlant d’une confusion générale, selon la définition communément admise. Dans ces conditions, il ne s’agit pas d’une « Absence de l’Etat » mais de son inexistence. Le désordre est l’inexistence de l’ordre, fut-il réduit à l’ordre public dont le premier garant est incontournablement l’Etat. Le cas libyen est fort illustratif à ce propos. Ainsi la stabilité de Ghardaïa, qui se trouve spécifiquement plus vulnérabilisée par la proximité frontalière et les trafics en tous genres, participe indiscutablement de la stabilité de l’ensemble du pays. Il y a indubitablement urgence et impérativité.

 

On parle de crise économique, problèmes de chômage…comme facteurs aggravants le conflit actuel à Ghardaïa…

Comme je l’avais souligné au début, le syndrome ghardaoui n’est, malheureusement, pas spécifique à Ghardaïa. La crise économique et notamment le problème du chômage chez les jeunes sont les choses les mieux partagées par l’ensemble des régions algériennes. Il existe, bien évidemment, des dimensions caractéristiques à chacune d’entres elles, comme en l’occurrence, une culturalité multidimensionnelle et prononcée, pour la vallée du Mzab, mais ces « facteurs aggravants » viennent se surajouter à des situations de déséquilibres sociétaux habituellement mal lus ou intentionnellement bien tus.

 

Vous dites  « inexistence de l’Etat » mais peut être aussi la non implication de la société civile qui demeure comme inerte devant de telles situations… ?

De quelle société civile parlez-vous ? Vous savez que cette notion, ostensiblement galvaudée, est souvent réduite ou confondue avec le magma difforme, composé par une myriade de pseudo associations dont le rôle n’est guère celui de consolider le lien social, le véritable rôle de la société civile, une notion qui a une histoire, mais de remplir les salles occasionnellement pour apporter une caution ovationnante. A telle enseigne qu’il est souvent fait mention, de façon burlesque à la « rencontre avec la société civile » à l’issue de chaque déplacement d’un politique à l’intérieur du pays. Maintenant on peut se poser des questions sur cette « inertie » de la majorité silencieuse tétanisée par la peur et la primauté de l’instinct de conservation, au détriment de tout sursaut citoyen.  Cela, bien entendu, ne l’absout aucunement. Mais de quels moyens matériels et moraux peuvent disposer ces populations longtemps laissées pour compte ? Ce qui explique, au moins en partie, le déficit drastique de la dimension éthique dans le traitement de cette question.

 

 

Traiter avec les chefs de tribus... comme on l’avait fait avec les aârouch, dénote une incompétence criarde dans le mode de gouvernance étatique...

 

 

Vous remettez en question l’existence même de l’Etat dans le conflit ghardaoui. C’est par inconscience que l’Etat est inexistant, par négligence, par faiblesse …?

Vous n’êtes pas sans savoir que la notion d’Etat est une abstraction qui n’a de sens qu’à l’épreuve réel sociétal. L’Etat ne saurait donc être une entité homogène ou uniforme mais une constellation d’actes institutionnels évolutifs et adaptables à des situations mouvantes ou contingentes. Pour le cas de Ghardaïa, comme pour d’autres régions, l’Etat algérien ne s’est jamais donné les moyens d’étudier, en profondeur les textures socio-anthropologiques des différentes aspirations des populations du pays afin de répondre, de façon appropriée, aux attentes diversifiées  de ces populations, qui ne s’expriment d’ailleurs pas de la même manière, nonobstant le caractère violent commun aux différentes émeutes. Traiter avec les chefs de tribus, les comités des sages ou autres « symboles » décrépits, comme on l’avait fait auparavant avec les aârouch, dénote une incompétence criarde dans le mode de gouvernance étatique. Préférer le recours à la tribalisation au détriment la citoyennisation est la preuve cinglante d’une inaptitude et d’une impuissance à faire face à une situation qui engage le pays dans son entièreté. Il ya donc une inexistence outrageante d’une volonté étatique de lire et de comprendre des pans sociétaux entiers. L’existence d’un Etat ne saurait se limiter à suspendre quelques drapeaux aux frontons de quelques administrations.

                                                                                                                              

Les choses ne sont pas si simples mais quel est le rôle précis  de chaque  acteur de la société algérienne pour « guérir » le pays de ce genre  de  conflits qui semblent être d’un autre âge et qui auraient dû être  résolus depuis longtemps, pour qu’on puisse enfin passer à autre chose, c’est-à-dire  construire le pays sur des bases plus solides, plus transparentes… car l’ambiguïté persiste ?

Les choses ne sont jamais simples. Même quand elles se donnent l’apparence de l’être. Tout d’abord quels sont les « acteurs » de la société ? Dans ce genre de situations on ne manque pas de décrier le silence des élites. Il faut tout de suite préciser que ce qui caractérise la société algérienne est l’absence d’une intelligentsia critique qui n’a pu être formée historiquement et sociologiquement. Tant et si bien que nous avons une intelligentsia de substitution formé par la presse écrite notamment. Les autres catégories sociales n’ont pas pour vocation de « guérir » le pays. Reste le pouvoir politique algérien qui a pour particularité de cultiver le verrouillage systématique depuis, maintenant, un demi-siècle. Pour « construire le pays sur des bases solides » il faut impérativement instaurer un système de places ou chaque catégorie sociale et chaque institution s’attelle à jouer son rôle pleinement. Ce qui suppose mettre un terme à l’autoritarisme forcené et au statuquo généralisé.

 

Revenant à la notion du chaos. N’est-ce pas un peu exagéré de faire référence au cas libyen sachant que l’Algérie est historiquement plus solide, a connue  par le passé des phases d’éveil politique, identitaire, sociale …pour lesquelles des hommes et des femmes se sont sacrifiées et se sacrifient toujours, des phases  décisives qui peut être demain conduiront au meilleur ?

La Libye est citée pour illustrer la situation de chaos en cas d’absence d’un Etat : Le désordre est l’inexistence de l’ordre, fut-il réduit à l’ordre public dont le premier garant est incontournablement l’Etat. Le cas libyen est fort illustratif à ce propos, voilà ce que j’ai dit plus haut. Il n’ya aucune comparaison avec l’Algérie. De façon générale, les sociétés ne sont pas comparables. Malheureusement la situation dans la vallée du Mzab, si elle ne connait pas son épilogue peut  s’acheminer vers le chaos c’est à dire un état physique dans lequel on ne perçoit aucun ordre ou encore la manifestation violente d’un désordre découlant d’une confusion générale. Les prémisses sont là depuis longtemps.

 

La multiculturalité de la vallée du Mzab est un atout et antidote extraordinaire contre toutes sortes de dérives

 

 

Si on  vous associe afin de venir à bout de ce genre de conflits qu’auriez-vous proposé  concrètement en tant que sociologue et anthropologue  pour ce qui est du cas ghardaoui?

Je l’ai souligné plus haut. Et pas seulement pour le cas ghardaoui mais pour la société algérienne toute entière. Se donner les moyens de l’étudier, de la connaitre et de la comprendre afin de contourner nombre de malentendus. La multiculturalité de la vallée du Mzab est un atout et antidote extraordinaire contre toutes sortes de dérives. A condition de ne pas l’enserrer, comme cela a été le cas, depuis l’indépendance, dans un carcan idéologico-bureaucratique qui n’est ni plus ni moins qu’un musellement insoutenable et générateur de tous les dangers. Cette multiculturalité qui est porteuse d’une mosaïque de créativités et d’imaginativités, dans tous les domaines, ne demandait qu’à s’exprimer pacifiquement comme actes de citoyenneté libres et responsables. Les moyens les plus sûrs pour casser ainsi les reins à toutes ses fantasmagories d’ethnicité, de communautés assorties de ces caricaturales parodies avec des sages ou des chefs de tribus.

 

Sans emphase, l’Algérie est un grand pays, magnifique, riche en ressources naturelles, où les différences culturelles sont tellement enrichissantes… On aurait pu aujourd’hui parler dans cet entretien du tourisme dans cette région d’Algérie qui doit enrichir ses populations  au lieu de parler des conflits… Pourquoi encore et toujours ce retard qui  nous colle à la peau ?

Kateb Yacine avait pour habitude de dire quel les seuls habitants de la planète qui ignorent la beauté et la magnificence de l’Algérie sont …les Algériens. Pas tous heureusement. Mais beaucoup ne sont pas conscients que l’Algérie est « le sourire de Dieu sur terre ». Un sourire qui prend, depuis quelques années hélas ! trop souvent la forme d’un rictus. Notamment dans des régions, comme Ghardaïa, Bejaia ou Béchar, nanties d’atouts touristiques extraordinaires. Mais il ne faut pas perdre de vue que la beauté géographique d’une région n’existe pas en soi mais s’articule et se conjugue aux paramètres sociétaux totaux. Ce n’est qu’à cette condition que ses positivités intrinsèques peuvent prétendre à la valorisation et à l’esthétisation. Le retard auquel vous faites allusion ne saurait se limiter à telle ou telle dimension d’une ville ou d’une région mais doit s’appréhender comme une lecture « symptômale » de pans entiers de la société algérienne. Une société assujettie implacablement à la forclusion. Le syndrome ghardaoui doit être lu et décrypté comme l’expression mortifiante d’une réalité algérienne longtemps scotomisée.

 

 

 

Quelques liens et repères utiles :

 

 

  • Conflit d'ordre éthnique pour Tayeb Belaiz ,Ministre de l'Intérieur et des collectivités locales : Pourtant si on se fie à l'analyse de notre anthropologue ,il semble que le ministre de l'Intérieur et des collectivités locales qui appelle la presse à etre prudente dans le traitement du conflit , attribue un qualificatif réducteur à ce qui se passe à Ghardaïa en déclarant ceci :«i s’agit d’un conflit entre deux communautés et je vous informe qu’il est très difficile de parvenir à régler un conflit entre deux frères.» Pour le ministre, le problème est d’ordre ethnique et la situation dans cette wilaya s’acheminerait graduellement vers «la sécurité, la stabilité et la coexistence». Pour lire la suite: http:// bit.ly/1tqvGfx

 

 

  • En 2008 déjà un mort est enregistré à Ghardaïa à cause d'un jet de pétard à l'intérieur d'une maison.  

             Pour lire la suite : bit.ly/1yPTdcw

 

 

  • Plus récemment encore, le 12 juillet dernier: Des centaines de jeunes de deux quartiers mitoyens, Aïn Lebeau et Baba Saâd, se sont violemment affrontés jusqu’au lever du jour, à coups de pierres et de cocktails Molotov.   Une quarantaine de maisons ont été incendiées, du mobilier urbain saccagé, des dizaines de lampadaires détruits et des dizaines de personnes blessées, dont une bonne vingtaine parmi les forces de l’ordre.  Pour lire la suite : http://bit.ly/1nNu1Lu

 

 

  • Un peu d'Histoire sur les Ibadhites: les ibâdhites ne se reconnaissent pas dans l'autorité en place ni dans la société dans laquelle ils vivent. Ils n'ont pas les moyens d'oeuvrer pour changer l'ordre des choses sans s'exposer à la persécution ou à l'extermination et réduisent au minimum les relations avec l'autorité illégitime. Ils vivent repliés sur eux-mêmes, sous l'autorité d'associations (dont le protopype est le cercle des 'azzâba des ibadhites d'Afrique du Nord depuis la disparition de l'imamat rustimide)...   Pour lire la suite  : bit.ly/1mw817x

 

 

  • Qui sont les Mozabites? Se définissent essentiellement par leur habitat géographique, le Mzab, et par leur doctrine religieuse : aux yeux des musulmans orthodoxes, ce sont des membres de la secte ibāḍite. Dans le Maghreb, leur type physique, leurs activités spécialisées contribuent également à individualiser ce groupe social. Longtemps tenus pour des hérétiques et persécutés comme tels, ils s'intègrent aujourd'hui dans la communauté algérienne.    Pour lire la suite: http://bit.ly/1ntWko7

 

  • Qui sont les Chaambas? En 1317 pour trouver une solution aux querelles et combats entre Chaânba (qui sont malékites) et les Mozabites (ibadites) les deux communautés décident d’échanger un groupe de familles entre Metlili et Mélika, acte ratifié par un contrat écrit conservé dans les archives mozabites. Des familles Beni Mathar et Beni Khefiane viennent occuper le quart du Ksar Delbouna à Metlili en assurant la suprématie du commandement du Ksar de Metlili. De leur côté les Chaânba envoyèrent quelques familles occuper le quart du village de Mélika. Aujourd’hui les descendants des ibadites de Metlili, les Beni Brahim, sont devenus malékites et ont essaimé des familles au Maroc, à Tamanrasset, à Timimoun, à In Salah et El Goléa.  Pour lire la suite: bit.ly/1pvD4na

 http://www.elwatan.com/actualite/rabeh-sebaa-le-syndrome-ghardaoui-est-l-expression-mortifiante-d-une-realite-algerienne-longtemps-scotomisee-21-07-2014-265361_109.php

 

Hamida Mechaï
 



21/07/2014
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