Les défis de l'Union pour la Méditerranée

 

Les défis de l'Union pour la Méditerranée

Par Leïla Slimani

Depuis son élection en mai 2007, Nicolas Sarkozy a fait de l'Union pour la Méditerranée (UPM) son projet phare en politique étrangère. A la veille de la réunion des dirigeants des pays concernés le 13 juillet, l'UPM a encore de nombreux défis à relever.

 

L'origine de l'Union pour la Méditerranée

Le projet de rapprochement des deux rives de la Méditerranée a été formellement lancé en 1995 sous le nom d'Euromed avec le processus de Barcelone. C'est la rencontre des Quinze avec les pays tiers méditerranéens, c'est-à-dire les pays arabes et Israël. Il s'agissait de rechercher à la fois une stratégie économique et une stratégie de sécurité.

Les Français et les Espagnols, à la pointe de la Conférence Euromed, étaient très inquiets de la poussée islamiste et des pressions migratoires notamment en Algérie et au Maroc.

Assez rapidement, avec l'assassinat du Premier ministre israélien Itzhak Rabin en novembre 1995 et le retour du Likoud au pouvoir, la machine s'est grippée, et quasiment tout le volet politique du processus de Barcelone est tombé à l'eau, les accords bilatéraux reprenant le dessus sur le cadre multilatéral. Depuis, de la deuxième Intifada au 11 septembre, l'idée d'un vaste cadre multilatéral qui puisse déboucher sur du concret est apparue de plus en plus impossible à atteindre.

Pourquoi Sarkozy veut il relancer le processus Euro-méditerranéen ?

Depuis son élection en mai 2007, Nicolas Sarkozy a multiplié les voyages officiels en Afrique du Nord, affichant son désir de reprendre l'initiative dans cette zone traditionnelle d'influence. Depuis quelques années, la part de marché de la France dans les pays du Maghreb diminue régulièrement : la France ne représente plus que 22% des importations tunisiennes contre 25% en 2003. Elle s'arrogeait 16,5% du marché marocain en 2006 contre 24% en 2000. Lors de ses visites d'Etat en Tunisie et au Maroc le président de la République lance son idée d'une nouvelle Union pour la Méditerranée. 

Défendue par Henri Guaino, conseiller spécial du président, et par Alain Le Roy, diplomate chargé de la question, cette Union se fera autour de projets communs : pollution, interconnexion électrique, accés à l'eau potable, éducation, recherche, régulation des flux migratoires, lutte contre le terrorisme. Vingt-cinq pays du pourtour de la Méditerranée sont concernés.

« L'Union pour la Méditerranée repose sur un principe : combler le fossé entre un Nord plutôt riche et un bassin méditerranéen beaucoup plus pauvre. Le but ?  Rétablir l'équilibre en assurant  un espace de paix et de sécurité. Bref, nous cherchons à  améliorer le dialogue entre les deux rives », explique Alain Le Roy. L'Union pour la Méditerranée se veut un partenariat renforcé qui doit profiter aux deux rives. Ainsi, l'Europe cherche  principalement à enrayer l'immigration clandestine en développant la prospérité à la source. Les 27 en tireront le bénéfice de dynamiser une Europe vieillissante et en manque de main d'oeuvre.

Le 13 mars 2008, le projet d'Union pour la Méditerranée est officiellement adopté par le Conseil Européen. Profitant de la présidence française de l'Union dès juillet, Nicolas Sarkozy veut organiser  le 13 et le 14 juillet un sommet réunissant les pays concernés et l'UE pour lancer officiellement cette nouvelle entité.

Sur quels piliers cela va t-il reposer ?

Devant les freins qui ont bloqué le processus Euromed (conflits régionaux, droits de l'homme), la France propose de mettre de côté les questions qui fâchent. A l'image des pères de l'Europe qui en 1951 avaient commencé par créer la Communauté européenne du charbon et de l'acier (CECA), Nicolas Sarkozy veut créer des solidarités avant d'aborder les questions institutionnelles. Deux secteurs vont faire office de charbon et d'acier pour cette nouvelle Union.

L'énergie nucléaire civile est au centre des accords de coopération signée par la France avec la Libye, l'Algérie et les Emirats Arabes unis. La France cherche aussi, comme c'est le cas au Maroc avec Areva, à avoir accès aux potentielles ressources en Uranium de ces pays. Le contrat est le suivant : procéder à un transfert de technologies pour préparer ces pays à l'après-pétrole et alléger leur facture énergétique en échange pour la France de débouchés commerciaux et d'approvisionnement énergétique comme c'est le cas pour le gaz d'Algérie.

Le contrôle de l'immigration est également un secteur stratégique de l'UPM. Le Maroc est le premier bénéficiaire de l'aide française  pour expérimenter le modèle d'immigration choisie défendu par Brice Hortefeux. A terme, tous les pays associés devraient engager des plans de contrôle des flux migratoires.

Quels blocages rencontrent l'Union pour la Méditerranée ?

Le premier blocage vient de l'intérieur de l'Europe. L'Allemagne n'apprécie pas le nouveau style de Nicolas Sarkozy qui ne s'est guère concerté avec ses partenaires. La chancelière allemande, Angela Merkel, a affirmé préférer une intensification de la coopération actuelle plutôt que de rajouter un étage supplémentaire à un édifice déjà fragile. L'Allemagne n'a pas non plus caché son scepticisme devant le pragmatisme français  qui veut sceller une union avec des régimes non démocratiques et peu respectueux des droits de l'Homme.  

Du côté Sud de la méditerranée, des voix discordantes se font également entendre. Pour rassurer l'Algérie, la ministre de l'Intérieur française a démenti les rumeurs pourtant persistantes sur le partage des rôles dans l'organigramme du projet dont l'Algérie serait exclue. Selon ces rumeurs, le Maroc prendrait le secrétariat général, la Tunisie le siège et l'Égypte bénéficierait de la présidence de l'Union. Le président Bouteflika envisage de boycotter la réunion du 13 juillet, si son pays ne figure pas dans le processus de construction du projet de l'Union pour la Méditerranée.

REUTERS

Le 10 juin, le leader libyen Mouammar Khadafi a considéré que le projet de l'Union pour la Méditerranée était un "appât" et "une sorte d'humiliation."

Côté Lybien, le colonel Mouammar Khadafi a considéré le 10 juin que l'initiative française d'Union pour la Méditerranée était « une sorte d'humiliation». Lors du sommet arabe convoqué à Tripoli il a affirmé « Nous ne sommes ni des affamés, ni des chiens pour qu'ils nous jettent des os. Â» Il a exprimé les réticences plus globales des pays arabes face à l'UPM dont l'Israël doit faire partie.

Face à la demande de « clarifications Â» faites par les pays arabes à propos de la présence d'Israël, Nicolas Sarkozy a rappelé que cette présence ne posait "pas de problème" à des pays arabes comme l'Egypte, la Tunisie et le Maroc. "Le roi du Maroc, sa Majesté Mohammed VI, non seulement chef d'Etat mais aussi chef des croyants, ne m'a pas indiqué que la présence d'Israël était un problème. Ce qui pose problème et qui fait la difficulté, c'est le processus (de paix israélo-palestinien) d'Annapolis qui semble être au ralenti", a-t-il déclaré.

L'Union pour la Méditerranée, c'est gagnant-gagnant"

Par Marie Simon, mis à jour le 12/06/2008 à 14:57 - publié le 12/06/2008

 

Le rapprochement des deux rives de la Méditerranée est "tout à fait naturel", estime Jean-Louis Guigou, délégué général de l'Institut de Prospective Economique du Monde méditerranéen. Selon lui, ne pas faire l'Union pour la Méditerranée, c'est condamner l'Europe "à devenir une grande et vieille Suisse", tandis que les pays arabes seraient "balayés par la mondialisation".

L'IPEMed* veut "rapprocher, par l'économie, les deux rives de la Méditerranée". Pourquoi l'économie ?

Nous avons un slogan : "l'économie rapproche, la politique divise, la culture différencie". Tout le monde a des besoins comme manger, avoir un toit, accroître son potentiel. Regardez la Chine et le Japon : leurs gouvernements se disputent... pendant que leurs patrons font des affaires ensemble. L'économie est un langage universel. L'Europe s'est construite comme ça, souvenez-vous de la Communauté européenne du charbon et de l'acier [la CECA, en 1951].

Le colonel Kadhafi a condamné le projet d'Union pour la Méditerranée (UPM), qualifiant notamment les projets économiques promis aux pays du sud d'humiliants... Comment réagissez-vous ?

Une telle réaction me semble grotesque. C'est du cinéma : il se voyait déjà en roi de l'Afrique. Je pense que les pays arabes ont trop intérêt à se brancher sur l'Europe. Pour développer l'énergie, l'agriculture ou encore leurs espaces financiers. La rive nord peut leur apporter un savoir-faire et la démocratie.

Cet intérêt est réciproque...

Oui, c'est du gagnant-gagnant. La rive sud peut apporter de la main d'oeuvre, des marchés et de l'énergie à l'Europe. Le rapprochement des deux rives est naturel, comme il est naturel que les Etats-Unis traitent avec les pays de l'ALENA.

Au départ, le projet n'incluait que les pays riverains. Puis toute l'Union européenne a été associée. Jusqu'où la nouvelle UPM peut-elle aller, vers le sud ?

Puisque la Suède et la Pologne en font partie sans avoir de lien direct avec la Méditerranée, on peut imaginer que le Qatar, l'Iran ou l'Irak soit un jour impliqués ! L'UPM aura une géométrie variable, en fonction des projets : ceux qui participeront à telle ou telle action les financeront aussi. Ainsi le Qatar peut entrer dans un projet touristique ou tel autre pays participer à un projet sur le pétrole. L'Arabie saoudite l'a compris et son attitude est très positive à l'égard de l'UPM.

Et si l'UPM ne se faisait pas ?

Les pays arabes se rapprocheraient de la rive nord, un par un. Le Maroc veut déjà des rapports privilégiés avec Madrid ou Paris. La Turquie se bat pour entrer dans l'UE. Israël et l'Egypte sont proches aussi de la rive nord de la Méditerranée. Ils faut que les deux rives se rapprochent : si non, l'Europe deviendra une grande et vieille Suisse et les pays arabes seront balayés par la mondialisation, comme des confettis. Nous avons 30 ans pour agir avant d'être broyés par la compétition croissante du reste du monde.  

*L'Institut de Prospective Economique du Monde méditerranéen est un think tank international qui rassemble des experts, des industriels et des politiques de tous les pays de l'UE, de la Méditerranée occidentale et orientale.


13/06/2008
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