Entretien réalisé par notre correspondant à Amsterdam
T. Maaz
LA TRIBUNE : Les relations entre l’Algérie et les Pays-Bas ont commencé en 1604, comptabilisant ainsi plus de quatre siècles d’existence. En 2012, les deux pays célébreront un demi-siècle de relations diplomatiques.
Peut-on connaître votre appréciation sur l’état des relations entre les deux pays et les perspectives de leur développement ?
M. Berhagen : Les relations entre l’Algérie et les Pays-Bas ont, en effet, presque quatre siècles d’existence. Nos premiers contacts remontent aux années 1600, lorsque les bateaux hollandais en route vers le Levant longeaient les côtes nord-africaines. Ils sont désormais excellents, grâce à notre coopération active dans les domaines économique, culturel et politique.
En 2010, nos deux pays commémoreront leurs 400 ans d’histoire partagée. C’est une bonne occasion de regarder vers l’avenir. Ma visite a pour objectif d’élargir et d’approfondir nos relations, en particulier dans des secteurs comme l’énergie, l’agriculture et la gestion de l’eau. Cette coopération peut profiter tant à l’Algérie qu’aux Pays-Bas.
Depuis 2006, l’Algérie est qualifiée par votre gouvernement de pays stratégique sur le plan énergétique. Quelles en sont la signification et la portée ? A la veille de votre visite en Algérie, de quelle ambition êtes-vous porteur pour ces relations ?
Les Pays-Bas considèrent l’Algérie comme un important partenaire. J’aimerais rapprocher l’Algérie davantage encore de l’Europe, un dessein que j’entends promouvoir à l’occasion de cette visite, mais bien entendu également au sein de l’Union européenne. Il ne s’agit pas seulement d’un enjeu énergétique mais, plus généralement, de tisser des liens politiques et économiques forts entre pays voisins.
Pour le secteur gazier, les Pays-Bas sont la porte de l’Europe de l’Ouest. Ce rôle va se trouver encore renforcé par les terminaux portuaires pour le gaz naturel liquide qui sont en cours de construction dans notre pays. Euxmêmes producteurs de gaz, les Pays-Bas disposent d’excellentes possibilités pour le transit et le stockage de cette ressource. Le gaz algérien est acheminé dans toute l’Europe grâce à l’infrastructure néerlandaise, reliée au réseau européen de gazoducs.
De son côté, l’Algérie est la porte de l’Afrique du Nord. Elle doit cette position à ses propres réserves de gaz, mais aussi, prochainement, au passage sur son territoire du gazoduc transsaharien. L’Algérie investit par ailleurs massivement dans le potentiel dont elle et ses voisins disposent en matière d’énergie éolienne et solaire, ainsi que dans leurs infrastructures. Cela constitue, à mes yeux, une bonne base de coopération fructueuse entre nos deux pays.
L’Algérie, premier partenaire commercial africain des Pays-Bas, est très sollicitée par les investisseurs étrangers venant de tous les continents. Qu’en est-il des entreprises néerlandaises dont on reconnaît pourtant le professionnalisme dans les domaines des travaux publics, de l’hydraulique, de la construction portuaire et de l’agro-alimentaire ? Ne pensez-vous pas que les Pays-Bas gagneraient à s’engager davantage sur le marché algérien ?
L’intérêt des entreprises néerlandaises pour l’Algérie va grandissant. Elles sont de plus en plus nombreuses à prendre conscience des possibilités offertes par le marché algérien. Cela se traduit aux Pays-Bas comme en Algérie par une progression de l’emploi et de la formation ainsi qu’un élargissement de l’éventail des produits. L’année dernière, une mission regroupant des entreprises néerlandaises a effectué une visite en Algérie afin d’inventorier les possibilités de coopération dans le domaine agricole. Ce fut un succès. Nous allons poursuivre sur cette voie afin de renforcer aussi notre coopération économique. En janvier 2009, la ministre néerlandaise des Affaires économiques se rendra en Algérie, accompagnée d’une délégation commerciale qui regroupera une quinzaine de chefs d’entreprise.
Dans le prolongement de l’accord d’encouragement et de protection réciproques des investissements, signé par nos deux pays l’an dernier, il serait bon que nous puissions conclure à court terme une convention qui permette d’éviter la double imposition des investissements aux Pays-Bas ou en Algérie. Un tel accord serait profitable à nos deux économies.
Le conflit qui oppose le Polisario au Maroc au sujet de la décolonisation du Sahara occidental se trouve dans l’impasse. Les négociations entamées à Manhasset aux Etats-Unis n’ont rien donné jusqu’à présent. M. Van Walsum, ex-envoyé du secrétaire général des Nations unies, a été contraint à la démission.Peut-on connaître, Monsieur le ministre, la position des Pays-Bas sur ce conflit ?
Les Pays-Bas soutiennent le secrétaire général des Nations unies dans ses efforts en faveur d’une solution politique prévoyant l’autodétermination. Nous nous en tenons à cette position neutre, qui est aussi celle de l’Union européenne.
Nous encourageons l’ensemble des parties à négocier directement et sans condition préalable sous les auspices des Nations unies, comme le recommande aussi le Conseil de sécurité, de sorte à trouver une issue à un conflit qui dure depuis plus de 30 ans. Pour cette raison, je suis extrêmement favorable à la tenue d’un cinquième cycle de négociations à Manhasset, sous la direction de l’envoyé personnel proposé par le secrétaire général. J’ajoute que la résolution de ce conflit ouvrirait la voie à un approfondissement de la coopération régionale dont tous les pays du Maghreb récolteraient les fruits.
Le Moyen-Orient continue de vivre sous la menace d’un grand péril suite à la persistance du conflit israélo-palestinien. Quel rôle peuvent jouer les Pays-Bas pour hâter une solution à ce conflit ?
Les problèmes au Moyen-Orient ont une influence négative sur les relations internationales. Il faut mettre fin à la violence dans cette région. Il est tout à fait légitime qu’Israël protège ses citoyens et son territoire, mais les mesures prises à cette fin ne doivent pas être disproportionnées et aller à l’encontre des droits des Palestiniens. Le gouvernement néerlandais soutient activement le processus de paix, c’est pourquoi, depuis le début de mon mandat, je me suis rendu trois fois en Israël et dans les territoires palestiniens, ainsi qu’en Syrie et en Égypte.
Il y a maintenant un an que le processus de paix d’Annapolis a été lancé. Je ne partage pas l’avis de ses détracteurs, selon lesquels il n’a abouti qu’à un maigre résultat. Tout d’abord, Israël et l’Autorité palestinienne partagent désormais la même vision d’avenir, fondée sur une solution à deux Etats. Ensuite, l’Etat d’Israël et l’Autorité palestinienne se sont engagés à parvenir à un accord cohérent sur toutes les questions en suspens, sans exception. En outre, ils négocient maintenant sans relâche et soulignent tous deux que ces négociations progressent. C’est un pas en avant.
Il faut maintenant capitaliser cette avancée. C’est là que je vois un rôle à jouer par les pays arabes, en particulier par ceux qui, comme l’Algérie, ont participé au suivi de 1’initiative de paix arabe. Ils pourraient, par exemple, accroître leur soutien financier à l’Autorité
palestinienne, comme le fait l’Union européenne. Les Pays-Bas s’engagent, dans la mesure du possible, en faveur du processus de paix. Cette année, nous avons accordé une aide de 70 millions d’euros aux territoires palestiniens. Dans la bande de Ghaza, des
paysans palestiniens cultivent des œillets, des fraises et des tomates grâce à l’aide néerlandaise.
Les œillets sont ensuite négociés par des exportateurs israéliens sur le marché néerlandais. Il importe de proposer une solution aux citoyens de la bande de Ghaza, une perspective d’avenir meilleur fondée sur la coopération économique entre Palestiniens et Israéliens.
Notre pays joue aussi un rôle de premier plan dans la mise en place d’un appareil policier et judiciaire dans les territoires palestiniens. Ainsi, nous participons à la formation d’agents de police et à la construction de prisons. Tant les Palestiniens que les Israéliens ont tout intérêt à la mise sur pied d’un secteur de sécurité palestinien qui fonctionne mieux.
L’Union pour la Méditerranée se fixe pour objectif la mise en œuvre d’un partenariat renforcé. Quel sera, monsieur le ministre l’apport des Pays-Bas ?
Dans un monde où les États sont de plus en plus interdépendants, la coopération s’impose plus que jamais. A cet égard, l’Union pour la Méditerranée a une carte importante à jouer, car elle donnera, selon moi, un nouvel élan à la coopération entre l’Europe et les pays du Bassin méditerranéen.
L’intérêt de l’UPM, c’est qu’elle œuvrera à des projets communs qui aboutiront à des changements et à des améliorations particulièrement visibles et dont l’impact sur la vie quotidienne de nos citoyens sera considérable. Dans des domaines comme l’eau, l’énergie, la lutte contre la criminalité, le développement durable et le respect des droits de l’Homme, nous pouvons faire la différence ensemble.
Le respect des droits de l’Homme est l’une de mes priorités. Ils s’appliquent à tous, toujours et partout. Ni la lutte contre le terrorisme ni la religion, la culture ou la tradition ne peuvent justifier la violation de ces droits universels. Pour cette raison, j’estime qu’il est important qu’ils figurent au rang des priorités de l’Union pour la Méditerranée. Selon moi, le dialogue sur les droits de l’Homme s’inscrit dans le cadre des relations que nous entretenons. Les Pays-Bas soutiendront volontiers l’Algérie dans ce domaine.
Au sein de l’Union pour la Méditerranée, les Pays-Bas tiennent aussi à privilégier la coopération dans le domaine de l’eau. La répartition de cette ressource est en effet étroitement liée à la stabilité dans la région. Nous disposons d’une grande expérience, que nous mettrons volontiers à profit, en matière de traitement des eaux usées et de dessalement de l’eau de mer.
C’est dans cet esprit que nous organiserons prochainement un colloque sur la gestion intégrée de l’eau.