Mise en Å“uvre de la loi relative aux espaces verts
Mise en Å“uvre de la loi relative aux espaces verts / Le cadre de vie en question |
Posté par J.I le 1/4/2008 |
Après la promulgation de la loi n°07-06 datée du 13 mai 2007relative à la gestion, protection et développement des espaces verts, aucun relais médiatique ou institutionnel n’a sérieusement pris en charge la médiatisation ou la vulgarisation de son contenu. Et pourtant, dans le contexte de l’urbanisation forcenée et d’anarchie architecturale ayant caractérisé les paysages citadin et rural d’Algérie, cette loi constitue, de par les orientations qu’elle prodigue, le cadre réglementaire qu’elle instaure et les sanctions qu’elle prévoit une mini-révolution en matière de cadre de vie des citoyens. Pour étudier les modalités d’application de cette loi et définir clairement les parties intervenantes et les missions respectives qu’elles sont censées assumer, des ateliers ont été organisés au cours de l’année 2007 par le ministère l’Aménagement du territoire, de l’Environnement et du Tourisme au profit de plusieurs wilayas. Les parties convoquées pour assister à cet atelier représentent les structures intervenant directement dans la gestion des espaces urbains de nos villes : les présidents d’APC ou les secrétaires généraux de mairies, les chefs de daïra, les directeurs de l’Urbanisme, des Travaux Publics, de la Planification, des Domaines et des Forêts. Il n’est un secret pour personne que le patrimoine «espace vert» s’est réduit en peau de chagrin depuis l’indépendance du pays. Les bouleversement vécus par les quartiers urbains, les centres-villes et les banlieues suite à l’exode rural massif ayant accompagné la politique d’industrialisation ont valu au cadre de vie des revirements et des régressions dommageables pour l’ensemble des habitants. Les arbres d’alignement, les arbustes d’ornement et les frondaisons d’embellissement ont subi des coupes réglées au fur et à mesure que se construisaient les cités, s’édifiaient les bidonvilles et s’ouvraient les routes. Si, à l’échelle internationale, la norme en matière d’espace vert est fixée à 10 mètres carrés par habitant, en Algérie ce chiffre se réduit au un dixième, c’est-à -dire : 1m2. L’avancée du béton, après avoir «bouffé» des centaines d’hectares de meilleures terres agricoles au niveau de la Mitidja Ouest (Blida, Boufarik, El Affroun), a étendu ses griffes à la Mitidja Est particulièrement après la création de la wilaya de Boumerdès en 1984. Partout à l’intérieur du pays, l’Algérie a hérité de la colonisation des jardins publics qui embellissent parfois des espaces semi-arides (Sidi Belabbès) et même arides (le fameux jardin de Biskra célébré par le romancier André Gide) ; cela, pour ne rien dire de la Ville des Roses, du Jardin du Hamma ou de la Coquette Annaba. En tant que pays en développement ayant la chance – ou la malchance – de disposer de gisements gaziers et pétroliers considérables, l’Algérie, avec un volontarisme et un populisme effrénés, avait investi dans la construction industrielle et l’urbanisation à telle enseigne que le visage du pays – panorama rural, tissu urbain, rythme de vie – se trouve complètement chamboulé au bout de trois décennies. Une mobilité sociale problématique Des anciens petits villages coloniaux, situés généralement au milieu de vignobles ou de vergers d’agrumes, se sont vus pousser des excroissances anarchiques le long des routes et des pistes pendant les années soixante donnant lieu à des quartiers longilignes sans aucune esthétique et sans les infrastructures et équipements nécessaires qui en feraient des cadres de vie décents. Ce sont souvent des opérations menées à la hâte suite à une pression sociale grandissante qui ne vient pas de la simple démographie galopante des années 60 et 70, mais surtout de la grande mobilité de la main-d’œuvre algérienne se caractérisant par un exode rural massif. Le dépeuplement des campagnes était une conséquence directe du désintérêt des pouvoirs publics pour l’arrière-pays qui avait payé le prix fort pour l’Indépendance et de la politique d’industrialisation qui avait ciblé les banlieues des grandes villes (Oran, Alger, Annaba). Les flux de nouveaux migrants issus des montagnes (Kabylie, Titteri, Ouarsenis,…) et des Hauts Plateaux (Aïn Boussif, Ksar El Boukhari, Sidi Aïssa, Barika,…) ont fini par constituer des ceintures de misère autour des cités industrielles de Rouiba, El Hadjar, Arzew ; ceintures qui prendront les aspects de bidonvilles que les Algériens ne connaissent que trop. Le problème ne s’est pas limité aux grandes agglomérations. Boufarik, Tipasa, Bordj Ménaïel, Boumerdès, Tahir, El Kala, Beni Saf, Mohammadia, sont des villes moyennes qui ont accueilli pendant quatre décennies les paysans déracinés qui ont abandonné leurs hameaux, leurs terres et leurs traditions d’authenticité campagnarde pour s’offrir, à leur corps défendant, comme candidats à une citadinité chimérique. Il faut dire aussi que la révolution algérienne avait alimenté des rêves de ce genre : s’installer en ville équivalait à prendre la place enviée et convoitée du colon ; c’est un standing qui charrie des fantasmes de «modernité» et de pouvoir. Le nouvel Etat algérien n’avait rien fait pour relativiser cette vision et pour offrir des conditions de stabilité aux populations des campagnes. Au contraire, sa propension à davantage de centralisation et de déploiement sur les grandes villes du pays a, en quelque sorte, justifié l’afflux des ruraux vers la ville. Et ce n’est pas le slogan creux de «l’équilibre régional» en vogue pendant les années 70 qui aurait pu endiguer un tel phénomène Les corollaires de l’exode rural sont perceptibles d’une manière dramatique à deux niveaux : d’abord sur les lieux d’arrivée, les villes, où de nouveaux besoins apparaissent : l’école pour les enfants, de nouvelles structures sanitaires pour les nouvelles populations et surtout des logements supplémentaires pour les abriter et pour éradiquer les bidonvilles qui ternissent l’image de la ville et du pays. Ces besoins ne s’arrêtent pas là , puisque d’autres candidats, inspirés et enhardis par leurs devanciers, vont taper à la porte de la ville en suivant le même itinéraire. Ceux d’entre eux qui n’auront pas réussi à «pendre leur crémaillère» dans des immeubles décents servis par l’Etat, trouveront mille astuces pour s’accrocher aux falaises de Z’ghara et de Sidi M’sid ou pour investir les berges de Oued Aïssi et du Rhumel en attendant qu’un jour les pouvoirs publics se penchent sur leur cas si, toutefois, d’ici là , une inondation ou un séisme ne viennent pas hâter les choses. Aucune espèce de citadinité n’a préparé les nouveaux locataires de la ville à entretenir, développer ou créer des espaces verts. Au contraire, des jardins publics où gazouillaient les oiseaux et pleuvaient les ombres épaisses des platanes n’ont pas tardé, dans certaines villes, à se transformer en habitations illicites ou en commerces informels. Les collectivités locales, censées défendre ce patrimoine et le développer, n’ont pas toujours les instruments réglementaires ni les ressources nécessaires pour une telle entreprise. Le civisme des citoyens non plus n’a pas été au rendez-vous. Les programmes scolaires et le contenu des médias n’ont pas fourni d’efforts particuliers pour sensibiliser la jeunesse à l’intérêt et à l’importance du couvert végétal en général et des espaces verts urbains et périurbains en particulier. De même, des dizaines de kilomètres d’arbres d’alignement (eucalyptus, platane, frêne, orme,…) ornant les bordures des nos routes nationales et départementales ont carrément été éliminés suite à des travaux d’aménagement ou même par des mains criminelles faisant partie des réseaux mafieux de revente illicite de bois. Deuxièmement, sur les lieux d’origine où des douars entiers, suite à leur abandon, sont devenus de nouvelles friches ; ils se sont en quelque sorte «ensauvagés» : pistes détériorées, maisons en ruine, vergers desséchés,… Comme si cela ne suffisait pas, la dernière décennie du vingtième siècle a mis sens dessus-dessous le capharnaüm algérien suite à la subversion islamiste – dont l’ascension idéologique et messianique doivent beaucoup au déracinement de la société algérienne ayant subi l’exode rural – et les problèmes sociaux s’en trouvent amplifiés. Il en résulte que la demande en logement va crescendo et épouse une courbe exponentielle sans fin. En outre, le déséquilibre de la répartition démographique caractérisant le territoire national – la zone côtière se trouve surchargée par rapport aux Hauts Plateaux et au sud du pays – ajouté à la consommation effrénée des terres agricoles pour les besoins du béton, font peser, à moyen terme, un lourd danger au cadre général de vie des Algériens et à l’environnement immédiat, déjà bien mis à mal par toutes sortes de pollutions et de «rurbanisations»(néologisme consacré aux pays du tiers-monde ayant subi la ruralisation de leurs villes). Au lieu que les autorités et les techniciens algériens consacrent leurs efforts à la réflexion sur un meilleur cadre de vie en améliorant la qualité du bâti, l’architecture des immeubles et l’embellissement des espaces secondaires de nos cités par un verdissement croissant et se rochant de la norme mondiale, ils se voient réduits à faire de sempiternels calculs en millions d’unités d’habitations à délivrer à des dizaines de millions de demandeurs. Et c’est un cycle infernal qui ne pourra être jugulé que par une vision globale, rationnelle et cohérente de l’économie et de l’environnement. L’espace vert : une entité à intégrer dans la planification urbaine Dans le fatras des lois relatives à l’urbanisme, à l’architecture et à la construction, il est difficile de positionner la valeur et l’importance des espaces verts. Il est surtout quasi impossible d’y trouver des clauses strictes et coercitives qui feraient des espaces verts une préoccupation des institutions chargées de l’urbanisme et de la politique de la ville ou une donnée incontournable de la vie dans la cité. Le ministère de l’Aménagement du territoire, de l’Environnement et du Tourisme a conçu au cours des dernières années un «Central Park» de 237 ha à Dély Brahim qui va contribuer à réactiver l’ancien projet de la ceinture verte d’Alger. Mais, un besoin réel en matière d’espaces verts sur l’ensemble du territoire national a fait que ce même département ministériel a milité pour une législation globale. La loi du 13 mai 2007 signée par le président de la République vient assurément combler un vide conceptuel et juridique dans la gestion de nos espaces urbains. Dorénavant, cette loi accompagnera et encadrera l’acte de construction qu’auront accompli les pouvoirs publics ou même les particuliers. Dans ses dispositions générales, la nouvelle loi définit les objectifs de la gestion, de la protection et du développement des espaces verts en ces termes : «améliorer le cadre de vie ur-bain ; entretenir et améliorer les qualités des espaces verts urbains exis- tants ; promouvoir l’extension des espaces verts par rapport aux espaces bâtis ; et de faire de l’introduction des espaces verts, dans tout projet de construction, une obligation prise en charge par les études urbanistiques et architecturales publiques et privées». Dans le corps de l’article 3 de la loi, sont définis les espaces d’interventions inhérents au jardin botanique, jardin collectif, jardin ornemental, jardin résidentiel et jardin particulier. A ces entités strictement urbaines, s’ajoutent les forêts urbaines (bosquets, groupes d’arbres, ceintures vertes) et les alignements boisés (formations arborées situées le long des routes et autoroutes). Les deux instruments de gestion des espaces verts prévus par la nouvelle loi sont le classement officiel de l’aire à déclarer comme étant un espace vert et, ensuite, l’établissement des plans de gestion de ces mêmes espaces. La nouvelle législation prévoit aussi que le déclassement d’un espace vert – pour une utilité publique avérée et incompressible – ne peut avoir lieu que par décret. En matière de construction dans la proximité immédiate d’un espace vert, l’article 15 précise « toute construction ou infrastructure devant être implantée inférieure à 100 mètres des limites d’un espace vert est interdite». Dans le même esprit, l’article 16 stipule que «toute demande de permis de construire est refusée si le maintien des espaces verts n’est pas assuré ou si la réalisation du projet entraîne la destruction du couvert végétal ». Mieux encore, la loi sur les espaces verts astreint les bureaux d’études en architecture et urbanisme à intégrer cette donne dans leurs plans de construction : «Toute production architecturale et/ou urbanistique doit intégrer et prendre en charge la nécessité des espaces verts selon les normes et objectifs fixés par la présente loi». Les alinéas de l’article 29 font état des critères à prendre en compte dans la création d’espaces verts (caractère du site, angles de vue, ressources de terrain, espèces végétales de la région, patrimoine architectural de la zone, servitudes et contraintes liées à la mitoyenneté, au régime des eaux, au droit de passage, au bornages, aux aliments de voirie,…). Enfin, un prix national de la ville verte est institué par ladite loi. Les dispositions pénales de la loi sur les espaces verts sont portées par 7 articles dont l’un précise qu’«est puni d’un emprisonnement de 3 à 6 mois et d’amende de 20 000 à 50 000 dinars quiconque se rend responsable de la dégradation des espaces verts et d’arrachage de jeunes plants». Quant à ceux qui seraient tentés de détruire un espace vert sans l’intention de s’emparer des lieux ou de les affecter à une quelconque autre activité, la nouvelle loi leur réserve une peine d’emprisonnement de 6 à 18 mois et une amende allant de 50 000 à 1 million de dinars. En procédant à la vulgarisation maximale au niveau des autorités locales des wilayas de la nouvelle loi sur les espaces verts, le département de Cherif Rahmani compte passer à la phase d’exécution de son contenu avec le maximum d’atouts. Car, par le passé, des dizaines de lois et décrets liés à la ville, à l’aménagement du territoire, à l’urbanisme et à la construction sont restées lettres mortes. Qu’en sera-t-il de la loi sur les espaces verts ? Saâd Taferka |