Mohamed Fellag : «Bled Runner, ou la fin du cycle de mes histoires algériennes»

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Mohamed Fellag : «Bled Runner, ou la fin du cycle de mes histoires algériennes»

le 24.11.16 | 10h00

 
	«Le pouvoir ne m’intéresse que dans sa bêtise, absurdité en tant que système»
 
«Le pouvoir ne m’intéresse que dans sa bêtise,...

L’humoriste présente Bled Runner, son dernier spectacle, ce jeudi soir à l’Olympia de Montréal devant 1 300 personnes, dont une bonne partie est issue de la communauté algérienne du Canada. Vu l’engouement du public, deux jours supplémentaires ont été rajoutés. Fellag, qui sera en tournée pour les deux prochaines années, revient dans cet entretien sur ce cycle entamé il y a 20 ans avec Djurdjurassik Bled.

- A Montréal, le public connaît votre personnage, M. Lazhar, du film éponyme où vous jouiez le rôle principal, mais pas Fellag l’humoriste ?

C’est vrai. La raison est que je ne me suis jamais produit ici. C’est la première fois.  Avec toute la communauté algérienne au Québec, on me demandait de venir. Le festival «Juste pour rire» m’avait invité à partir de 1999. Mais le problème est que j’avais des tournées énormes. Je donnais jusqu’à 150 représentations par an. Il était très difficile de trouver des dates où ça se passait au mois de juin où j’étais déjà sur les genoux. Je m’arrêtais. Je m’occupais de mes enfants.

Je partais en vacances. Je ne jouais plus après... Mon avant-dernier spectacle, Petits chocs de civilisations, qui était monté juste après M. Lazhar sorti en 2011, a failli être présenté ici dans le cadre de «Juste pour rire». Mais c’est moi qui ai reculé au dernier moment. Je me suis dit que c’est un casse-gueule. «Petits chocs des civilisations», qui a eu un énorme succès en France, où il a été joué plus de 300 fois, est une adresse aux Français. L’écriture elle-même, vu l’histoire qu’il y a entre la France et l’Algérie depuis plus de 150 ans avec tout l’imaginaire et les clichés des deux côtés.

Il n’y a pas un Français, pas un Algérien qui n’ait pas un oncle ou une tante qui vit en France, ou un Français qui n’ait pas un grand-père qui était colon ou chef de gare en Algérie. Tout ça faisait que le spectacle ne convenait pas pour le Québec. Tout d’un coup, j’ai eu peur. Une sueur froide. J’allais faire un spectacle pour un public qui n’avait aucune référence, ni émotionnelle ni historique, et ceci même s’il allait y avoir certainement des Algériens dans la salle.

- Vous ne courez pas le même risque avec Bled Runner ?

Non. Parce qu’avec celui-là c’est une autre écriture. C’est un voyage à travers tous mes spectacles depuis 20 ans. Je raconte l’histoire d’un Algérien des années 1950 jusqu’à maintenant en empruntant les chemins de tous les spectacles créés en France depuis 20 ans.

- Bled Runner est donc  un best of  ?

Non, c’est une réécriture. J’ai pris les thèmes et je les ai réinventés, réécrits, réaménagés, revus autrement. On a l’impression qu’on connaît, mais on ne connaît pas. Il va y avoir des gens qui vont dire : tiens, on a déjà vu celui-là, mais en fait ils ne l’ont pas vu ! Un tiers complètement nouveau, un tiers complètement bouleversé et le dernier tiers presque identique à ce qu’ils étaient avant.

Une sorte de voyage labyrinthique, comme je l’ai écrit, à travers ce que j’ai écrit depuis 20 ans en reprenant des thématiques qui sont encore d’actualité et les réinventer et les redresser parce qu’on n’a pas le même point de vue. J’ai 20 ans de plus, donc je ne vois pas les choses de la même façon.

- Au fond, c’est une fin de cycle. Alors que prévoyez-vous d’explorer dans le futur  ?

Tout à fait, c’est une fin de cycle. Je boucle une boucle qui sont les histoires algériennes, toutes ces valises d’histoires, de folies et de fantaisies que j’ai prises avec moi en m’arrachant de ce pays. Pendant 20 ans, j’ai raconté tout ceci de façon délirante  ! Bled Runner fait une boucle avec Djurdjurassik Bled ! Le futur, ce sera du théâtre, des livres, du cinéma, des one man shows, mais qui seront beaucoup moins dans le burlesque.

- On comprend que vous ne prendrez pas votre retraite de sitôt !

Non (rire). Dans ce formidable métier, à chaque âge on a un imaginaire nouveau, des désirs nouveaux. Regardez, Michel Bouquet. Depuis trois ans, il joue tous les soirs et il a 91 ans ! Si vous le voyez, vous serez pétrifié par l’énergie qu’il dégage à son âge.

- L’Algérien a toujours été votre matériau de base. Comment arrivez-vous à être à jour tout en vivant en France ?

D’abord j’ai 45 ans de maturation algérienne, d’observation, de vie, d’échange, de bouillonnement, de plaisir, de folie, d’humus… c’est en moi. Je puise dans des milliards de puits en moi et j’en trouve toujours et encore !

Par ailleurs, il y a une communauté algérienne en France extrêmement variée et nombreuse que je rencontre et que j’observe, je continue ma vie d’Algérien en France, l’autre moitié étant avec les Français et je crée des liens entre les deux ! Dans mes spectacles en France, ce qui est formidable, il y a 50 % d’Algériens et 50% de Français, surtout dans les grandes villes, il se crée des croisements et des plaisirs inouïs qui se font dans le public à travers mes histories. Ceci crée des liens, des ponts.

- A quand un spectacle en Algérie où vous n’en avez pas donné depuis 20 ans ?

Après mon départ d’Algérie et pendant six ans, il n’y avait rien à faire en Algérie à cause de la violence qui nous avait forcés à partir. Tous les théâtres étaient fermés. C’était particulièrement difficile pour moi qui joue tous les soirs. A un moment, c’était devenu un problème économique, car il fallait que je travaille. Je fais partie de ceux qui sont partis les derniers début 1994. Je ne voulais pas partir, ce n’était pas un luxe que je me permettais. J’en ai souffert énormément.

J’ai failli attraper une dépression les trois premières années en France, tout en ayant du succès. C’était interne. J’ai joué pendant un an en Tunisie et j’ai connu un succès fou, en France c’était pareil. Mais en dedans, ça me travaillait et j’ai frôlé la dépression à cause de tout ça. Petit à petit, j’ai commencé à trouver ma place en francisant mes spectacles et en trouvant un nouveau public qui a été très attiré par ce que je faisais. Les enfants vont à l’école, j’ai des amis et j’ai entamé des tournées. Et en premier lieu, personne ne m’a appelé d’Algérie !

Mais tout ceci a changé ?

Oui, mais je laisse la place aux jeunes. Je suis un autre après 22 ans. Cette Algérie que je raconte c’est mon Algérie à moi. Elle m’appartient et je la partage avec tous les gens qui s’y reconnaissent. Mes spectacles sont en français, il faudra écrire d’autres spectacles et là j’entame une tournée de deux ans. Donc, ce n’est pas du tout politique, ce n’est pas un abandon du pays, c’est un bonheur pour moi d’y jouer. C’est aussi simple que quand Sonelgaz demande à un ingénieur d’EDF de venir et qu’il réponde qu’il est pris et qu’il a des engagements.

- La situation en Algérie avec un Président aux capacités physiques réduites ne peut-elle pas être un sujet intéressant pour vous ?

Le pouvoir ne m’intéresse plus. Il m’intéresse dans sa bêtise, dans son absurdité en tant que système, mais pas les personnes ou sur une actualité. Il y a beaucoup de gens qui les traitent et le font beaucoup mieux que moi et sont plus près du problème. Moi je fais des choses plus paraboliques sur le système.

J’aimerais que les choses que je raconte continuent à faire rire dans cinq ans, dix ans. Je ne traite pas de l’actualité. Je l’ai fait au moment où j’étais à Alger quand l’actualité avait débordé la rue parce qu’il y avait une joie du changement après la chute du «mur de Berlin d’Alger» en 1989. Il y avait une euphorie à tous les niveaux. C’était avec Cocktail khorotov et sos labess.  Je me mêlais de l’actualité parce qu’elle était un sujet moteur de la société. Mais à partir du spectacle Un bateau pour l’Australie, j’ai commencé à faire de la vraie écriture théâtrale qui essaie d’aller vers des choses plus profondes, mais qui sont les causes de l’actualité quelle qu’elle soit.

- Peut-on dire de tout ?

Oui, on peut rire de tout mais  ça dépend comment. On ne peut pas mettre de limites au rire. On peut mettre des limites aux manières, aux façons de rire. Je ne veux pas faire fuir le public. Je joue devant des salles de 800, 1300 personnes si je fais fuir la moitié de la salle c’est comme si je me tirais une balle dans le pied. Je travaille sur mon texte pour ne pas choquer ou blesser. C’est un long processus qui me permet à la fin de monter sur scène et si ça ne plaît pas à quelqu’un, je peux discuter avec lui.

Samir Ben

 



26/11/2016
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