Portrait: Lalia Behidj, directrice d'Alger chaine 3


Portrait: Lalia Behidj, directrice d'Alger chaine 3

le 09.08.12 | 14h00 | mis à jour le 17.08.12 | 14h53

| © Elwatan.com
 

Directrice fraîchement nommée de la radio publique Alger chaîne 3, Lalia Behidj est plus connue par les auditeurs sous le nom de Malia. Elle compte sur son travail et son sens du contact pour faire avancer une entreprise à laquelle elle estime devoir beaucoup. "Avec optimisme mais sans naïveté" sur les difficultés à venir, elle trace sa route.

 

«C’était un job d’été ; puis un job d’étudiante. C’est finalement devenu le job de ma vie ». C’est ainsi que Lalia Behidj, alias Malia, résume sa carrière à la radio. Celle qui est entrée à Alger chaîne 3 il y a plus de vingt ans pour un simple remplacement d’été vient d’en être nommée directrice.

Sa prise de fonction s’est faite le 5 juillet 2012. Déménagement facile, physiquement parlant : dans l’imposant bâtiment de la radiodiffusion algérienne, au sixième étage, son nouveau bureau se trouve à quelques mètres à peine de l’ancien. Elle était jusqu'à lors directrice des programmes de la radio; depuis 2007. Elle gagne au passage les services d’une assistante qui filtre les appels et les visites, de nombreux mètres carrés en plus, quatre lignes de téléphone fixe et une vue imprenable sur Alger.

Mentalement, le changement est plus compliqué. Il lui faut à présent endosser le rôle de patronne. « Quand on devient chef, on n’est pas aimé. On passe sa vie à séduire et là on est vraiment dans l’anti-séduction », confie-t-elle. Difficile d’imaginer cette «incorrigible optimiste », comme elle se définit elle-même, jouer les rabat-joie. Cheveux coupés court, tunique sur pantalon fluide et bijoux discrets, l’allure élégante de la directrice  s’accompagne souvent d’un large sourire. Elle qui manie l’humour à haute dose en algérien comme en français sait pourtant se montrer froide et expéditive. Une animatrice de la chaîne avoue que certaines réunions sont animées. Mais si les échanges peuvent être vifs, cela reste « toujours dans un cadre professionnel », précise-t-elle.

Studio d'enregistrement de la chaîne 3. 12h30, c'est l'heure du journal de la mi-journée.

En cette période estivale, la journée est rythmée par les nombreux entretiens avec les animateurs et les journalistes. C’est le moment de façonner la grille de rentrée. Toute la chaîne 3 défilent dans le bureau de la directrice. Elle écoute les propositions de nouveaux programmes et les envies de chacun. Untel considère qu'il faudrait plus de présentateurs pour le journal, telle autre que les reportages sur le terrain sont une priorité. Cette phase d'écoute ne l'empêche pas d'avoir une idée bien précise sur la manière dont elle souhaite faire évoluer la radio. Bien décidée à imprimer sa marque dès sa prise de fonction, elle nous explique comment elle voit son rôle de directrice.

Être directrice d'une radio

À 43 ans, Lalia Behidj prend la tête d’une maison qui compte 231 employés dont 167 permanents. Il lui faudra gérer les tensions que l’on retrouve dans toute radio, apaiser les rivalités entre journalistes et animateurs, donner un cap. Tout cela, le temps que durera son «mandat ». Elle se sait sur un siège éjectable. Et elle sait qu’on ne lui fera pas de cadeau. Réelle ou de façade, elle fait preuve d'une belle assurance quant à sa légitimité: «Si je suis à ce poste, c’est grâce à mon travail. »

Ce travail, ce sont vingt et une années passées dans la maison. A commencer par l’été 91 où elle remplace Yasmina Samet pour la matinale. Elle restera onze ans dans la « brigade » du matin, « l’école de la rigueur ». Onze années à se lever à trois heures du matin, déjeuner à onze heures, se coucher à neuf. En cette décennie noire ce sont des matinées angoissées pour sa mère: Levée aux aurores avec Malia, elle ne se recouche pas avant de l’avoir entendu sur les ondes. Une vie en décalage. Point positif, cela lui permet de mener en parallèle ses études d'architecture. Et paradoxalement, Nadia Debbagh, assistante-réalisatrice à l'époque, se remémore cette période avec « beaucoup de nostalgie ». Elle dit: « Malia est quelqu'un de trés optimiste, elle a tout le temps le sourire. Et pendant la matinale on s'amusait beaucoup, on oubliait ce qui se passait à l'extérieur. » La directrice d’Alger chaîne 3 se souvient d’une émission en particulier, un moment délicat à l'image de cette période.

Une matinale pendant les "années noires" 

Animatrice puis productrice, Lalia Behidj a fait du chemin. « Elle a de l’ambition. Elle aime ce qu’elle fait et elle a le souci de l’auditeur », juge son ancienne partenaire de la matinale. Deux qualités qui la mène au poste de directrice des programmes. Encore très imprégnée de la fonction qu’elle vient de quitter, elle peut argumenter des heures sur une émission. Parmi ses fiertés se trouve le programme religieux présenté par Kamel Chekkat. Il s’adresse aux francophones ne maîtrisant pas l’arabe classique. Autre succès, le laboratour de Yazid Aït Hamadouche, l’émission "des jeunes pour les jeunes". Elle a fait émerger de nombreux talents. C’est aussi une preuve que la francophonie n’est pas morte chez la jeune génération. Retour sur la genèse de ces deux projets.

"Deux programmes dont je suis particulièrement fière"

Depuis le 5 juillet, elle prend un peu plus de hauteur par rapport à la production, en chapeautant aussi l’information. Une promotion vécue par sa famille comme une reconnaissance des sacrifices fournis, selon elle. « On n’arrive pas à ce degré de responsabilité si on n’est pas épaulé », affirme-t-elle. Sous-entendu : quand on est une femme. Cette mère de deux garçons de six et onze ans a bien conscience que « le schéma classique c’est la mère à la maison ». Une femme qui travaille cumule très souvent plusieurs journées de labeur en une. La première se déroule d'ailleurs au domicile pour s'occuper des enfants. Lalia Behidj ironise: « C'est la première brigade ». Pas question de se poser en exemple pour autant. « Moi ce qui me tient à cœur c’est de parler des Algériennes », lance-t-elle. Les héroïnes anonymes du quotidien qui s’occupent des enfants, les emmènent au sport, portent les baluchons et rentrent préparer le dîner lui semblent autrement plus intéressantes que son cas personnel. « Cette société repose énormément sur les femmes ».

Retour au sixième étage de la radio publique. La journée se termine par une séance de travail avec Nadjia Fouzache, rédactrice en chef à la direction de l’information et Yazid Aït Hammouchène, chef du département jeux et variétés. Les émissions sont décortiquées, ainsi que leur position dans la grille des programmes et le public visé. La directrice veut du neuf: «On ne peut plus faire de la radio des années 30 », lâche-t-elle. Tout en conservant les fondamentaux de la chaîne, ce qui constitue «son ADN ». 

Lalia Behidj et Nadjia Fouzache préparent le planning de la rentrée.

Dans l'identité de la chaine 3, il y a sa fonction de service public. Peut-on tout dire, informer objectivement quand on dépend de l'État ? Elle répond:« Quand certains détracteurs disent que l'information est muselée, ce n'est pas juste. Je pense qu'on a eu à chaque fois des arguments professionnels pour faire les choses telles qu'elles ont été faites. Lors d'un tremblement de terre, je ne vois pas en quoi donner des chiffres exponentiels de victimes est utile. C'est du sensationnalisme. » Elle trouve certaines critiques "injustes et condescendantes" alors qu'elle ne connaît «aucun média qui s'en prenne à ses bailleurs de fond », public ou privé. Son éternel optimisme rejailit quand elle déclare: «je veux faire changer les choses de l'intérieur ». 

Mois de carême oblige, la journée de travail est plus courte qu'à l'accoutumée. La directrice rentre chez elle en pensant à ce qu'elle va bien pouvoir préparer en plus du trio imposé chorba/brick/lham lahlu. C'est le début de la troisième brigade.

Les Algériennes sont moins nombreuses que leurs voisines maghrébines sur le marché du travail

 

L’article 31 de la Constitution prévoit que les institutions doivent permettre « la participation effective de tous à la vie économique », citoyens et citoyennes. Voilà pour la théorie. Dans les faits la population active ne comptait que 17% de femmes en 2010 selon l’ONS. Chiffre qui n’a progressé que de sept points en vingt ans. Autour de nous, 25% des actifs tunisiens sont des femmes ; 26% au Maroc d’après la Banque mondiale. Sans parler de l’Afrique du sud, première économie du continent où les femmes représentent 44% des actifs.

Ce chiffre de 17% minimise sans doute la contribution des Algériennes à l’économie car il ne prend pas en compte le secteur informel et le travail domestique, comme le faisait remarquer l’économiste Fatiha Talahite lors du colloque du cinquantenaire de l’indépendance. Selon une étude du CRASC, les freins à l'activité des femmes sont nombreux. Ce sont le manque de structure de garde pour les enfants, la répartition très inégalitaires des tâches ménagères et les difficultés que rencontrent les femmes pour se déplacer ou faire accepter à leur famille l’idée de vivre seule, écartant toute possibilité d’emploi éloigné du domicile familial.

A contrario, les diplômes, la vie citadine et la baisse de la fécondité favorisent l'accès à l'emploi. Les femmes peuvent aussi se tourner vers des associations qui les accompagnent dans la création d'une activité rémunératrice. Sans compter qu'il existe des dispositifs d'appui à l'emploi dont les femmes peuvent bénéficier au même titre que tout chômeur (ANSEJ, ANGEM).

 

Portraits de femmes dirigeantes

 

 

Avec ce portrait, nous inaugurons une série sur les femmes dirigeantes et chefs d'entreprise. Malgré tous les obstacles au travail des femmes, certaines ne se contentent pas d’occuper une activité rémunérée. Elles prennent des responsabilités et s’épanouissent dans le travail. Elles ne sont pas si rares et parfois ne se rendent même pas compte de leur contribution à l'économie du pays. Espérons que leur exemple fasse des émules.

 

Sophia Aït Kaci


18/08/2012
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