Soigner ?

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Prendre soin : une réflexion infirmière


Hématologie. Volume 16, Numéro 1, 81-3, janvier-février 2010, Tribune de réflexion éthique

DOI : 10.1684/hma.2009.0407


Auteur(s) : Chantal Bauchetet , Cadre de santé, AP-HP, Paris.

ARTICLE

Auteur(s) : Chantal Bauchetet

Cadre de santé, AP-HP, Paris

Soigner ?

Soigner, c’est donner des soins ou prendre soin ? Chacun d’entre nous prend soin, de lui-même, de ses enfants, des personnes aimées… Mais dans un contexte médical d’hypertechnicité, dans un environnement contraint, quelle réalité recouvre ce terme ? S’il est courant de parler du « cure » et du « care », employés dans les pays anglo-saxons, quel sens profond peut-on donner, au-delà des terminologies, à cette exigence que recouvre le soin ? Cette complexité serait double du fait des soignés mais aussi des soignants.

Pour les soignants, médecins et infirmiers, le terme « soigner » induit tout d’abord une série de connaissances et de techniques visant à diagnostiquer et à traiter. En réalité, cela implique aussi l’usage « d’objets barbares » pour faire dire au corps où est son mal ; il s’agit de mettre dans ce corps des dispositifs douloureux, cautionnés par le besoin de savoir ou de traiter et de faire en sorte qu’aucun mystère ne plane plus sur les maux.

D’ailleurs, les jeunes infirmiers ne s’y trompent pas, souhaitant pour le plus grand nombre, débuter leur carrière dans des services « prestigieux » tels les unités d’urgence ou de réanimation.

Et pour les médecins, quel est le sens du « soin » ? Quel espace ont-ils pour exprimer leur humanité, entre la contrainte des protocoles des services et les obligations de leur cursus ?

Pourquoi fait-on ce métier ?

Quels étranges métiers que ces métiers générateurs de douleurs et d’angoisses supplémentaires, d’intrusion dans ce qu’il y a de plus intime pour une personne devenue dépendante d’un système qu’elle ne contrôle pas et dont les finalités ne sont pas toujours bien explicitées, ou comprises. Ce sont pourtant les meilleures intentions qui prévalent dans l’idée d’apporter une guérison.

Alors pourquoi s’engage-t-on dans ces métiers ? Il y a sans doute de multiples réponses, mais qui peut savoir, en débutant à vingt ans, quelle réalité se cache derrière ces professions que l’on dit de dévouement extrême. Comment sait-on que derrière toutes les facettes techniques et valorisantes existe aussi un autre sens, profond, que l’on ne découvre que si l’on s’en donne la peine, si l’on ne « décroche » pas, si l’on ne devient pas blasé ou indifférent ?

La découverte du monde de la maladie, dans tout ce qu’il a de destructeur, est un rude choc et fait peur tant il est difficile de ne pas s’identifier aux personnes et aux situations… Et les armes dont disposent les soignants pour appréhender ces réalités sont bien minces, surtout lorsqu’ils débutent.

Quelle formation ?

Durant le cursus des études en soins infirmiers, il y a peu, voire pas, de place pour un enseignement des sciences humaines tant la part de la technique est grande. Aucun enseignement de textes fondateurs de l’humanisme n’est dispensé et la réflexion sur cette approche, pourtant essentielle, ne peut venir que si le soignant prend le temps d’une réflexion et d’un approfondissement personnels. Mais quand peut-il faire cela ? Qui peut l’aider dans cette recherche ?

L’obligation de la démarche participative (notamment par la mise en place de staffs pluriprofessionnels) sera un critère de la certification V3 Ã©valuée par la HAS. Pour autant, s’il sera possible d’en justifier l’existence, il sera toujours difficile d’en appréhender la qualité. C’est néanmoins un acquis considérable de promotion de la transversalité.

C’est un leurre (ou une grande espérance) de croire qu’elle puisse se mettre en place aussi facilement, tant chaque soignant est d’abord humain avec sa propre histoire, ses valeurs, ses préjugés, ses tabous ne favorisant pas la confrontation avec d’autres.

C’est un effort personnel et impliquant d’oser mettre « à plat » devant une équipe ses croyances profondes, ses motivations, ses forces et ses faiblesses. Ceci nécessite une confiance absolue dans tous les membres de l’équipe ; ce qui est actuellement bien aléatoire au vu de la rotation rapide des personnels dans les services de soins.

Ce manque d’enseignement des sciences humaines est en partie vrai pour les études médicales. De ce fait, les services de soins doivent fonctionner avec des professionnels de tous métiers, excellents dans les techniques et les nouvelles technologies, mais parfois bien pauvres dans la réflexion humaine du « qui suis-je » et du « qui est celui que je soigne ». Ce qui rend l’adéquation relationnelle entre le soignant et le soigné bien difficile et bien asymétrique.

Ainsi, exercer dans des services où l’on soigne des maladies graves et souvent mortelles mériterait, notamment, des formations plus approfondies sur la capacité à être avec l’Autre dans la compréhension large du sens de la vie et de la mort.

De plus, il ne faut pas occulter que les soignants sont aussi des humains comme les autres, avec leur histoire, leurs difficultés et leurs propres aléas de vie, les rendant parfois moins disponibles, donc moins perceptifs.

Au-delà de l’événement pathologique que constitue la découverte d’une maladie grave, c’est tout l’univers d’un humain qui se trouve bouleversé par ce qui ressemble souvent à un cataclysme familial, social. En tant que soignants, nous ne voyons que ce que nous voulons ou pouvons voir. Pourtant, une autre dimension habite ce patient ; une composante qu’il est malaisé de percevoir aussi attentionné que l’on soit. Alors il n’est pas question, bien évidemment, de se mettre à la place de l’autre, ce qui n’est d’ailleurs ni possible, ni souhaitable. Il est cependant important de se poser la question de : « où est ma vraie place dans ce contexte ? »

Ce métier est souvent générateur d’insatisfactions. En effet, il est difficile de gommer l’asymétrie dans la relation malgré toutes les bonnes intentions. Le patient reste celui qui souffre et ne sait pas, tandis que le soignant est celui qui le voit souffrir et sait (ou croit savoir).

Il ne suffit pas de faire un diplôme universitaire (DU) douleur, soins palliatifs ou éthique pour avoir cette fibre profonde du sens de l’altérité. On y apprend des techniques qui donnent légitimité d’exercice, mais qui ne sont pas forcément gage d’une véritable compréhension pour la personne soignée… C’est toutefois un premier pas vers une approche différente.

Être dans l’empathie ne va pas forcément de soi. Bien sûr, il y a des cursus d’apprentissage. Ils ne sont cependant réellement efficaces que si l’apprenant mène une réflexion profonde sur ce qu’il peut apporter et comment il veut partager. Ceci va à l’encontre de nos sociétés où tout doit aller vite, voire très vite, et être rentable. Or l’humanisme n’a pas d’échelle d’évaluation de rentabilité. Faut-il alors penser qu’il est voué à ne pas être entendu ? Que c’est une valeur qui n’a plus cours ? Ou faut-il, au contraire, faire preuve de ténacité et le défendre de toutes ses forces car dans chaque personne malade réside d’abord une personne humaine, un autre soi-même que l’on doit préserver à toutes fins ?

La reconnaissance d’un modèle managérial de démarche participative incluant des staffs pluriprofessionnels de libre expression semble une possibilité de réponse à ces problématiques. Là encore, c’est une démarche innovante qui réclame une modification profonde de nos fonctionnements.

Qu’est-ce que la maladie pour le patient ?

La maladie reste un phénomène qui s’inscrit dans un humain complexe par nature, caractérisé par bien d’autres composantes : un être potentiellement souffrant d’ennuis divers, de mal-être, qui a d’autres problèmes (familiaux, sociaux, culturels ou financiers) lui rendant la vie difficile.

Alors que représente la maladie pour une personne ? Des examens ? Des symptômes ? Des thérapeutiques ? Quel sens lui donne-t-elle ? Quelle liberté de réflexion sur elle-même lui laisse-t-elle ? En quoi et avec quelles ressources peut-on l’aider ? Est-ce la place des soignants de répondre à ces questions qui, pourtant, interrogent la personne malade tout autant que sa maladie ?

De même, les migrants qui arrivent dans nos structures de soins, quel sens donnent-ils à ce déploiement de soins sophistiqués quand le reste de leur famille meurt de faim ou de maladies devenues bénignes dans nos sociétés ? Quelle est alors leur perception ressentie du sens de leur maladie ? Avec quels outils culturels peut-on trouver un terrain de partage ?

Il faut bien reconnaître que là où nous souhaiterions être toujours efficaces, voire tout puissants, de grandes plages inconnues bordent cette connaissance de ce que nous percevons des patients que nous soignons.

Que savons-nous vraiment de leurs aspirations de vie ? De leurs valeurs ? De ce qui est vraiment important pour eux ? De leur représentation de la mort ? De ce qu’ils pensent et attendent de ce qui leur arrive ?

Alors plus encore que « quoi faire » se pose la question de « comment aider ces personnes », anxieuses pour leur vie, de l’avenir que la médecine peut leur donner ou pas, de ce qu’ils vont être obligés de modifier ou d’interrompre, et aussi comment continuer de vivre ce que leur état de santé leur permettra.

L’accompagnement humain dépasse le strict domaine des soins techniques à apporter et prend tout son sens si le patient ne guérit pas ou doit vivre un handicap. Et là encore, il existe bien des moyens à mettre en œuvre.

Quelle énorme responsabilité mise entre les mains des soignants chargés de tenter de restaurer une vie dans une histoire qu’ils ne connaissent pas. Il faut bien se résoudre parfois à n’être que des techniciens du soin et accepter ces limites qui s’imposent d’elles-mêmes.

Face au fantasme de bien-être absolu et éternel, voire d’immortalité, les annonces médiatiques de la recherche médicale mettent les patients dans une attente difficile à satisfaire. Que dire également des sites d’information qui laissent souvent les personnes seules face à leurs interrogations ?

Or, pour chaque patient, le but est très souvent l’idée de guérir tout de suite, de vivre dans l’ici et maintenant et non dans un hypothétique futur.

Perspectives

Le monde de la santé a bien évolué depuis des décennies pour une prise en compte plus humaine et plus respectueuse de la personne soignée. Il se heurte cependant aux limites de sa pratique, bien complexe, aux moyens que la société permet et aux exigences toujours plus grandes des patients.

Ce système est-il alors définitivement contraint à ne soigner que des maladies, ou bien y aura-t-il un plus grand champ des possibles ? Et lequel ?

Est-ce un souhait des soignants pour pouvoir enfin donner des réponses adaptées à toutes les situations qui se présentent ? N’y a-t-il pas, alors, risque d’omnipotence ? Voire d’ingérence dans la vie d’autrui ?

La large place prise par les soins palliatifs et les soins de support permet de penser qu’en toutes circonstances le monde de la santé pourra répondre par sa présence active, quels que soient la maladie et son avancement. Mais il est vain de croire guérir chaque personne tant il est vrai que l’on ne guérit pas de la vie, pourtant il y a toujours quelque chose à faire surtout quand « il n’y a plus rien à faire ».

L’idéal d’une prise en charge ne serait-elle pas l’aboutissement d’un travail collectif et adapté au profit d’un individu ? Il nous faut alors apprendre à travailler avec d’autres, dépasser nos organisations structurelles, inclure les autres soignants tels ceux du domicile pour une véritable continuité des soins

Le principe de transversalité doit trouver sa place dans les structures de soins existantes comme il existe déjà au sein des réseaux pour assurer cette continuité cohérente.

Reste à trouver la juste adéquation de la technicité en accord avec les principes fondamentaux de l’éthique du soin en toute humanité et en toute humilité. Ces nouvelles approches constituent bien un enjeu primordial du concept absolu du « prendre soin » dans une réflexion soignante mais aussi citoyenne.

http://www.john-libbey-eurotext.fr/fr/revues/medecine/hma/e-docs/00/04/54/D7/article.phtml



13/03/2010
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