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Tu feras des maths, mon fils… |
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Les maths occupent une place très forte dans le cursus scolaire et sont souvent considérées comme un instrument de sélection froid et impitoyable. Mais il semble aujourd’hui tout à fait injuste de réduire cette matière à la caricature que les concours de prestige ont pu contribuer à fabriquer.
Après des années de domination sans partage des lettres classiques et de la dissertation littéraire, les mathématiques ont acquis, autour des années soixante-dix, la réputation d’être la discipline de l’excellence et de la sélection. La section S est devenue ainsi la voie obligée pour accéder aux grandes écoles, et la réussite en mathématiques sert bien souvent de critère pour mesurer la capacité à entrer dans la logique des apprentissages scolaires de haut niveau. Les maths sont maintenant un enjeu primordial dès l’école primaire. Ainsi, pour l'opinion commune, la raison d'être de leur place dans les programmes scolaires se réduirait à la maîtrise de procédés, de techniques gratuites, de plus en plus ardus au fil de la scolarité et qui ne servirait qu'à se sortir au mieux de la sélection des examens et des concours. En réalité, même si la section S est toujours la plus cotée et la plus difficile, c’est parce qu’elle exige aussi un travail considérable en physique, en SVT, en histoire et géographie, en philosophie et en langues. Les maths y occupent certes une place très forte, mais il semble aujourd’hui tout à fait injuste de réduire cette matière à la caricature que les concours de prestige ont pu contribuer à fabriquer. |
| http://www.curiosphere.tv/ressource/14385-tu-feras-des-maths-mon-fils/80089-introduction |
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Les maths comme outil |
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Les maths sont partout... |
Comme on peut le voir en parcourant l’Histoire, les mathématiques ne se réduisent ni au calcul utilitaire ni aux pures spéculations abstraites. Les allers et retours entre les maths et la réalité sont constants.
En premier lieu, la vie en société exige de tout citoyen qu’il soit capable de lire et d’interpréter les innombrables informations chiffrées qui jalonnent sa vie quotidienne : notices, factures, informations, statistiques de toutes sortes supposent que chacun maîtrise la langue des chiffres. En second lieu personne ne peut nier que les mathématiques apparaissent dans tous les domaines qui comportent un aspect scientifique : physique aussi bien qu’architecture, économie et gestion aussi bien que médecine, technologie aussi bien que toutes les sciences de l’ingénieur, etc.
En règle générale, pour donner du sens aux mathématiques, il faut faire aussi autre chose que des mathématiques : celles-ci se bâtissent en un commerce avec le spatial, le numérique, le variable. Or, en quelques décennies, l’idée a été expulsée de la mathématique scolaire qu’elle est un outil pour penser le réel en ces trois grands domaines.
Yves Chevallard "Pour une nouvelle épistémologie scolaire" Cahiers pédagogiques N° 427 "Enseigner les maths aujourd’hui", nov. 2004. | |
Les maths comme outil |
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... mais elles sont d’abord à l’école ! | Il n’en reste pas moins que si, en tant qu’outil et que code, les mathématiques viennent de partout et concernent tous les domaines elles demeurent un outil abstrait qui ne décrit aucune réalité concrète. C’est leur richesse et c’est ce qui rend difficile leur enseignement dans la mesure où il est difficile de répondre de façon satisfaisante à la question "A quoi serviront les maths qu’on apprend ?"
D’un côté, [les mathématiques] sont liées à toutes 1es connaissances et pratiques humaines par leur origine et leurs applications. De l’autre, elles ont élaboré et continuent à élaborer des outils de pensée généraux, qui peuvent apparaître comme de purs produits de la raison humaine, et qui en manifestent en tout cas la puissance. C’est les appauvrir que de ne les rattacher qu’à un domaine de la connaissance ou de la pratique, et c’est aussi les appauvrir que n’en faire qu’un jeu de l’esprit
Jean-Pierre Kahane, membre de l’académie des sciences, "Est-il bien utile d’enseigner les mathématiques ?", Cahiers pédagogiques N° 427 "Enseigner les maths aujourd’hui", nov 2004 | |
http://www.curiosphere.tv/ressource/14385-tu-feras-des-maths-mon-fils/80104--mais-elles-sont-dabord-a-lecole-!
La meilleure façon d’aider votre enfant à surmonter la peur des maths n’est évidemment ni de le culpabiliser ni de déclarer que vous n’y comprenez vous-même plus rien. Encore moins de répéter les lieux communs qui font croire que "les maths c’est difficile" et de tenir les matheux pour "des grosses têtes". La solution n’est pas non plus de lui faire faire des exercices en plus de ceux que le professeur a donnés.
Considérer que les mathématiques usent d’un langage particulier mais aussi des mots de notre langue vous permettra de demander à votre enfant quelles sont les clés qu’il possède lui-même pour en décrypter le code et pour l’aider à y trouver du sens .
Pierre Madiot, rédacteur aux Cahiers pédagogiques Avec la collaboration de Martine Belmont, professeur de mathématiques en collège et de Françoise Colsaet, professeur de mathématiques en lycée, coordinatrice du dossier N° 427 des Cahiers pédagogiques, "Enseigner les maths aujourd’hui".
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Les Cahiers pédagogiques sont édités par le Cercle de recherche et d'action pédagogique (Crap), association de loi 1901.
Cette revue de référence est animée et composée depuis 1945 par des praticiens qui exercent à tous les niveaux de l'école (primaire, secondaire, supérieur) et dans tous les secteurs (enseignement, formation, vie | | |
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De Sumer à la théorie des ensembles |
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Il a d’abord fallu calculer |
Les mathématiques, autant que le langage articulé, l’art et la technologie, sont une manifestation de la capacité de l’homme à s’extraire des contingences de la vie quotidienne pour se représenter le monde, pour se représenter dans le monde, pour comprendre et pour agir. La perception des nombres constitue à cet égard une avancée décisive dans l’histoire de l’humanité tant elle fut la marque du pouvoir de contrôler les quantités, d’embrasser le temps et l’espace, mais aussi de concevoir l’infini.
Pourtant, si, dès la fin du quatrième millénaire avant Jésus-Christ, les Sumériens s’étaient dotés d’un système de numération, il a fallu attendre le cinquième siècle de notre ère pour que les mathématiciens de l’Inde découvrent le zéro et jettent les bases d’un système de numération décimale dans lequel un même chiffre représente des valeurs différentes selon qu’il occupe la place des unités, des dizaines, des centaines, etc. Ce système permet d’effectuer immédiatement les opérations sans avoir à utiliser un boulier ou une table à compter. http://www.curiosphere.tv/ressource/14385-tu-feras-des-maths-mon-fils/80090-de-sumer-a-la-theorie-des-ensembles
De Sumer à la théorie des ensembles |
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Lutte entre les anciens et les modernes |
Cette numération "de position", transmise au monde occidental par l’intermédiaire des Arabes au temps des Croisades, a constitué une révolution qui a permis de remplacer les chiffres "romains", capables d’exprimer des nombres mais non de les combiner, par les chiffres dits "arabes" et de substituer alors au calcul "a get", c’est-à -dire au moyen de jetons sur la table à compter (l’abaque latin), le calcul "à la plume". Certes, les Chinois d’avant le V° siècle ont utilisé la numération de position et on sait qu’il a existé des quantités de systèmes intermédiaires, mais c’est à partir du Moyen-Âge qu’en Europe, a été donnée progressivement à tout un chacun la possibilité d’accéder aux quatre opérations fondamentales : addition et soustraction et surtout multiplication et division qui consistaient auparavant, pour ces dernières, à enchaîner sur la table à compter une série de produits partiels ou de partages fastidieux.
Pourtant, l’opposition entre les deux techniques de calcul a duré plusieurs siècles, les partisans du calcul écrit d’origine indienne (les algoristes) se heurtant à l’hostilité des calculateurs professionnels (les abacistes) qui tenaient l’abaque pour l’instrument de l’autorité et d’une tradition matérialisées par un appareillage intimidant et une manipulation complexe.
Et jusqu’à une époque relativement récente, les fonctionnaires britanniques des Finances ne connaissaient pas d’autre méthode que l’abaque pour calculer les impôts de leurs contribuables. Et c’est parce que la table à compter s’appelait the exchequer ("l’échiquier") qu’aujourd’hui encore, le ministre des Finances de Sa Gracieuse Majesté la reine Élisabeth s’appelle toujours le "Chancelier de l’Échiquier". […] Et il a fallu la Révolution française pour trancher dans le vif et s’apercevoir enfin, comme le dit une personne avisée de l’époque, que "tout l’avantage qu’a un piéton libre et sans charge sur celui qui est lourdement chargé, le calcul à la plume l’a sur le calcul à jetons". L’usage de l’abaque fut dès lors interdit dans les écoles et les administrations.
Georges Ifrah, Histoire universelle des chiffres, Robert Laffont 1994.
Auteur que je conseille:lui même n'aimait pas les maths jusqu'au jour où on lui a fait faire du calcul(en s'amusant:alors il y pris plaisir et devint un mordu des maths) | |
Ainsi, la numération "de position" adoptée par les algoristes a contribué à répandre la pensée humaniste qui accorde à tout homme le pouvoir d’agir sur son propre destin. Elle tendait en effet à contester la hiérarchie du savoir traditionnel qui repose sur la conception d’un monde mystérieux, inaccessible à la compréhension des non initiés et qui ne peut inspirer qu’horreur sacrée et pieuse soumission. La lente démocratisation des moyens de calcul a au contraire fourni au plus grand nombre l’usage d’un outil individuel formé de symboles capables d’inscrire chaque fait singulier dans le cadre de lois universelles.
L'apport de la Grèce antique |
À partir de ce moment, les mathématiques ont évolué de manière décisive. Certes, les Sumériens s’étaient montrés capables de résoudre des équations du second degré et les Égyptiens savaient répartir les vivres en utilisant une algèbre et une géométrie archaïques. Certes, les Grecs Pythagore, Archimède et Euclide ont poussé très loin la réflexion mathématique en découvrant respectivement ce que nous appelons aujourd’hui les nombres irrationnels, le nombre π et les fondements de la géométrie classique.
Mais, si les premiers étaient mus par des préoccupations utilitaires, les seconds s’en sont tenus à des spéculations abstraites qui ont fondé la pensée scientifique contemporaine mais qui sont, dans la Grèce antique, restées l’apanage de quelques cercles philosophiques extrêmement fermés.
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De Descartes à l’informatique |
L’impulsion donnée par les algoristes de la Renaissance est relancée au XVIIe siècle lorsque Descartes remplace les chiffres par des lettres (x, y, etc.)(1) qui symbolisent un nombre encore inconnu et qui permettent d’abréger et de systématiser le raisonnement en l’affranchissant du discours et des significations attachées aux exemples particuliers. Cette nouvelle étape marque une évolution vers des mathématiques conçues comme un ensemble de "structures".
Enfin, alors que la caractéristique principale des mathématiques, depuis Euclide, est d’être la science où la validité des énoncés est fondée sur la démonstration, et où les savants se sont efforcés, au cours des siècles, de bâtir leurs théories sur le plus petit nombre d’axiomes(2) possible, la période contemporaine connaît une crise des fondements. Il s’avère en effet impossible de parvenir à une axiomatisation complète des mathématiques. Sous l’impulsion de Cantor, les mathématiques se reconstruisent alors autour de la théorie des ensembles. C’est cette dernière évolution qui prépare le développement de l’informatique.
(1)Descartes notait dans cet ordre les inconnues : z,y,x,…et il fut l’un des premiers (ou LE premier ?) à écrire les math en Français et non plus en Latin.
(2)En mathématiques le mot axiome désigne une proposition qui est évidente en soi dans la tradition mathématique grecque, comme dans les Éléments d'Euclide ; actuellement un axiome représente plutôt un point de départ dans un système de logique
http://www.curiosphere.tv/ressource/14385-tu-feras-des-maths-mon-fils/80094-de-descartes-a-linformatique
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Les maths à l'école |
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Les "maths modernes" et les nouveaux programmes scolaires |
En 1970, les "mathématiques modernes" ont fait entrer la théorie des ensembles dans les écoles. Mais il s'agissait alors moins de traduire dans le cursus scolaire l'aboutissement d'une évolution profonde des mathématiques que de rompre avec un enseignement qui semblait sclérosé. L'ambition était de permettre aux élèves, à partir de "bases" qu'on pensait accessibles à tous, d'accéder à un savoir mathématique propre à élever le niveau de compétences techniques et scientifiques dont un pays moderne avait besoin. Ainsi, les enfants apprenaient à classer des objets suivant leur forme, leur couleur, leur taille, à établir des correspondances entre les éléments et les groupes d'éléments avant d'aborder des combinaisons plus abstraites.
Depuis 1985, les programmes de l'école primaire ont abandonné cette réforme et fixent trois objectifs : maîtriser les opérations élémentaires, bien sûr, mais aussi donner du sens aux apprentissages mathématiques, et enfin apprendre à ne pas considérer comme acquis et généralisable le résultat d'une observation effectuée par les élèves.
Les instructions de 2002 vont dans le même sens puisque la liste des notions à acquérir est accompagnée d'un document qui recommande, entre autres, de mettre les élèves en situation de résolution de problèmes.
"C'est alors l'activité même de résolution de problème qui est privilégiée dans le but de développer chez les élèves un comportement de recherche et des compétences d'ordre méthodologique : émettre des hypothèses et les tester, faire et gérer des essais successifs, élaborer une solution finale et en éprouver la validité, argumenter. Ces situations peuvent enrichir leur représentation des mathématiques, développer leur désir de chercher, leurs capacités de résolution et la confiance qu'ils peuvent avoir dans leurs propres moyens".
Documents d'accompagnement des programmes de l'école primaire | |
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Toujours la question du "niveau"... |
Comme pour ce qui concerne les autres matières dites "fondamentales", il est de bon ton de déplorer une baisse de niveau catastrophique en mathématiques. En l’occurrence, la méthode associée aux "maths modernes" qui n’a constitué qu’un épisode très bref dans l’histoire des programmes, aurait joué le même rôle de bouc émissaire que "la méthode globale" en lecture. Autant il est nécessaire de reconnaître les excès dans lesquels les dites méthodes se sont engagées, autant il faut bien voir qu’elles n’ont ni l’une ni l’autre fait table rase de ce qui les a précédé et qu’elles n’ont jamais été appliquées de manière exclusive. Les orientations pédagogiques qui vont vers une plus grande prise en compte des représentations et des activités des élèves, vers un apprentissage qui accorde autant d’importance à la compréhension qu’à l’acquisition des mécanismes de base, autant au processus qu’au résultat, ne font pas l’économie des moments où le maître doit expliciter clairement les notions à apprendre et où il doit formaliser son enseignement de manière rigoureuse. C’est un "pédagogue" chercheur en psychologie cognitive, peu suspect de nostalgie passéiste, qui le dit : la façon de concevoir ce qu’on appelle "apprendre la division" à l’école primaire peut être facteur d’échec scolaire.
Affirmer, que l’enseignement de la division commence actuellement dès le CP, voire dès la maternelle, c’est sous-estimer les ruptures nécessaires à la conceptualisation arithmétique. En effet, à strictement parler, enseigner une opération arithmétique, c’est créer des situations pédagogiques favorisant la prise de conscience de l’équivalence entre plusieurs procédures, qui fonde cette opération, et c’est introduire les écritures appropriées pour symboliser cette équivalence ("a x b" pour la multiplication et "a : b" pour la division). Il s’agit moins d’y résoudre des problèmes que de théoriser leur résolution. Aucune séance de ce type n’a cours au cycle 2 concernant la division et, comme nous l’avons vu, les élèves ne pallient pas cette absence par des découvertes personnelles.
Rémi Brissiaud "Allègements des programmes et échec scolaire", Cahiers pédagogiques N° 427 "Enseigner les maths aujourd’hui", nov 2004. | |
Sélectionner ou former ? |
Le mérite des orientations amorcées dans les années 1970 et contenues dans les programmes de 2002 est de tenter d’infléchir les tendances, régulièrement révélées par l’OCDE, selon lesquelles si les écoliers français obtiennent de bons résultats dans le domaine des savoirs mathématiques, ils sont parmi les derniers de l’Europe quand il s’agit de les mettre en œuvre.
La douzaine d’écoles d’ingénieurs qui favorisent l’intégration d’élèves de BTS issus de zones sensibles prouve que l’avance des élèves "favorisés" en matière de connaissances ne constitue pas un avantage décisif si elle n’est pas accompagnée d’une compétence méthodologique ou si les élèves "favorisés" manquent de cette impertinence intellectuelle dont sont largement pourvus les élèves "défavorisés" qui les rejoignent.
Malgré les bonnes intentions affichées dans les programmes officiels, une partie des enseignants se demande donc si l’objectif d’apprendre à chercher et d’apprendre à raisonner n’est pas dépassé par l’ambition qui consiste à vouloir que tous les enfants de treize ans connaissent des rudiments de géométrie et d’algèbre… Ne fait-on pas peser sur l’ensemble du système scolaire les exigences qui, au bout du compte, ne concerneront que ceux qui se destinent aux études scientifiques ? La réussite en mathématiques, caricaturée par la capacité à résoudre des problèmes-types devient ainsi le garant de la réussite scolaire et d’un avenir assuré. On voudrait en faire un instrument de pure sélection qu’on ne s’y prendrait pas autrement ! D’autres, comme Jean-Pierre Kahane, membre de l’académie des sciences, plaident au contraire pour l’enseignement des mathématiques : "Il faut, bien entendu, et très fermement, enseigner les mathématiques !" (Cahiers pédagogiques N°427).
En attendant, les maths sont là , précédées par leur réputation, accompagnées d’idées préconçues qu’il est bon de passer en revue pour tenter de démythifier les difficultés d’une discipline qui n’est pas aussi inaccessible qu’on le craint souvent
http://www.curiosphere.tv/ressource/14385-tu-feras-des-maths-mon-fils/80097-selectionner-ou-former. |
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