TUNIS (Reuters) - Les islamistes d'Ennahda ont revendiqué lundi soir la victoire aux élections constituantes

TUNIS (Reuters) - Les islamistes d'Ennahda ont revendiqué lundi soir la victoire aux élections constituantes de la veille en Tunisie, le premier scrutin démocratique organisé depuis le début du "printemps arabe".

En début de soirée, aucun résultat officiel n'avait été annoncé, à l'exception du vote des Tunisiens de l'étranger, mais la formation islamiste, interdite sous le régime de Zine ben Ali, a indiqué sur la foi des résultats affichés localement devant les bureaux de vote qu'elle avait remporté plus de 30% des voix, arrivant en première place sur le plan national et dans la plupart des régions.

"Nous ne ferons l'économie d'aucun effort pour forger une alliance politique stable au sein de l'assemblée constituante", a annoncé Abdelhamid Jlazzi, directeur de campagne d'Ennahda (Renaissance), tandis que montaient des "Allah Akbar !" (Dieu est grand) dans les rangs de ses partisans.

Sans attendre la proclamation des résultats par l'Instance supérieure indépendante des élections (ISIE), le Parti progressiste démocratique (PDP), formation laïque, a reconnu sa défaite.

"Le PDP respecte le jeu démocratique. Le peuple a accordé sa confiance à ceux qu'il a considérés comme étant dignes de cette confiance. Nous félicitons le vainqueur et nous siégerons dans les rangs de l'opposition", indique le parti de Najib Chebbi dans un communiqué adressé à l'agence Reuters.

INQUIÉTUDES DU CAMP LAÏC

A peine plus de neuf mois après la chute du régime de Ben Ali, le 14 janvier, les Tunisiens, pionniers du "printemps arabe", se sont déplacés en masse dimanche pour élire démocratiquement une assemblée constituante.

La participation a dépassé les 90% des inscrits.

Selon toutes vraisemblances, compte tenu notamment du mode de scrutin de liste à la proportionnelle, Ennahda ne devrait pas remporter de majorité absolue à l'assemblée et risque de se heurter à un front de formations laïques.

Les seuls résultats officiels disponibles concernent le vote des Tunisiens de l'étranger, qui votaient avant dimanche.

Sur les 18 sièges qu'ils devaient désigner, neuf sont allés à Ennahda, quatre au Congrès pour la république (gauche) de Moncef Marzouki, longtemps exilé en France, trois à l'Ettakatol, autre parti laïc.

Ennahda s'est attaché pendant toute la campagne à se présenter comme le représentant d'un islamisme modéré sur le modèle du parti AKP, au pouvoir en Turquie. Mais une partie de la population, soucieuse de préserver la laïcité historiquement attachée à la Tunisie indépendante, s'inquiète de la résurgence des islamistes.

Lundi soir, une cinquantaine de militants laïcs se sont réunis devant le siège de l'ISIE, réclamant des investigations sur des irrégularités dont ils accusent les islamistes.

"Je suis vraiment habitée par la peur et l'inquiétude face à ce résultat", témoigne Meriam Osmani, une journaliste tunisienne de 28 ans. "Les droits des femmes vont être rabotés et une fois qu'Ennahda aura formé une majorité à l'Assemblée constituante, on assistera au retour de la dictature", ajoute-t-elle.

En plus de la rédaction de la nouvelle constitution du pays, les 217 membres de l'assemblée élue dimanche devront former un nouveau gouvernement provisoire avant des élections législatives et présidentielle prévues l'année prochaine.

JOUR HISTORIQUE

Dimanche, Rachid Ghannouchi, chef de file d'Ennahda rentré en Tunisie après 22 ans d'exil en Grande-Bretagne, avait parlé de "jour historique". En sortant du bureau, il a été hué par des dizaines de personnes aux cris de "Dégage !" et "Tu es un terroriste et un assassin ! Rentre à Londres".

Ennahda se défend de vouloir imposer une application stricte des principes religieux à une société tunisienne habituée depuis la décolonisation à un mode de vie libéral. Pour les observateurs, le parti est tiraillé entre une direction modérée et une base parfois plus radicale.

"Ennahda a réussi là où nous avons échoué, nous devons nous restructurer, nous devons nous unir une nouvelle fois", a indiqué Riadh ben Fadhal, du Pôle démocratique moderniste (PDM, coalition de centre-gauche).

La communauté internationale suit aussi attentivement ces élections, qui pourraient fournir une indication des développements à attendre dans les bouleversements en cours dans le monde arabe.

A Washington, Barack Obama a déclaré que la révolution tunisienne, déclenchée le 17 décembre dernier par l'immolation du jeune Mohamed Bouazizi en geste de désespoir face au chômage et à la répression, avait "changé le cours de l'Histoire".

Le secrétaire général de l'Onu, Ban Ki-moon, a salué lui le déroulement pacifique des élections et appelé "les parties prenantes à rester attachées aux principes de transparence durant les prochaines phases de la transition".

Si elle était confirmée, la victoire d'Ennahda serait le premier succès enregistré par une formation islamiste dans le monde arabe depuis la victoire du Hamas aux élections législatives palestiniennes de 2006.

En décembre 1991, le Front islamique du Salut (Fis) avait remporté le premier tour des élections législatives algériennes mais le scrutin avait été annulé entre les deux tours par l'armée.

avec Christian Lowe, Abdelaziz Boumzar, Mohamed Argoubi et Warda al Jawahiry; Bertrand Boucey, Marine Pennetier et Henri-Pierre André pour le service français



25/10/2011
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