Portrait: Djamal Allam, une étoile s’éteint Par Rachid Oulebsir

Djamal Allam a réuni pour son départ l’éphémère constellation du monde de l’art qu’il avait fait briller durant un demi-siècle. Tout ce que l’Algérie a de créateurs encore vivaces, artistes, intellectuels, simples mélomanes au bon cœur, citoyens respectueux du culte et des us locaux, était là, épaule contre épaule, pour jeter un dernier regard au visage marqué par la souffrance de leur icône, leur artiste adulé. Parcours étoilé, souvenirs humains, rencontres lumineuses avec l’artiste, l’acteur, le dramaturge, le cinéaste, l’humoriste, l’érudit, le frère des pauvres, étaient sur toutes les lèvres.
Kamal Hemmadi a été le dernier à compléter l’oraison funèbre plurielle prononcée sur le perron du Théâtre régional de Béjaïa par Boubekkeur Khelfaoui, un mécène connu du monde des artistes. Il lut un poème en hommage à Djamal Allam , « le crooner au verbe propre », ponctué par une salve d’applaudissements nourrie à l’amour de la population pour son enfant prodige et à l’adhésion complice à cette surprenante osmose entre la société civile, les autorités locales, et la famille du défunt, avant que le Diva Malika Domrane ne surprenne le ciel et la rue par un morceau de chant lyrique, un « Achouiq » venu des temps anciens, dont elle seule a le secret, un épithalame qui dans nos rituels mortuaires accompagne les êtres chers à leur dernière demeure.
Suivi d’une procession en fourmilière, le véhicule des pompiers s’ébranla à treize heures vers la mosquée de Sidi Soufi, où l’âme du défunt reçût les ultimes suppliques et les dernières prières des vivants. Djamal fut enterré à coté de son père, selon sa dernière volonté, dans le cimetière de l’un des 99 saints de la ville, Sidi Mhand Amoqrane.
La multitude de femmes et d’hommes venus de tout le pays, voire de l’étranger, nous renseigne sur la valeur de l’homme, un artiste multidimensionnel, un être souriant connu pour son humour décapant et ses multiples facettes artistiques. Safi Boutella, Akli Dehilès, Malika Domrane, Kamal Hemmadi, Yasmina, ont accompagné la dépouille de Paris. A ces artistes de renom, se sont joints Lounis Ait Menguellet, Loualia Boussaad, Medjahed Hamid, Boudjemaa Agraw, Oulahlou, Rabah Ouferhat et de nombreux autres artistes qui l’ont côtoyé et aimé. Des élus locaux, deux ministres et de nombreux cadres de l’Etat se sont déplacés pour cet événement tragique qui touche le monde artistique, à l’instar de Slimane Hachi et Samy Bencheikh, le directeur de l’ONDA.
Cinquante ans de carrière artistique plurielle
Né le 26 juillet 1947 à Béjaïa, Djamel a fait sa scolarité durant la guerre de libération. Il sortit de l’école avec un certificat de fin d’études primaires au lendemain de l’indépendance. Il rejoindra très vite le conservatoire de la ville sous la houlette du professeur Sadek Abedjaoui. Il apprendra les rythmes africains du Chaabi et les secrets méditerranéens de la musique andalouse. Il vivra dans le monde associatif de la foisonnante et brillante Bougie post indépendance, il animera les planches théâtrales locales où il était très apprécié pour son humour et son jeu de scène. En 1969, il prendra le bateau pour Marseille avec la dernière vague d’émigrés contingentée par le bureau de main d’œuvre algérien. Manuel et bricoleur, il s’installera dans cette ville où il exercera le métier de machiniste dans un théâtre. Commencera alors une longue carrière dans le monde de l’art. Il connaîtra les grands noms de la chanson française, avec lesquels il se liera d’amitié. Léo Ferré, Jean Ferrat, Maxime le forestier, Bernard Lavilliers, Hugues Auffray, Renaud, et tant d’autres femmes et hommes au charisme marquant comme Arezki et Brigitte Fontaine.
Boubekeur Khelfaoui témoigne : « Il compensait sa sortie précoce de l’école par un amour fou de la littérature, il avalait deux à trois bouquins par semaine. C’était un véritable érudit. Parlant un français châtié, il pouvait tenir la discussion sur les classiques français, le romantisme, le dadaïsme, l’école littéraire soviétique ; les apports de la pensée de Marx à la décolonisation, l’émergence de la littérature algérienne d’expression française et les secrets de la poésie pastorale chantée par l’école Chaabi, le raffinement urbain de la musique andalouse, les diverses époques de l’art universel . Il était un champion dans les mots croisés, chaque matin il faisait se revue de presse, sa grille de mots croisés muette de niveau 5 en prenant son café noir. »
Un artiste multidimensionnel
Monté à Paris, il connaîtra rapidement le succès. Il a été simultanément, acteur, dramaturge, compositeur de musique symphonique, réalisateur de films, et brillant chanteur précurseur de la chanson moderne algérienne, notamment la chanson Kabyle qu’il a été le premier à lancer en Europe, avant Idir et autre Abranis …
En Algérie, il a collaboré avec les plus grands: Meziane Rachid , Ahmed Malek, Boudjemia Merzak , Safi Boutella, Kamal Hemmadi. Ses chants résonneront encore dans nos têtes, et dans nos cœurs, il nous a laissés une œuvre majeure, une poésie ciselée en harmonie avec ses mélodies envoûtantes. Très proche du Parti communiste, influencé par l’humanisme de gauche, il était complice des ouvriers, des paysans, des marginaux et des malchanceux. Très influencé par son idole et ami Georges Brassens, il trouvera de la place dans son cœur pour tous les pauvres hères, les marginaux, les laissés pour compte
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