10-9-2009
Des familles vendent leurs bijoux
10 Septembre 2009 - Page : 3
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La Banque algérienne de développement (BDL) joue un rÎle social indéniable pour ces pauvres gens.
«Lahdayade lechedaid», littĂ©ralement (les mĂ©taux prĂ©cieux pour les situations difficiles), un dicton bien connu chez nous qui prend ici toute sa signification. En effet, un nombre alarmant de familles, toujours croissant, se tourne vers lâultime recours du prĂȘt sur gage en mettant leurs bijoux «au clou» pour subvenir aux besoins et aux dĂ©penses en cette fin de Ramadhan. GĂ©nĂ©ralement sans filet social adĂ©quat, elles sont cruellement parachutĂ©es dans ce monde particulier.
Elles hantent les points connus de tous dans la capitale: place Emir-Abdelkader, Bachdjerrah, rue Bouzrina, rue Bab Azzoun, Oued Kniss...Une virĂ©e Ă ce dernier point les dĂ©busque dans le square mitoyen Ă la Banque de dĂ©veloppement local (BDL). PrĂȘts sur gage (PSG). Elles sont plus nombreuses quâon ne le pense en cette pĂ©riode difficile de crise. Le Ramadhan, la rentrĂ©e scolaire, lâAĂŻd...autant de dates «fatidiques» qui guettent ces familles. Bien que discrĂštes, on reconnaĂźt assez facilement ces mĂšres ou pĂšres de famille par leur air pudique, gĂȘnĂ© presque, effacĂ©, les yeux hagards, la tĂȘte un peu basse. Elles sont enveloppĂ©es dans une «djellaba» dĂ©fraĂźchie ou un hidjab de fortune dâune propretĂ© douteuse...Elles sont diffĂ©rentes mais mĂȘlĂ©es malgrĂ© elles aux autres femmes, les «delalate», qui constituent la «faune» dâacheteuses revendeuses, les yeux aux aguets, bardĂ©es de bijoux et rutilantes comme un prĂ©sentoir de bijoux en vitrine.
Ces mĂšres et pĂšres de famille viennent vendre leurs bijoux Ă ces «delalate», souvent aprĂšs un Ă©chec de la transaction avec la banque adjacente Ă ce «souk». Déçus, ils sont alors vulnĂ©rables et «cueillis» comme une poire mĂ»re par une «dellala». Le prix quâelles proposent est relativement allĂ©chant par rapport Ă celui offert par «El banca». Il peut atteindre 1700 DA le gramme y compris pour les dĂ©chets dâor, ou «la casse» comme appelĂ©e dans la profession de bijoutier. Le refus bancaire est signifiĂ© sine die si le bijou nâest pas frappĂ© du poinçon de lâEtat. Il faut dire que la plupart des bijoux proposĂ©s Ă lâhypothĂšque bancaire, ont Ă©tĂ© achetĂ©s auprĂšs des «trabendistes» qui Ă©cument le pays. Les bijoux quâils manipulent proviennent souvent de trafics transfrontaliers ouest, mais aussi du nord notamment dâItalie et du Proche-Orient.
Alors, attention Ă lâarnaque! Tout ce qui brille nâest pas or, avertit lâadage! A la BDL/PSG, (Banque de dĂ©veloppement local - PrĂȘt sur gage), en lâoccurrence, dont une autre antenne est situĂ©e Ă la rue Harrichet, ex-Mogador, non loin de la place Emir-Abdelkader, le bijou est Ă©valuĂ© par un expert apprĂ©ciateur ou commissaire-priseur. Le bijou en or 18 carats poinçonnĂ© en AlgĂ©rie, est actuellement estimĂ© par la banque Ă 500 dinars le gramme contre 250 DA auparavant: une misĂšre! Une estimation du montant du prĂȘt est alors faite. AprĂšs accord du vendeur, la prĂ©sentation dâune simple carte dâidentitĂ© et quelques signatures, un prĂȘt financier, en argent liquide est immĂ©diatement dĂ©livrĂ©. La durĂ©e du prĂȘt est de 6 Ă 36 mois. La personne peut rĂ©cupĂ©rer son bien Ă tout moment en payant les intĂ©rĂȘts sur la durĂ©e du dĂ©pĂŽt. Une disposition financiĂšre somme toute normale, qui ne saurait en rien ressembler Ă une «faveur» que dâaucuns estiment ainsi, est accordĂ©e. Elle permet dâeffectuer des versements ponctuels ou anticipĂ©s, dĂ©ductibles du montant global de remboursement. Au terme du contrat, trois possibilitĂ©s sont offertes: le remboursement du prĂȘt et des intĂ©rĂȘts, actuellement Ă hauteur de 8%, le renouvellement du contrat en ne payant que les intĂ©rĂȘts de la pĂ©riode Ă©coulĂ©e ou encore la vente de lâobjet. Lâassurance est incluse dans tous ces calculs de prĂȘt. Les prĂȘts sur gage constituent pour la BDL, qui en a lâexclusivitĂ© dans le pays, une activitĂ© Ă caractĂšre social hĂ©ritĂ©e des ex-caisses du CrĂ©dit municipal, ou «ma tante» comme appelĂ©e familiĂšrement Ă lâĂ©poque. Elle continue de promouvoir cette activitĂ© au bĂ©nĂ©fice des particuliers, des mĂ©nages notamment. Ceux-ci, qui ne sont pas bancables, trouvent dans ce crĂ©dit, une rĂ©ponse Ă des besoins conjoncturels de trĂ©sorerie, en contrepartie de gage dâobjets en or ou tout autre objet de valeur jadis. Chez la femme musulmane du Maghreb ou dâailleurs, rappelle-t-on, la dot est constituĂ©e de bijoux, relativement importants en poids dâor. De plus, la femme continue Ă en recevoir au cours de sa vie conjugale. Quoi quâil arrive, les bijoux restent propriĂ©tĂ© de la femme, mĂȘme en cas de rĂ©pudiation. Ceci explique-t-il cette exclusivitĂ© de la femme à «mettre au clou» ses propres bijoux? Cette expression fait rĂ©fĂ©rence aux objets donnĂ©s autrefois en gage qui Ă©taient accrochĂ©s Ă des clous. Mal traduit en français, les «CrĂ©dits de PiĂ©té» ou «Monte PiĂ©ta» en «mont-de-piĂ©té», se sont dĂ©veloppĂ©s dans le monde entier. MĂȘme la Chine dâaujourdâhui en compte plus dâun millier, si ce nâest plus, selon des statistiques anciennes. Pour beaucoup de gens sans revenus, le prĂȘt sur gage reprĂ©sente une planche de salut. Ils remplacent les prĂȘts humiliants contractĂ©s auprĂšs de personnes physiques (parent, voisin, ami...). Ces prĂȘts offrent surtout une discrĂ©tion toujours recherchĂ©e en pareil cas. 4 autres agences de prĂȘts sur gage de la BDL sont implantĂ©es dans dâautres villes du pays (Oran, Constantine, Annaba et Boukadir). AbordĂ© par LâExpression un acheteur- revendeur, la trentaine rĂ©volue, dâune tenue trĂšs propre et mĂȘme prĂ©sentable, regrette quâil nây ait plus de «rush» cette annĂ©e comme les prĂ©cĂ©dentes annĂ©es. Un autre, acheteur-revendeur, qui Ă©piait les Ă©ventuels clients Ă la sortie de la banque BDL/PSG, se plaint de sa situation. Une famille forte de sept membres quâil arrive Ă peine Ă nourrir avec les faibles gains quâil rĂ©alise selon ses dires. Jurant par tous les saints, il raconte quâil vient dâĂŽter, avec les larmes aux yeux, des boucles des oreilles de sa fille pour en tirer quelques centaines de dinars et vivre dĂ©cemment un jour de jeĂ»ne de plus.
Il se lamente de la baisse drastique des «affaires». Pour lui, les malheureuses familles algĂ©riennes nâont «plus rien Ă vendre». Elles ont dĂ©jĂ mis au clou, ou vendu tout ce quâelles avaient de prĂ©cieux, et pis encore, pour pouvoir survivre en ces temps de «disette», quoi que lâon dise.
Abdelkrim AMARNI