Actualité | vendredi 31 août 2012
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Actualité
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Les communes de la soif
le 31.08.12 | 10h00
Les pénuries d’eau touchent tout le territoire. Les habitants sont contraints de s’approvisionner avec des bidons aux sources ou aux camions citernes. Pourtant, la ville d’Alger est une référence mondiale en terme d’alimentation en eau.
«Depuis que ce n’est plus la commune qui gère directement l’alimentation en eau, nous sommes approvisionnés en moyenne une fois tous les 10-15 jours. Mais maintenant, regardez comment ça se passe. Depuis le début du Ramadhan, plus une goutte ne coule de nos robinets, alors que nous disposons de sources dans la région», indique ce groupe de villageois rencontrés sur la placette centrale. Malgré la fraîcheur d’altitude et l’omniprésence de forêts de chênes-lièges, Seraïdi, distante de 15 km de Annaba, sur les hauteurs de l’Edough, a très soif en cet été 2012, comme beaucoup de communes à travers le territoire national.
Le village lui-même dispose de deux sources où les habitants viennent s’approvisionner «en attendant des jours meilleurs», nous explique aâmmi Amar, 70 ans. Mais il reste très en colère quant à la situation qui perdure : «Quand on voit que l’Algérie dispose de ressources inestimables pouvant lui permettre de vivre presque dans l’excès et que l’eau ne coule plus à la maison, je me demande à quoi a servi le sacrifice de nos glorieux chouahada. L’eau nous parvient, directement de Annaba, et, question potabilité, le doute est réellement permis. Cette eau-là nous sert surtout pour les tâches ménagères.
Chaque matin, je me déplace à la source avec mes bidons. oualefna». Aâmmi Amar ne cache pas son dégoût pour les autorités et semble comprendre les exactions qui peuvent être déclenchées, telles que routes fermées, pneus brûlés, voire émeutes. «Ce pays ne nous appartient déjà plus, à moi et à ceux de ma génération. Il appartient à ces jeunes qui sont nés après l’indépendance et qui ont plein de qualités eux aussi, mais, Allah ghaleb, ceux qui sont à Alger ignorent ou feignent d’ignorer cette valeur.»
Kraht hayati
Certains, comme Nasser, cafetier d’une quarantaine d’années, se veulent malgré tout optimistes. «Le jour où nous aurons de l’eau 24 heures sur 24, nous mangerons une aâcida géante et c’est moi-même qui la préparerai.» Il explique comment se sont organisés les habitants pendant le Ramadhan : «Avec le mois sacré, beaucoup ont acheté des réservoirs, certains s’en sont même fabriqué de fortune avec des bâches. D’autres, qui ont plus de moyens, ont pu creuser des puits et ainsi dépanner les voisins. N’oublions pas que c’est le mois de l’entraide.» A l’intérieur d’une supérette, une femme d’une quarantaine d’années, lunettes de soleil, hidjab noir et longue robe noire s’emporte contre l’épicier.
L’eau minérale en bouteille n’est toujours pas disponible. «Ça fait 5 jours que j’attends, s’énerve-t-elle. Kraht hayati ! Un jour sur deux, je suis obligée de descendre à Annaba pour acheter des bouteilles. Pourquoi ne nous livrent-ils pas l’eau minérale ? Ils veulent nous laisser mourir de soif ? Nous avons des familles, des enfants. Je suis une femme, en plus. Imaginez une femme enceinte. Moi, je veux que Sellal démissionne, ou bien s’il est un homme qu’il vienne ici, il saura à qui parler. D’ailleurs c’est tout le gouvernement qui doit changer !»
La discussion prend une tournure clairement politique lorsque l’épicier évoque une éventualité d’émeutes. «Nous avons eu les émeutes de l’huile, du sucre, du lait, de la semoule, alors pourquoi pas des émeutes de l’eau ? De toute façon, pour un pays où chacun devrait disposer de ce liquide, ce sont toutes les institutions qu’il faut changer. Regardez nos jeunes, Sidi Salem (village côtier connu comme principal lieu de départ des harraga, ndlr) n’est pas loin d’ici.»
Menteurs
Il évoque l’absence d’une douche municipale pour les habitants et les gens de passage. A cette période de l’année, les sources sont à faible débit quand elles ne sont pas à sec. Il est parfois devenu difficile de remplir une simple bouteille de 1,5 litre. «Seraïdi est devenu un village de aâtchanine.» Aujourd’hui le problème c’est l’attente. Après les promesses des autorités, cette attente semble interminable. «Des promesses, nous en avons eues..., renchérit El Hadja Naïma, vêtue d’une mlaya (voile traditionnel noir, ndlr), septuagénaire domiciliée à Annaba, de passage chez sa fille. Jusqu’en 2006, nous étions approvisionnés correctement en eau. Depuis que c’est la Seata qui a pris le relais de la commune, rien ne va plus.
Maintenant on nous promet que l’eau courante va monter de Annaba. On nous promet même le gaz de ville. Ce sont des kedhabbine, rien de plus, je ne les crois plus.» Retour au café de la placette, où Nasser nous interpelle, affirmant que l’eau vient d’arriver chez lui : «Ma femme vient de m’appeler. L’eau coule. Ça fait 15 jours que nous sommes à sec. Elle m’a demandé d’acheter un poulet pour le préparer. Ceci dit, je sais que cette embellie ne va pas durer. D’ici ce soir, il n’y aura plus d’eau. L’eau coule tout doucement des sources.» Les deux sources du village sont chaque jour occupées par des habitants munis de jerricans, de bouteilles d’eau. Aïcha, 17 ans, lycéenne, assure chercher de l’eau à la source tous les jours. «Matin et soir, c’est le même rituel, la même corvée.
Je sors de la maison pour aller chercher de l’eau, et je ne suis pas la seule.» A côté de Aïcha, un jeune homme est là, à la fontaine à longueur de journée. Il semble faire partie des lieux. Abdelhamid, un père de famille, 45 ans, nous affirme qu’il s’agit d’un malade mental très connu au village. «C’est un peu le gardien des deux sources de Seraïdi. Les gens des villages voisins de Aïn Barbar et Bouzizi viennent jusqu’ici pour s’alimenter. C’est terrible. Comment, en 2012, pouvons-nous vivre une situation aussi intolérable que celle-ci ?»http://www.elwatan.com//actualite/tlemcen-setif-annaba-tipasa-boumerdes-delaissees-par-alger-les-communes-de-la-soif-31-08-2012-183698_109.php
A la recherche des films perdus : Le Voleur & Situations de transition.
le 31.08.12 | 10h00
Le cinéma regorge de ces films censurés, traficotés et parfois perdus dans des caves souterraines où la lumière de la pellicule est restée de marbre. Cet été, retrouvez chaque semaine notre feuilleton sur ces films qui continuent de susciter des mystères et dont les histoires tristes et rocambolesques démontrent qu’il est toujours possible, en 2012, de croire en l’innocence du 7e art.
Samedi 25 août, 17h, quelque part dans le centre de Paris. Un café intitulé affectueusement «Café de Pierre» comme si les dirigeants nous ouvraient leur cœur et tout le reste. J’y suis, attablé en terrasse, un café sans sucre et la clope prête à l’emploi. D’abord Beloufa entre en piste. Prénom : Farouk, métier : cinéaste maudit, film culte : Nahla, Filmographie : néant, signe particulier : le Destin ne l’aime pas ! Face à moi, les cheveux en bataille, l’œil toujours vif et un café noir entouré de sucrettes. Dix minutes plus tard, ce sera Allouache qui traversera le café pour nous rejoindre.
Main discrètement tendue, sourire esquissé pour Beloufa et bière fraiche face à lui. Prénom : Merzak, métier : cinéaste algérien, film culte : Omar Gatlato. Filmographie : dent de scie, signe particulier : il fume des cigarettes électroniques. Deux noms illustres du cinéma algérien, pas celui qui nationalisa les foules et la pensée, celui qui vit. RDV pris pour discuter de l’année 67, d’un pays en transition ou en construction, et d’une école de cinéma, la seule dans l’histoire du pays, et qui donnera la possibilité à quelques hurluberlus de faire de beaux bras d’honneur et d’où sortiront les premiers films d’Allouache et Beloufa, des courts perdus !
On discute du Présent, puis du passé, jamais de l’avenir. Chemin rarement exploité en ces temps de crise. Pour mieux cerner les enjeux, faut comprendre l’Algérie post-indépendance. Allouache : «L’Algérie était devenue un pays supporté et qui se traduisait par une émulation de la présence des étrangers. Aujourd’hui, le jeune algérien ne peut se douter de l’importance d’une capitale telle qu’Alger au milieu des années 60. On pouvait rencontrer n’importe qui, n’importe où, quelque chose se créait et qui participait au quotidien excitant de cette capitale. Ce sont ces gens, aventuriers, aventuristes, coopérants, sans doute auréolés d’un romantisme dû à une indépendance encore fraiche, qui venaient par centaines, alors qu’au sein du FLN, des choses catastrophiques se tramaient. Farouk et moi, sommes le résultat de cette émulation.» Puis le cinéma.
Cette école créée en 64, gérée principalement par des Polonais, techniciens et autres réalisateurs dont Kaminski et provenant de la fameuse école de Lodz (celle où sont sortis les Skolimowski et autre Polanski). Plusieurs étudiants fennecs, dont Beloufa et Allouache, viennent tenter leur chance. Ils n’ont pas le choix, incapable de faire autre chose et trop passionné par le cinéma pour aspirer caresser une autre activité. Dans un premier temps, beaucoup de théories, on voit des films, on disserte, on vomit de l’analyse, on découvre des sensations insoupçonnés. La cinémathèque d’Alger devient le haut-lieu de la cinéphilie algérienne. Allouache hume sa cigarette des temps modernes et lance : «Nous allions voir les films, nous en discutions avec Kaminsky, quelque chose d’étonnant prenait forme. Très vite, l’envie de faire des films est arrivée. Nous avions des idées assez romantiques, traversés par le cinéma paupériste, populaire. Nous étions très subversifs, contre le coup d’état du 19 juin 1965, et d’ailleurs, nous avions été arrêtés par la gendarmerie car nous scandions dans les rues : «Vive Ben Bella !». Nous étions inconscients. Je pense qu’aujourd’hui, il y a deux formes d’artistes : l’officiel et l’autre. Nous étions «l’autre»
Très vite, l’envie de faire des films pointe le bout de son nez. Entre 64 et 67, plusieurs vagues viennent déferler sur la capitale algéroise. Boumediene prend le pouvoir, les polonais de l’institut retournent chez eux et ce sont les français qui prennent le relais. Les films seront faits, muets, inversible 16 et dénués de négatifs. Beloufa filmera dans Situation de transition, le portrait d’un homme aux prises avec son entourage, tandis qu’Allouache suivra un jeune homme de Bab-El-Oued, grand chapardeur dans Le Voleur. Une projection sera organisée à la Cinémathèque d’Alger sous un programme judicieusement nommé : «Alger vu par…». Et les problèmes débuteront : «Là où les choses se sont enclenchées, c’est lorsque Guy Hennebelle a écrit son papier sur nos films de fin d’études dans El Moudjahid, un article dithyrambique où il soulevait la fraicheur de nos films. Je crois qu’à cet instant précis, nous avons été pointés du doigt par ceux qui ne voyaient dans le cinéma algériens, que des sujets autour de la guerre de libération et autres thématiques nationalistes. Notre démarche était réellement éloignée de ce cinéma. Nous étions tout de même les premiers à filmer des choses du présent.
Peut-être que nous étions plus dans la provocation, plus rock’n’roll ! Dans un pays où il était question de planification, rien n’était réellement planifié. Quand nous sommes revenus plus tard de l’IDHEC, que nos diplômes n’avaient pas été reconnus, les responsables nous ont bien certifiés que nous n’étions pas prévus dans cette planification. 45ans plus tard, j’ai l’impression de n’avoir jamais été impliqué dans cette planification. Je crois que cette configuration a persisté et qu’elle est encore présente dans le cinéma algérien d’aujourd’hui.» Beloufa écoute son ami, acquiesce tristement d’un signe de tête, commande un autre café tout en poursuivant : «Nous étions plus insouciants. Nous étions plus dans la légèreté, dans l’humour. Je me souviens de Merzak habillé comme Jacques Dutronc car fou de ses chansons. Moi, passionné de Godard, d’Antonioni. Nous étions des francophones. Nous suivions la vie culturelle européenne ou dans le monde. Il y avait des rails. Nous n’avons jamais suivi cette ligne. Et donc une réputation s’est créée autour de nous. Une fausse réputation. Pour moi, nous pratiquions un cinéma vivant !»
2012. Ces premiers films sont pratiquement irrécupérables, perdus dans la nature. L’ancien directeur de la Cinémathèque, Boudjemaa Karèche, tenta en vain de les trouver. Puis Allouache annonce, souriant mais faussement optimiste : «le projectionniste de la Cinémathèque me disait que les films auraient été retrouvé à la cinémathèque de Blida (où il y avait des archives). Mais je n’ai pas vraiment de confirmation. Ils auraient été remis à la Bibliothèque nationale ou aux archives nationales. Si c’est vrai, ils doivent être dans un état catastrophique. Je pense qu’il ne faudrait pas ouvrir les boites. Mais il faudrait vérifier auprès de ces services. Si nous les trouvons, et que nous arrivons à les numériser, ce serait formidable.».
Deux heures d’entretien. Journée terminée, Beloufa et Allouache se serrent la main, chacun part de son côté. Prochaine étape : la cinémathèque de Blida et les archives de la Bibliothèque nationale. L’espoir est encore maintenu. Au départ, deux films perdus. Au final, une légende qui se transforme en réalité. A suivre !
Samir Ardjoum