VENDREDI 30 DECEMBRE 2011
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Berriane : Entre Arabes et Mozabites, les tensions reprennent
le 30.12.11 | 01h00
Une population arabe qui se ne rend plus dans le quartier mozabite de la ville. Une présence policière renforcée. Un sentiment d’injustice. A nouveau, rien ne va plus à Berriane. Dans cette commune de la wilaya de Ghardaïa, théâtre des violentes émeutes de 2009, Mozabites berbérophones et Arabes chaâmbas ne comprennent toujours pas pourquoi on en est arrivés là, après des siècles de vivre ensemble.
«Les Arabes se sentent victimes. Ils ne veulent pas reconnaître leurs torts. Ils ne veulent pas reconnaître que ce sont eux qui sont à l’origine de cette division de notre ville. Parfois, je me dis que plus jamais nous ne pourrons coexister comme avant. Le moindre faux pas risque de nous être fatal à tous et c’est tout le M’zab qui risque de s’embraser…» Dans les ruelles de Berriane, une femme mozabite nous interpelle. Depuis une dizaine de jours, la tension entre le quartier arabe et le quartier mozabite est telle que toute occasion d’en parler est bonne. Pour mieux conjurer le spectre des émeutes de 2009.
Alors que l’atmosphère s’était apaisée depuis l’élaboration d’une charte de paix entre les deux communautés, en février 2010, les signes d’une nouvelle crispation inquiètent tout le monde : la population arabe ne s’aventure plus dans le quartier mozabite, ni pour travailler ni même pour y faire ses courses, la présence policière a été renforcée et la ville semble plus que jamais coupée en deux par cette ligne de démarcation virtuelle qu’est la RN1. Côté est, la population mozabite, côté ouest la population arabe. «Je ne veux pas que ça recommence, confesse Amina, 17 ans, lycéenne. J’ai peur, pour ma famille, pour ma maison. Déjà, nous avons été obligés de vendre notre ancien domicile situé dans le quartier mozabite tellement ça devenait intenable. S’il y a d’autres émeutes, il va encore y avoir des morts, et nous allons être obligés de partir pour l’inconnu…»
Salima, 23 ans, étudiante, rencontrée à Ghardaïa, n’y va pas par quatre chemins. «Je suis Arabe, native du M’zab. D’ailleurs, si j’avais été une femme mozabite, je ne vous aurais pas adressé la parole. Ça ne se fait pas chez eux. Même si j’ai beaucoup d’amis parmi eux, il est clair qu’ils vivent trop renfermés sur eux-mêmes. Ils ne cherchent pas à nous transmettre leur savoir-faire, à partager certaines choses avec nous. Il faut voir tout ce qui s’est passé à Berriane, mais à mon avis, ce n’est pas fini.»
Renfermée
La partie ouest de la ville semble renfermée sur elle-même. Elle a l’aspect d’une ville dans la ville. Arabophones, les habitants se revendiquent être les enfants de Berriane autant que les Mozabites eux-mêmes. «Chacun son quartier, ses habitudes. Chez nous, beaucoup sont au chômage. Certains sont même diplômés de l’université et ne trouvent pas de travail. Il ne subsiste que peu d’échanges entre nous et les Mozabites», s’exaspère Hamza, étudiant en 3e année sport. Aâmmi Ali, retraité, n’est pas près d’oublier les émeutes qui ont endeuillé Berriane. «Je suis né ici. Je suis un enfant de Berriane. Je croise régulièrement des Mozabites. Mon fils a été arrêté pendant les évènements, mais je ne vais pas pour autant en vouloir aux Mozabites que je considère comme des frères. Si ça recommence, je resterais ici, je mourrasi ici s’il le faut.»
Du côté mozabite, Saïd, universitaire à Ghardaïa mais natif et résident de Berriane, dit ne pas être «contre les Arabes». «Nous sommes Algériens avant tout, se défend-il. On veut nous donner tort, à nous, Mozabites, juste parce que nous sommes différents. C’est vrai, nous avons nos coutumes, notre propre langue, mais sous sommes ouverts sur l’extérieur.» Smaïl, étudiant en 2e année médecine à Alger, ne comprend pas pourquoi «les Arabes disent que nous sommes responsables des émeutes de 2009. Personnellement, je ne crois pas. Nous sommes chez nous depuis des siècles. Jusqu’alors, nos rapports avec eux étaient cordiaux. Puis il y a eu, de la part des autorités, un certain favoritisme envers les Arabes. Moi, je ne cherche pas à ce que nous soyons les plus favorisés, mais que chacun ait sa chance.»
Coupure
Youcef, 29 ans, chômeur, revit sans cesse la mort de son neveu, en 2009. «Alors qu’il était dans le quartier arabe, il a été frappé à mort par des jeunes en furie et la police n’a rien fait. La maison de ma mère a été incendiée. Maintenant, plus un seul Arabe n’habite ici. Nous sommes prêts à dialoguer avec les Arabes, mais eux, le veulent-ils vraiment ?» Hamid, son beau-frère, est plus revendicatif. «Pourquoi nous avoir accusés d’incendier une mosquée malékite (les Mozabites sont de rite ibadite, ndlr), alors qu’aucun lieu de culte n’a été incendié ? s’interroge-t-il. Les Arabes veulent semer la fitna, afin de nous accuser de tous les maux. Nous les acceptons, pourtant. Pourquoi nous refusent-ils alors que nous sommes chez nous ?»
A Ghardaïa, le discours est encore plus virulent. «Il n’y a aucun problème avec les Arabes, si ce n’est que notre mode de vie suscite une certaine jalousie de leur part, affirme Abdelhamid, vendeur de souvenirs. Les Arabes ont du mal à supporter notre réussite sociale, notre mode de vie communautaire, si particulier. Je crains que si ça explose de nouveau là-bas, c’est la Pentapole du M’zab qui risque d’être entraînée à son tour…» «Berriane est à tout jamais coupée en deux, rien n’a pu empêcher cette coupure. Ils veulent se croire victimes comme les Palestiniens. Mais les vraies victimes, ce sont nous, les Mozabites, qui souffrons et n’en pouvons plus, assure une habitante du quartier est. Et le pouvoir semble bien satisfait de cette situation, puisqu’il continue à favoriser les Arabes à notre détriment, comme par exemple en leur attribuant plus d’emplois…»
Du côté des associations, Hammou Zitani, président de l’association Itrane M’zab, regrette «qu’en 2011, le monde progresse alors que nous régressons», mais préfère rester optimiste. «Pour le moment, chacun reste dans son coin, mais nous pouvons vivre dans le respect mutuel, l’histoire l’a prouvé à travers les siècles.»
Pour mieux comprendre le M’zab
-Arabes Chaâmbas
Populations arabophones établies dans la vallées du M’zab depuis le XVIIIe siècle. Elles pratiquent l’islam sunnite de rite malékite. Contrairement aux Mozabites d’origine sédentaire, les Arabes chaâmbas sont d’origine nomade et pratiquaient jusqu’à une époque récente l’élevage. Jusqu’en 2008, ils ont pu cohabiter en parfaite symbiose avec les Mozabites berbérophones.
-Ibadisme
Forme distincte de l’islam sunnite et chiite ; l’islam ibadite est une branche du kharedjisme (littéralement l’islam «sortant»), fondé environ cinquante ans après la mort de Mohammed (qsssl). Il est surtout présent dans le sultanat d’Oman et, bien sûr, dans la vallée du M’zab.
-Mozabites
Populations berbérophones habitant la wilaya de Ghardaïa. Ils constituent 60% de la population totale de la vallée du M’zab (d’où l’arabe Beni M’zab). La quasi-majorité est musulmane de rite ibadite, rite différent du sunnisme malékite pratiqué dans le reste de l’Afrique du Nord. Sujets du royaume rostémide au Xe siècle, dans la région de Tahert, plus au nord, ils se sont réfugiés plus au sud, fuyant les Fatimides d’obédience chiite. Les hommes sont généralement vêtus d’un seroual ample et d’une chéchia blanche sur la tête et les femmes sont entièrement recouvertes d’un haïk blanc.
-Pentapole
La Pentapole désigne les cinq villes de la vallée du M’zab, El Atteuf, Ghardaïa, Beni Izguen, Bou Noura et Melika, définitivement ancrées dans le paysage depuis le XIVe siècle. Au XVIIe siècle, sont construites les villes de Berriane et de Guerrara, plus au nord.
Noël Boussaha
Réveillon : Important dispositif mis en place
le 30.12.11 | 01h00
On ne déroge pas à la règle en cette période de fêtes de fin d’année.
Ce sont en tout plus de 30 000 policiers et gendarmes qui sont déployés, non seulement dans la capitale, mais également dans les différentes villes du Nord et aussi dans le Sud, essentiellement dans les villes touristiques telles Ghardaïa, Taghit, Timimoun ou Tamanrasset, qui accueillent des milliers de vacanciers, tant nationaux qu’étrangers. Les autorités craignent, en effet «des débordements dus, bien sûr, aux fêtes, mais il ne faut pas négliger tout risque d’attentat pouvant endeuiller la population. Nous restons vigilants, comme chaque année, durant cette période», selon le communiqué de la Sûreté nationale. A noter que d’importants dispositifs ont été installés sur les principaux axes de communication, à savoir les routes nationales et l’autoroute Est-Ouest, dispositifs qui seront levés à la suite de ce long week-end de fin d’année, c’est-à-dire, lundi matin. Selon la DGSN et la Gendarmerie nationale, «des patrouilles sont prévues pour sillonner les routes secondaires».
Il en est de même du côté de nos frontières, propices à toute forme de trafic, puisque la police des frontières et les groupements de gardes-frontières ont été réquisitionnés en nombre pour surveiller ces points sensibles tant à l’Ouest qu’à l’Est, et en particulier du côté de la frontière algéro-libyenne et en raison du trafic juteux d’armes qui y règne sans partage. Rencontrés dans la rue, des citoyens ne sont guère surpris par cette augmentation de policiers et de gendarmes. «Chaque année, c’est la même chose, raconte Djelloul, quadragénaire algérois, en cette période de fêtes de fin d’année, on trouve de plus en plus de policiers et de gendarmes pour éviter le pire tout simplement. Vous savez, un rien peu mener directement à des blessés, voire des morts.»
Amina, vendeuse de prêt-à-porter, en pleins préparatifs pour le réveillon de demain, n’y va pas par quatre chemins : «Déjà que la capitale est remplie de policiers, elle va devenir invivable. Regardez les désagréments qu’ils nous causent pour la circulation. J’habite Fort-de-l’eau, et croyez- moi, le jour du réveillon, je risque de mettre beaucoup de temps pour rentrer. Et ils nous parlent de sécurité. Vous savez, ce n’est pas tout cela qui empêchera un attentat. Par contre, c’est vrai que certains, au soir du 31, sortent dehors complètement éméchés et une rencontre avec la police ou la gendarmerie leur ferait certainement du bien.»
Noël Boussaha
Ahmed Hadjadj. Président de l’APC de Berriane
«Une certaine appréhension à l’approche des élections»
le 30.12.11 | 01h00
-Cette rupture virtuelle entre Mozabites et Arabes est nettement perceptible quand on se trouve à Berriane. Pourquoi en est-on arrivé là ?
Cette rupture est l’effet direct des malheureux évènements qui ont endeuillé notre ville. Ceci dit, des contacts existent entre les communautés même si le dialogue est encore timide. Il faut rappeler que le mal est profond et lent à cicatriser. En tant que président de l’APC, je n’ai aucun problème, que ce soit avec les Arabes ou les Mozabites et c’est là l’essentiel. Nous essayons d’organiser des rencontres, des dialogues intercommunautaires pour le bien de notre ville, en espérant qu’à l’avenir tout clivage sera dépassé.
-La charte élaborée en février 2010 a-t-elle été appliquée correctement ?
Cette charte, élaborée en vue de renouer avec l’esprit d’antan, est actuellement bien appliquée. S’il existe çà et là quelques incidents, cela relève surtout de faits divers qui peuvent avoir lieu dans n’importe quelle localité à travers le territoire national. Cette charte a été une très bonne initiative et devrait servir d’exemple pour l’avenir, et pour d’autres communes où des problèmes identiques peuvent surgir. Et je ne parle pas que du M’zab.
-Pourquoi cette présence policière renforcée ? N’est-ce pas la preuve que vous craignez de nouveaux incidents intercommunautaires ?
Il s’agit d’un plan sécuritaire. D’ailleurs, grâce à la police, aucun débordement n’est à constater. Vous le voyez vous-même, la sécurité est présente à tous les points de passage, mais, progressivement, elle va diminuer. Même les fourgons sont moins présents, si ce n’est devant la daïra. La police est là pour prévenir, tout simplement, pas pour semer la haine et le désordre, et si elle joue bien son rôle, comme elle l’a fait jusqu’à maintenant, tout ne pourra que bien se passer.
-Beaucoup d’Arabes ont dit qu’ils n’osaient pas descendre dans la partie mozabite de la ville. Comment expliquez-vous cette peur de l’autre ?
C’est vrai, il subsiste encore cette peur mutuelle de l’autre, mais il n’y a aucun problème visible. Les Arabes et les Mozabites se croisent le plus normalement du monde à la mairie, dans les banques, à la poste. Il n’y a aucun dépassement. Toutefois, une certaine appréhension existe à l’approche des élections législatives et locales, même si l’échéance est encore loin, à mes yeux. Rappelons ici que les problèmes sont nés, en partie, des élections de 2007. Notre APC se doit d’être représentative, et ce, de la manière la plus équitable possible, de toutes les composantes de la commune de Berriane.
-En tant que président de l’APC de Berriane, quel message voulez-vous transmettre à l’ensemble de vos administrés ?
J’espère que tout ira pour le mieux. Nous voulons une réconciliation totale entre les deux communautés. Je demande aux habitants de Berriane de dépasser toute forme de clivage. Nous sommes avant tout citoyens de cette commune et Algériens. Nous recherchons également la paix sociale. Tout doit être mis en œuvre pour assurer logement et emploi pour tous les habitants sans aucune distinction, sans aucun favoritisme. Et pour cela, nous faisons le maximum. Pour Berriane.