Al Sissi nouveau pharaon d’Egypte
Il a été investi président
le 09.06.14 | 10h00
Déjà véritable patron du pays depuis son coup d’Etat, le 3 juillet 2013, contre le président élu Mohamed Morsi, Abdelfattah Al Sissi
est passé hier de maréchal de l’armée à «raïs» d’Egypte.
L’ex-chef de l’armée a été investi Président pour un mandat de quatre ans, au cours d’une cérémonie où les chefs d’Etat des grandes puissances auront brillé par leur absence. Bien que forcés d’admettre ce fait accompli, les Etats-Unis, le Royaume-Uni, la France et l’Union européenne se sont fait représenter au mieux par un fonctionnaire des Affaires étrangères, au pire par leurs ambassadeurs. C’est dire que l’investiture d’Al Sissi n’avait rien d’un grand événement démocratique compte tenu des circonstances qui ont mené le général, puis maréchal au palais présidentiel d’El Itihadiya.
Seule consolation pour Al Sissi, les monarques du Golfe, qui ont sorti leurs chéquiers pour lui apporter leur soutien financier, étaient présents au grand complet pour la fête de «leur poulain». Du roi Abdallah II de Jordanie à ses homologues du Bahreïn et du Koweït en passant par le prince héritier d’Arabie Saoudite et le chef des Emirats arabes unis, seul l’émir du Qatar a manqué logiquement au rendez-vous. Cheikh Tamin a tout de même envoyé un message de félicitation de circonstance à «l’heureux élu». On notera aussi la présence du président palestinien, Mahmoud Abbas, qui devrait compter sur Al Sissi dans les négociations avec Israël. Mais, globalement, il n’y avait pas la grande foule de chefs d’Etat et de personnalités étrangères, à part quatre présidents africains.
Seuls les monarques du Golfe...
Mais qu’à cela ne tienne, le maréchal à la retraite a officiellement enfilé le costume de «raïs» d’Egypte et s’est mis dans la peau d’un vrai pharaon, bien qu’il ait juré de «préserver le système démocratique et de respecter la Constitution» devant les juges de la Cour constitutionnelle suprême au Caire. Mais ce sera une mission très délicate pour le nouveau Président qui fera face à la poursuite des manifestations de rue de ceux qui dénoncent encore un coup d’Etat militaire. Le fait est qu’au moment où Al Sissi se faisait investir président, la rue a grondé dans plusieurs villes d’Egypte, dénonçant une «pièce de théâtre» et un «coup d’Etat».
Déterminée à poursuivre la lutte sur le terrain, l’Alliance pour la légalité constitutionnelle n’entend pas se taire même après l’investiture d’Al Sissi. Les Occidentaux, Etats-Unis en tête, qui avait avaient refusé, avant d’y renoncer, à qualifier la destitution de M. Morsi de «coup d’Etat» sont eux aussi dans une posture gênée de devoir donner leur onction à un militaire qui a pris le pouvoir par la force.
D’un côté, ils comptent sur l’Egypte pour être un partenaire stratégique dans le processus de paix israélo-palestinien et allié-clé dans la lutte contre le «terrorisme» islamiste. De l’autre, ils goûtent moins la façon martiale de faire d’Al Sissi qui contredit leurs plaidoiries démocratiques ailleurs.
Une allure martiale
Avant même de se faire élire, Al Sissi a mené une implacable et sanglante répression contre les partisans de M. Morsi, notamment sa confrérie des Frères musulmans qui a été décrétée «organisation terroriste».
Dans sa volonté de faire taire tous ses adversaires, le raïs en puissance s’en était même pris aux mouvements d’opposition libéraux et laïques qui l’avaient pourtant soutenu dans son coup d’Etat contre Morsi.
En chiffres, le bilan du maréchal-président est lourd de plus de 1400 victimes parmi les pro-Morsi et plus de 15 000 Frères musulmans emprisonnés, dont la quasi-totalité de leurs leaders qui encourent la peine capitale, et des centaines ont été condamnés à mort en quelques minutes dans des procès de masse.
Plusieurs ONG internationales ont déjà dénoncé le retour à un régime «plus autoritaire que celui de Moubarak». Pour beaucoup d’observateurs, Al Sissi a préparé l’opinion à un retour aux années de plomb sous Moubarak. «Il faudra 20 à 25 ans à l’Egypte pour être prête pour la vraie démocratie», a-t-il déclaré. Mais hier, à son investiture, il a rectifié : «Le temps est venu pour notre grand peuple de cueillir les fruits de leurs deux révolutions.» Vrai retour à de meilleurs sentiments ou simple ruse de guerre d’un Président qui ne s’est pas encore débarrassé de son uniforme de maréchal ?
Hassan Moali
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