Cantine et interdits religieux : témoignages sur un casse-tête

Cantine et interdits religieux : témoignages sur un casse-tête

  • Dounia Bouzar réagit aux récits des riverains, nombreux à raconter les dilemmes de la composition des menus dans les écoles.

    Dans une cantine scolaire à New York (SpecialKRB/Flickr)

    Au mois de décembre, Dounia Bouzar répondait à vos questions sur la place de l'islam dans l'entreprise. Depuis, une internaute, directrice d'école maternelle, a contacté Rue89 pour raconter les difficultés qu'elle rencontre à la cantine.

    Vous avez été nombreux à réagir à son témoignage sur le casse-tête que les interdits religieux posent dans l'élaboration des menus. Caricatures ou authentiques expériences de terrain ? Certains récits avaient de quoi étonner. Rue89 a rappelé Dounia Bouzar pour décrypter avec elle vos témoignages.

    L'anthropoloque, qui publie ce mois de janvier « La République ou la burqa, les services publics face à l'islam manipulé », confirme bien une évolution récente dans les cantines scolaires. Voici ses réponses.

    Cantine et interdits religieux : témoignages sur un casse-tête

  • Le « menu au faciès », une réalité

    Vous êtes nombreux à vous être inquiétés, dans les commentaires, de voir les élèves triés sur la base de leur nom ou de leur apparence physique. Sur le terrain, on constate pourtant que cela existe de plus en plus.

    Atlantis, étudiant, se souvient ainsi que, dans l'établissement où travaillait son père, on avait décidé un temps de préparer un plat sans porc pour tous les enfants dont le nom a une consonance arabe.

    Brin de paille, autre riveraine, raconte que sa fille travaille dans une cantine scolaire. Voici son expérience :

    « Le nombre de menus sans porc s'établit de façon aléatoire, selon le quota des noms de famille à consonnance arabe ou au faciès. Ce qui la choque. Des enfants sont rangés systématiquement dans la case “san sporc” alors que leurs parents ne sont pas pratiquants.

    Donc, c'est assez compliqué, surtout le mercredi ou pendant les vacances, lorsque les enfants de plusieurs écoles sont concentrés dans une cantine.

    Ces jours-là, souvent, pas assez de portions sans porc. Ça lui fait mal au coeur de voir des gamins se priver de déjeuner. »

    De faux musulmans qui veulent juste éviter les lardons pas cuits…

    Concernant le judaïsme, plusieurs mères de famille juives assuraient dans les commentaires que leurs enfants ne rencontraient aucune difficulté du fait de leur régime alimentaire. Autre son de cloche pourtant de cet étudiant qui raconte :

    « Il y a quelques années, à Lyon, j'étais dans un collège en ZEP avec un nombre important d'enfants musulmans, et si les “dames de cantine” étaient habituées à distribuer des menus spéciaux, elles étaient aussi habituées aux fraudeurs qui se disaient musulmans pour avoir un steak plutôt que des lardons pas cuits !

    Moi, juif, j'avais souvent du mal à justifier le fait que je ne mangeais pas de porc, la plupart des damesde cantines n'étaient même pas au courant que c'était aussi le cas dans le judaïsme… »

    « Une table pour les halal, une pour les sans porc »

    Dans un commentaire posté sur Rue89, Claire67, animatrice dans une maternelle de Strasbourg, estime que la difficulté reste maîtrisable dans les établissements de petite taille. Ailleurs, on finit par trier les enfants en fonction de leurs interdits alimentaires :

    « On voit des choses incroyables, par exemple, pour faciliter l'organisation, une table pour les halals, une table pour les sans porcs… Les enfants ne se mettent pas à côtés de leurs copains, mais à côté des enfants qui mangent comme eux. Bonjour la mixité. »

    « Touche pas à mes tomates musulmanes »

    Des tables ritualisées ? Ça paraissait un peu gros. Dans son travail de terrain, Dounia Bouzar a pourtant relevé que la chose était loin d'être anecdotique :

    « En ritualisant sans proposer d'alternative souple, on segmente les élèves. Il finit par y avoir des gamins qui disent “Ne touche pas à mes tomates, c'est des tomates musulmanes.”

    Les enfants mangent par prophète dans ces écoles-là ! C'est le contraire du respect que l'école doit transmettre aux enfants. Il faut trouver une solution pour proposer des plats alternatifs à la même table, comme du poisson. Et continuer à mettre du porc sur la tale pour ceux qui en prennent. »

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    La responsabilité de l'enseignant et celle des élus

    Vous êtes plusieurs, enseignants, à avoir affirmé vigoureusement dans les commentaires votre refus d'être impliqué dans des considérations que vous estimez trop éloignées de la laïcité.

    Dans les faits, les parents qui exigeraient d'un enseignant qu'il contrôle cet aspect sont finalement assez rares, assure Dounia Bouzar à la lumière de ses enquêtes de terrain :

    « Sur le terrain, ça n'existe pas beaucoup, un petit Kader qui voudrait manger des saucisses quand il est petit. C'est à l'adolescence que ça vient, et à l'adolescence les élèves disent ce qu'ils veulent à leurs parents.

    L'institution scolaire, elle, garantit à l'individu sa liberté de conscience. C'est à dire qu'Aline peut exiger de ne pas manger de viande et Kader réclamer du porc sans que l'école s'y oppose. »

    La justice administrative pourrait être saisie

    De même, Dounia Bouzar n'a jamais eu vent de procès faits à des élus à cause de menus inadaptés. Mais ça pourrait venirn et ce serait alors devant le tribunal administratif que les parents pourraient se tourner au nom de la liberté de conscience.

    Attention, toutefois : c'est aussi au nom de la liberté de conscience que des parents outrés de la suppression du porc pour tout le monde pourraient protester.

    Les parents font bouger la laïcité

    La directrice d'école qui nous avait contactés estime que les choses se sont « compliquées » récemment, alors qu'elle travaille dans l'Education nationale depuis plus de trente ans.

    Dounia Bouzar est certes moins alarmiste, mais elle confirme que la situation a bien évolué « ces trois à cinq dernières années » :

    « C'est sûr que cela se bouscule un peu en ce moment. Je ne dirais pas que ça se complique, mais je dirais que les familles ont moins peur de se faire remarquer.

    Avant, les parents se vivaient comme des invités : ils pensaient rentrer chez eux, faisaient très attention à ne pas bousculer leurs hôtes français. La nouvelle génération de parents se sent chez elle et prend conscience qu'elle peut demander à faire appliquer la liberté de conscience. »

    « Assimilationnisme » vs « communautarisme »

    Ce ne sont pas les écoles mais les élus qui tranchent la question des menus dans les cantines scolaires, chapeautées par les municipalités. A cet égard aussi, on est en plein évolution en France. Mais deux extrêmes demeurent, précise l'anthropologue :

    « D'un côté, certains décident de tout faire en fonction de la religion, par peur d'être taxés d'“assimilationnisme”. En croyant bien faire, les municipalités finissent par financer une gestion complètement communautariste.

    De l'autre, il existe encore des écoles qui ne font aucun effort et s'arc-boutent sur une vision très stricte de la laïcité. »

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    23/02/2010
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