De l’UNJA à facebook : Les jeunes et la politique
De l’UNJA à facebook : Les jeunes et la politique
le 03.02.14 | 10h00
Quand Ahmed Ben Bella formait son gouvernement à l’issue du terrible été 1962, il prit dans ses bagages un jeune de 25 ans à qui il confia le portefeuille de la Jeunesse, des Sports et du Tourisme. Il s’agit bien sûr de Abdelaziz Bouteflika.
Cinquante ans plus tard, Bouteflika est toujours là, promu, entre temps, à la plus haute fonction de l’Etat et offrant un visage qui tranche radicalement avec la bouille carnassière de jeune loup de la politique qu’il était. Un visage peu glorieux de la (jeune) RADP, en somme, et qui nous vaut les pires sarcasmes. L’image du Président cloué sur une chaise roulante et se cramponnant de toutes ses forces vacillantes au «koursi» est on ne peut plus emblématique de la gérontocratie au pouvoir. On l’aura compris, il y a urgence. Et, plutôt que d’une évacuation au Val-de-Grâce, le régime a besoin d’une sacrée cure de jouvence.
Génération «tab j’nanou»
Bouteflika lui-même l’avouait dans une de ses sorties publiques quand il martelait depuis Sétif, en mai 2012 : «Djili tab j’nanou !» (ma génération est cuite). Depuis, une formule a fait florès : «Génération Tab j’nanou». Les Algériens ne se font évidemment aucune illusion quant aux dispositions du régime à s’autoréformer et du trio Bouteflika-Saïd-Toufik à se retirer de son plein gré pour laisser la place à la «nouvelle génération». Disons-le tout de go : la variable «jeunesse» n’agit que très faiblement sur la structure du pouvoir. Au demeurant, comme le souligne Abdou Bendjoudi, membre fondateur du Mouvement de la jeunesse indépendante pour le changement, «le pouvoir a formé sa propre jeunesse». «Il peut nous mettre de nouvelles figures politiques, plutôt jeunes et dynamiques, mais qui partagent la même ligne depuis 50 ans, qui est le changement dans la continuité du régime, contrairement à ce que nous voulons, c’est-à-dire le changement par la rupture avec le régime, mais dans la pérennité de l’Etat.»
Du temps du parti unique, une organisation de masse était chargée spécialement de l’encadrement des jeunes : l’UNJA. Créée en 1975 sous Boumediène, son congrès constitutif n’aura lieu que le 6 janvier 1979. L’UNJA regroupait alors tout le spectre des «forces vives» de la nation : étudiants, lycéens, chômeurs et certaines catégories féminines. Dans une rhétorique très «années 1970», l’UNJA est chargée, comme l’indiquent ses statuts, de «trouver des solutions aux problèmes des jeunes et (…) de participer au développement d’activités de masse qui permettent aux jeunes des différentes catégories sociales de se mobiliser autour des missions nationales». A l’heure du pluralisme de façade, le régime veut des clones de l’UNJA, tout comme il a réussi à cloner le FLN, l’enjeu étant le renouvellement biologique du système et non la modernisation du mode de gouvernance.
L’électorat «jeune» toujours sceptique
S’il est admis que le rajeunissement des élites dirigeantes ou occupant des positions de pouvoir n’agit nullement sur la haute sphère décisionnelle, qu’en est-il de la base ? Quel est le niveau de participation des jeunes dans les joutes électorales ? Quel est leur niveau d’implication dans les organisations politiques, associatives et syndicales ? Et quelles sont les nouvelles pratiques militantes, si tant est qu’elles existent ?
D’abord, quelques chiffres qui permettent de donner une indication sur les tendances en cours. Pour peu que l’on convienne que le moment électoral est un baromètre significatif de la vie politique, il n’est pas anodin de jauger la participation des jeunes dans la vie publique à l’aune des résultats des derniers scrutins. Si l’on se réfère aux législatives du 10 mai 2012, ils étaient 24 916 à se présenter à ces élections. 15,29% d’entre eux avaient moins de 30 ans et 34,98% avaient entre 31 et 40 ans. Ainsi, au total, 50,27% des candidats en lice avaient moins de 40 ans. La même tendance est confirmée aux élections communales du 29 novembre 2012 où l’on pouvait constater, de visu, le nombre significatif de jeunes candidats sur les listes électorales. Un mot maintenant sur la participation des jeunes comme électeurs. Un sondage de l’association RAJ sur la participation des jeunes dans la vie politique fournit de précieux éléments à ce sujet. Réalisé peu après les législatives du 10 mai 2010 avec le concours d’Ecotechnics, ce sondage a touché un échantillon de 1219 jeunes ayant entre 18 et 35 ans répartis sur 30 wilayas. 38,9% des personnes sondées ont déclaré avoir voté lors de ce scrutin. Il se révèle ainsi que le «parti de l’abstention» (plus de 60% en l’espèce) est celui qui rafle le plus de suffrages auprès de l’électorat «jeunes».
Autres résultats édifiants : seulement 16,1% des jeunes interrogés ont déclaré avoir participé à une activité politique ou associative durant l’année du scrutin, 4,7% uniquement ont adhéré à une association, 1,7% à un parti politique et à peine 1,5% ont milité dans un syndicat. Et RAJ d’en déduire : «50 ans après l’indépendance, la jeunesse algérienne croit peu à la politique et aux institutions de l’Etat. Un climat de non-confiance s’est installé entre le gouverné et le gouvernant.» L’association dirigée par Abdelouahab Fersaoui estime que «cette population juvénile, démographiquement majoritaire, vit dans l’impasse. Elle se cherche, elle est livrée à elle-même, sans avenir clair, sans perspectives et sans repères. Les jeunes sont présents dans les discours officiels et dans les différents programmes, mais ils sont absents, voire même exclus de la sphère de prise de décision. Les problèmes de chômage, de logement, l’injustice sociale et l’absence de libertés poussent, malheureusement, les jeunes à se suicider, à s’immoler, à fuir leur propre pays (…) à la recherche d’un avenir meilleur».
«Militantisme 2.0»
Si la politique politicienne ne passionne pas les jeunes, on aurait tort de conclure à une indifférence totale de notre «chabiba» à l’égard de la chose politique. Il est vrai que l’effilochement des grands récits et des grandes idéologies, notamment de gauche, a asséché les viviers de la militance. Mais d’autres formes d’engagement citoyen apparaissent ça et là, le plus souvent sans socle idéologique, notamment dans l’associatif et les réseaux caritatifs. L’engagement citoyen prend de plus en plus la forme d’actions ponctuelles pour soutenir une cause ou dénoncer une injustice. Cela passe aussi par des formes légères et décalées comme cette initiative destinée à rétablir l’amour dans la cité, baptisée «les cadenas d’amour», organisée l’été dernier sur le pont du Télemly. Sans compter les émeutes qui éclatent un peu partout et autres manifs aussi fulgurantes qu’éphémères.
Il convient également de relever toutes ces enseignes portant l’étiquette «jeunes» qui foisonnent sur facebook : Club des jeunes cadres algériens, Association de jeunes vers une citoyenneté active (Jeunesse plus), Jeunesse Tébessa, association Agir pour le développement et l’épanouissement de la jeunesse, Parti des jeunes Algériens pour le développement, SOS-Mouvement des jeunes nationalistes algériens, Algérie-Révolution, Révolution des jeunes Algériens, Harakat Echabab El-Djazaïri, etc. Pour actifs qu’ils soient sur la Toile, il faut dire que la grande majorité de ces sigles s’apparentent beaucoup plus à des forums de discussion et de partage. Très peu convertissent les centaines ou les milliers d’adhérents virtuels dont ils se targuent en militants actifs sur le terrain. Il y a aussi un travail de capitalisation de toutes ces expériences qui reste à faire de manière à opérer un saut qualitatif et passer à d’autres formes d’organisation ayant une incidence sur le réel. Ces «militants du clavier» peinent, en effet, à mutualiser leurs énergies et à faire front autour de causes communes.
Les députés n’aiment pas facebook
Ces pages, par la facilité même de leur création, offrent l’avantage de faire l’économie d’une bureaucratie liberticide qui se met en branle pour la moindre réunion publique. Il faut dire que le verrouillage du champ politique et associatif, qu’illustre parfaitement la dernière loi sur les associations, a de quoi décourager les plus pugnaces. Mais le web-activisme a vite montré ses limites. Finalement, ces collectifs ont les défauts de leurs qualités : facebook leur permet, effectivement, une grande liberté d’expression à peu de frais. Pas de local à louer ni de problème de logistique et de trésorerie à gérer. Mais beaucoup d’entre eux ont fini par payer leur fragilité organique et disparaître dans le bazar du web. Autre fait à noter en parlant du Net : les élus sont de piètres utilisateurs des nouvelles technologies.
Nous en avons fait le test. Nous avons tenté d’entrer en contact avec une dizaine de jeunes députés via leur page facebook. En vain. Aucune activité ou «réactivité» sur les réseaux sociaux, alors qu’ils auraient même pu profiter de ce nouveau médium pour accroître leur visibilité et développer leur communication. Aucun député n’a songé, par exemple, à installer une sorte de «permanence virtuelle» sur FB ou Twitter. Encore une preuve, si besoin est, que la jeunesse n’est pas forcément annonciatrice de ces «matins triomphants» magnifiés par Hugo. En attendant, «Alger égrène ses jeunes en chapelet le long des murs...» (Samir Toumi : Alger, le Cri. Barzakh 2013)