Drifa Ben M’hidi Mon frère a été donné aux Français par ses compagnons d’armes
Drifa Ben M’hidi (veuve Hassani). Moudjahida et sœur du martyr Mohamed Larbi Ben M’hidi
Mon frère a été donné aux Français par ses compagnons d’armes
le 18.08.17 | 12h00
Comment votre famille a-t-elle pu retrouver la tombe de Mohamed Larbi Ben M’hidi après son assassinat par Aussaresses ?
C’est le colonel Bigeard, dont les éléments étaient derrière son interpellation, qui a donné le numéro de sa tombe à mon père. Après que l’information de sa mort est sortie, mon père a décidé de se rendre à Alger et rencontrer Yacef Saâdi. Ignorant le lieu où il était enterré, ce dernier a conseillé à mon père d’aller à la rencontre du colonel Bigeard. Le prenant pour un bachagha, la police n’a même pas contrôlé mon père à l’entrée et l’a conduit directement au bureau du colonel. Ce dernier l’a reçu et lui a demandé des informations en pensant lui aussi qu’il était bachagha. Mon père raconte qu’à chaque fois que Bigeard instruisait ses éléments, il leur demandait de prendre exemple du courage d’une personne dont la photo était posée sur son bureau.
En la regardant, il s’aperçoit qu’il s’agissait de la photo de Mohamed Larbi. Bigeard se retourne vers mon père et lui dit : «Alors, avez-vous des informations à me communiquer ou pas ?» Mon père se présenta et lui avoua qu’il était le père de Mohamed Larbi et qu’il était là pour retrouver sa tombe. Surpris, Bigeard fit marche arrière. Mon père raconte qu’il était effrayé. Ce dernier promit de lui donner le numéro de la tombe à condition que mon père ne la rouvre pas, promesse qu’il a tenue. Et ce n’est qu’ainsi que nous avons pu retrouver sa tombe ; paix à son âme.
Vous avez personnellement rencontré Bigeard dans les années 1980 à Paris. Pouvez-vous nous raconter ce qui s’est passé ?
La rencontre a eu lieu grâce à mon mari et grâce à ses contacts. Il était commandant de l’ALN, commandant de la base de Tripoli et cadre du MALG. Je voulais tellement le faire et avoir l’affirmation que Mohamed Larbi ne s’était pas suicidé. Mon père, qui est mort quelque temps après lui, n’a pas supporté sa disparition et le fait qu’on lui a fait croire qu’il s’était donné la mort. Il nous disait qu’il pensait qu’il allait mourir avant lui. Alors, il m’a demandé de confirmer l’information et venir lui rendre visite sur sa tombe afin de lui annoncer la nouvelle. C’est exactement ce que j’ai fait. La rencontre s’est passée dans un appartement à Paris.
J’ai refusé de lui serrer la main car la sienne était salie par le sang de mon frère et des milliers d’Algériens. Il m’a dit qu’un tel homme ne pouvait se suicider, qu’il gardait encore en mémoire ses paroles lors de leurs interminables nuits de discussion. Pour lui, c’était un grand homme. Il m’a aussi assuré qu’il n’a donné aucune information, malgré la torture qu’il a subie. J’ai donc directement quitté les lieux. Je suis arrivée en Algérie et je suis allée sur la tombe de mon père. C’est ce que j’ai fait aussi avec ma mère quand j’ai trouvé la tombe de Mohamed Tahar. Il était enterré entre Collo et Skikda, au douar d’Ouled Attia, contrairement à ce que m’avait dit Ali Kafi. J’ai appris par la suite que ce dernier qui était avec mon frère avait abandonné les étudiants lors d’une attaque des Français. Ils ont tous été tués.
C’était quand la dernière fois que vous avez vu Ben M’hidi ?
Nous ne l’avons vu que rarement. Avant la guerre, il nous donnait rendez-vous sur la plage familiale de Jean Darc à Skikda. Puis, une fois, il a pris le risque de venir à Biskra. C’était Mostefa Ben Boulaïd qui l’avait déposé. Ils ont profité d’une course de bicyclette pour pouvoir y parvenir. Nous étions étonnés de le voir devant nous. C’était inoubliable. La rencontre a eu lieu deux mois avant le déclenchement de la guerre de Libération. En dehors de ma famille, seul son ami d’enfance a pu le revoir. Si je me rappelle bien, il est resté chez nous entre 12 et 15 jours. Il a dit à mon père que c’était le moment et que la guerre allait être déclenchée. Mon père l’a toujours soutenu depuis qu’il lui a annoncé son engagement dans la politique. C’était la dernière fois que nous l’avons vu. Quant à moi, la dernière fois qu’il m’a écrit, c’était pour m’annoncer la mort de Mourad Didouche.
Des anecdotes à nous raconter ?
Oui, c’était le jour où je devais remettre mon cartable à Mourad Didouche dans un café-bar à Constantine. C’était ma mission de transporter des documents que je devais lui remettre dans un lieu qu’on m’indiquait. Ce jour-là, c’était la première fois qu’on met un revolver dans mon cartable. J’arrive au lieudit, Didouche me fait signe de la tête pour me faire comprendre de ne pas m’approcher de lui. Il était surveillé par un homme qu’il connaissait, car ce dernier venait lui aussi d’Alger. Je ne savais pas quoi faire, car il ne m’a pas demandé de rebrousser chemin. Je n’avais que 14 ans et je ne saisissais pas tout. Didouche prit une cuillère qu’il a fait passer pour une arme, il a plaqué l’homme contre le mur et l’a menacé de le tuer s’il prenait le risque de se retourner. Ce n’est qu’ainsi qu’il a pris la fuite.
Ce jour-là, j’ai raté mon examen et j’ai eu un zéro. En rentrant à la maison, Boudiaf me demanda pourquoi je n’allais pas bien. Je lui ai raconté la scène et je me suis demandé comment Didouche avait deux armes alors qu’il n’était autorisé à en avoir qu’une seule. C’est là que Didouche m’a montré la cuillère en question. Tout le monde a rigolé. Il me l’a d’ailleurs offerte. Je la garde encore en guise de souvenir de ce brave homme qui a donné sa vie et sa jeunesse pour l’Algérie. Une fois, je suis allée à la commémoration de Abane en Kabylie. En arrivant, un enfant des scouts m’a accueillie en me disant : «Yema, je suis le petit-fils de Mohamed Larbi Ben M’hidi.» Ce geste m’a marquée à jamais et ça m’a rappelé ce que disait mon frère à ma mère avant de lui annoncer qu’il s’était engagé dans la lutte armée.
Qu’est devenue la famille Ben M’hidi après l’indépendance ?
C’est parce qu’il n’était pas d’accord avec certaines positions politiques que mon mari, pourtant ancien révolutionnaire et docteur en mathématiques, physique et en sciences islamiques, a été opprimé par le pouvoir, et ce, jusqu’à sa mort. Après son décès, il m’avait laissé un crédit de 8 millions de dinars qu’il a empruntés à Al Baraka Bank. Il s’est avéré qu’il avait hypothéqué ma maison où je demeure actuellement. Aucun des responsables du pays, pourtant ils le connaissaient tous, n’a fait quoi que ce soit pour nous venir en aide. Mon mari n’a laissé que 45 000 da et rien d’autre que nous avons déboursés pour ses funérailles.
J’ai dû vendre la maison que m’a léguée ma mère pour rembourser cette dette. On m’a mis la pression alors que je pouvais payer par tranches. Le comble, après l’indépendance, Ben Bella et Boumediène avaient donné, par décret, un local à ma mère afin de l’utiliser et préserver sa dignité et celle de ses enfants. Quelqu’un prétendant être le propriétaire est venu plusieurs années plus tard, nous a poursuivi en justice et a eu gain de cause.
Il a dit qu’il possédait des papiers démontrant qu’il avait acheté ce local à des Français ! Pire, la rue où nous habitons aujourd’hui à Bouzaréah a été baptisée du nom de mon frère Mohamed Tahar. Mais un ancien maire a ordonné à ses services d’enlever la plaque et de mettre à sa place la lettre E.
Je n’ai jamais demandé quoi que ce soit à l’Etat et je ne le ferai jamais, Dieu merci. L’Algérie va mal aujourd’hui. Moi, je n’ai qu’un message à adresser aux jeunes pour leur dire qu’ils ne doivent pas regarder les chefs d’aujourd’hui, ils doivent s’identifier plutôt à leurs aïeux, ceux qui se sont sacrifiés pour que l’Algérie soit libre et indépendante. Suivez leur chemin pour que vous puissiez être accueillis parmi eux. Ils vous ouvriront les bras car ils seront fiers de vous, chose qu’ils ne feront certainement pas avec ceux qui tiennent l’Algérie aujourd’hui.
Vous dites que Mohamed Larbi a été donné. Par qui ?
Je n’ai pas de certitude, mais ce que je sais, c’est que les fidayine, dont Yacef Saâdi, ont dit à mon père que c’était Brahim Chergui qui avait donné son adresse aux Français. Ce dernier l’a nié dans ses différentes sorties médiatiques. Mais il y a des signes qui ne trompent pas. Une fois, Chergui a déclaré quelques années après l’indépendance qu’il ne comprenait pas pourquoi Mohamed Larbi s’était suicidé alors qu’il avait un lit et des journaux. En renforçant la thèse française, Chergui voulait-il nous cacher quelque chose ? Aussaresses lui-même a avoué qu’il était l’assassin de mon frère.
Qu’aurait dit maintenant Chergui s’il était vivant ? De toutes les façons, moi je lui reproche le fait qu’il n’a pas remis à ma mère la montre que lui a confiée Mohamed Larbi en prison avant de mourir. Pourquoi ne l’a-t-il pas fait ? Et puis, il y a un autre élément. Nous savons tous maintenant que seul Benkhedda connaissait l’adresse où était logé Mohamed Larbi à Alger. Pourquoi ? Parce que c’était la sienne tout simplement. Qui l’a donné ? Je ne suis pas certaine, mais l’histoire le dira. Me concernant, je suis sûre d’une chose, Mohamed Larbi a été donné par ses compagnons d’armes.