Edition du Samedi 16 Octobre 2010

 
 
 
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Edition du Samedi 16 Octobre 2010

Actualité

Quand Mitterrand guillotinait les Algériens
SON RÔLE DURANT LA GUERRE DE LIBÉRATION, OBJET D’UN LIVRE ACCABLANT
Par : Azzeddine Bensouiah


C’est tout un mythe qui tombe : François Mitterrand, jusque-lĂ  Ă©pargnĂ© et Ă©levĂ© au rang d’intouchable, est rattrapĂ© par son histoire coloniale.

Mitterrand, alors ministre de la Justice, a donnĂ© un avis dĂ©favorable Ă  la grĂące de quarante-cinq condamnĂ©s Ă  mort algĂ©riens, au dĂ©but de la guerre d’AlgĂ©rie. Toute sa vie, celui qui devait devenir, en 1981, le prĂ©sident de l’abolition de la peine de mort, aura portĂ© ce remord-lĂ  et aura rĂ©ussi Ă  empĂȘcher que ces cadavres ne sortent de son placard. C’est la principale rĂ©vĂ©lation contenue dans le livre de l’historien Benjamin Stora et du journaliste du Point, François Malye, François Mitterrand et la guerre d’AlgĂ©rie, publiĂ© cette semaine.
Parmi les rĂ©vĂ©lations contenues dans le livre, l’avis favorable donnĂ© Ă©galement par Mitterrand Ă  l’exĂ©cution du militant communiste Fernand Iveton, lequel avait dĂ©posĂ© dans son usine une bombe qui, dĂ©couverte Ă  temps, n’explosa pas. En 2007, dans Le Point, Malye assurait ne pas connaĂźtre l’avis de Mitterrand sur le cas Iveton. “Dans la biographie de Mitterrand par Giesbert, il est dit que Mitterrand s’était opposĂ© Ă  l’exĂ©cution d’Iveton.” Voici quelques extraits du livre Ă  ce sujet : “Le dossier 9456 de Fernand Iveton a disparu des archives de la chancellerie. C’est le seul condamnĂ© Ă  mort exĂ©cutĂ© de cette pĂ©riode dont il ne demeure aucune trace au ministĂšre de la Justice.”
L’historien Jean-Luc Einaudi, auteur de l’ouvrage pionnier Pour l’exemple, l’affaire Fernand Iveton, a racontĂ© comment, cherchant Ă  obtenir les documents de cette affaire, il s’est heurtĂ© dans tous les ministĂšres concernĂ©s Ă  un mur de silence, une conspiration administrative, “comme si le dossier Fernand Iveton devait demeurer Ă  jamais dans ‘l’Enfer’ des procĂ©dures judiciaires. Mais, pourtant, il en reste une piĂšce. Celle qui figure dans les archives du Conseil supĂ©rieur de la magistrature auxquelles les auteurs de cet ouvrage ont pu accĂ©der. Elle est bien mince — six pages — mais comporte un Ă©lĂ©ment dĂ©terminant : François Mitterrand — comme la totalitĂ© des membres du CSM — s’est bien opposĂ© Ă  la grĂące du seul EuropĂ©en exĂ©cutĂ© pendant la guerre d’AlgĂ©rie, un homme qui n’avait pourtant tuĂ© personne.”
Quand le garde des Sceaux, François Mitterrand, quitte son ministĂšre, en mai 1957, en pleine guerre d’AlgĂ©rie, 45 nationalistes ont Ă©tĂ© guillotinĂ©s. François Malye et Benjamin Stora dĂ©voilent dans un livre choc un pan obscur de la vie du prĂ©sident qui abolira la peine capitale en 1981. Cet ouvrage, François Mitterrand et la guerre d’AlgĂ©rie (Calmann-LĂ©vy) est l’aboutissement d’une enquĂȘte de deux ans. “Nous avons Ă©pluchĂ© minutieusement de trĂšs nombreuses archives, dont quelque 400 pages de comptes-rendus des sĂ©ances du Conseil supĂ©rieur de la magistrature (CSM) de l’époque, celles du ministĂšre de la Justice ou encore de l’Office universitaire de recherches socialistes et dĂ©couvert des documents inĂ©dits”, explique Ă  l’AFP l’historien Benjamin Stora, spĂ©cialiste de l’AlgĂ©rie.
Parmi ces nationalistes exĂ©cutĂ©s, figure Larbi Ben M’hidi que la propagande officielle française avait “suicidĂ©â€, jusqu’en 2001, lorsque le gĂ©nĂ©ral tortionnaire Aussaresses reconnaĂźtra avoir exĂ©cutĂ© l’un des pĂšres de la RĂ©volution algĂ©rienne. Avant lui, un autre gĂ©nĂ©ral tortionnaire, Bigeard, avait reconnu avoir torturĂ© Larbi Ben M’hidi. En fait, Mitterrand n’avait fait que suivre l’exemple de ses collĂšgues, Ă  cette Ă©poque-lĂ . Il fallait mater la rĂ©bellion et chaque politicien ambitieux devait faire preuve de rĂ©pression et de duretĂ© afin qu’il soit bien apprĂ©ciĂ© dans son entourage.
Le mythe bùti autour de celui qui est devenu président de la République française vient de fondre comme neige au soleil. Non, Mitterrand était comme tous les autres politiciens et militaires français : il a cautionné la torture et les exécutions pour se transformer, par la suite, en abolitionniste de la peine de mort en France.
Les chantres des “bienfaits du colonialisme français en AlgĂ©rie” en auront pour leur compte. On attendra, peut-ĂȘtre, encore longtemps avant de lire, un jour, des rĂ©vĂ©lations sur le rĂŽle jouĂ© par Mitterrand, le prĂ©sident, dans les malheurs de l’AlgĂ©rie Ă  la fin des annĂ©es 1980 et ses amours dĂ©clarĂ©s pour l’ex-FIS, mais lĂ , c’est une autre “histoire.”

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Edition du Samedi 16 Octobre 2010

Editorial

La lame tranquille

On dĂ©couvre, dans les limbes des archives exhumĂ©es par les deux auteurs, un Mitterrand, garde des Sceaux, qui, pendant 16 mois, refuse 80% des demandes de grĂące des militants algĂ©riens et se faisant un sinistre devoir de signer les billets d’exĂ©cutions sans broncher.

La France a mis 53 ans pour dĂ©couvrir que François Mitterrand Ă©tait un boucher. Le livre choc de François Malye et de Benjamin Stora dĂ©construit le mythe d’un Mitterrand qui se rĂ©vĂšle sous son vĂ©ritable visage d’ordonnateur de la guillotine.
Quarante-cinq martyrs algĂ©riens sont passĂ©s Ă  l’échafaud par la seule volontĂ© d’un homme qui fut prĂ©sident de la France. On savait Mitterrand pĂ©tainiste, machiavĂ©lique et ardent dĂ©fenseur d’une guerre totale contre les AlgĂ©riens et leur reprĂ©sentant l’ALN. Mais on dĂ©couvre, dans les limbes des archives exhumĂ©es par les deux auteurs, un Mitterrand, garde des Sceaux, qui, pendant 16 mois, refuse 80% des demandes de grĂące des militants algĂ©riens et se faisant un sinistre devoir de signer les billets d’exĂ©cutions sans broncher. Une rĂ©alitĂ© bien lointaine du Mitterrand qui abolit la peine de mort dĂšs son investiture en 1980 et qui fut, pour cela, cĂ©lĂ©brĂ© comme un chantre des droits de l’homme par les socialistes et le peuple de gauche.
Si Mitterrand a fait aussi fort que Robespierre, ce livre n’est que le dĂ©but d’une histoire qui transparaĂźt au compte-gouttes. Pas un mot sur la responsabilitĂ© connue de Mitterrand dans l’exĂ©cution de Larbi Ben M’hidi, malgrĂ© le tĂ©moignage accablant d’un Aussaresses renvoyĂ© dans ses foyers sans la lĂ©gion d’honneur. Enseveli dans la fosse commune de l’histoire le tĂ©moignage du juge BĂ©rar qui avait servi de courroie de transmission Ă  l’ordre d’exĂ©cution que Mitterrand a signĂ©.
Cela va sortir. Ce pan de l’histoire doit sortir. À l’horizon 2012, alors que l’AlgĂ©rie fĂȘtera les 60 ans de son indĂ©pendance, Paris prĂ©pare Ă©galement son inventaire de mĂ©moire en fĂȘtant “la colonisation positive”. Celle souhaitĂ©e par le duo Sarkozy-Guaino et cĂ©lĂ©brĂ©e par les hordes nostalgiques de l’extrĂȘme droite et des harkis. Le mot repentance va refaire surface, au grand dam de Nicolas Sarkozy, et les deux nations vont s’emparer de leurs symboles comme des Ă©tendards. Et c’est Ă  celle qui Ă©crira le mieux l’histoire la plus vraisemblable de ses hĂ©ros. La mĂ©moire de Mitterrand a pris un coup. Son mythe a Ă©tĂ© Ă©corchĂ©, mais Paris ne laissera jamais dire que c’était un assassin de sang-froid. Comme Alger ne pourrait jamais brader le culte d’un Ben M’hidi, un hĂ©ros d’une flamboyance jamais Ă©galĂ©e. La guerre de la mĂ©moire est loin d’ĂȘtre terminĂ©e.

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15/10/2010
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