Câest tout un mythe qui tombe : François Mitterrand, jusque-lĂ Ă©pargnĂ© et Ă©levĂ© au rang dâintouchable, est rattrapĂ© par son histoire coloniale.
Mitterrand, alors ministre de la Justice, a donnĂ© un avis dĂ©favorable Ă la grĂące de quarante-cinq condamnĂ©s Ă mort algĂ©riens, au dĂ©but de la guerre dâAlgĂ©rie. Toute sa vie, celui qui devait devenir, en 1981, le prĂ©sident de lâabolition de la peine de mort, aura portĂ© ce remord-lĂ et aura rĂ©ussi Ă empĂȘcher que ces cadavres ne sortent de son placard. Câest la principale rĂ©vĂ©lation contenue dans le livre de lâhistorien Benjamin Stora et du journaliste du Point, François Malye, François Mitterrand et la guerre dâAlgĂ©rie, publiĂ© cette semaine.
Parmi les rĂ©vĂ©lations contenues dans le livre, lâavis favorable donnĂ© Ă©galement par Mitterrand Ă lâexĂ©cution du militant communiste Fernand Iveton, lequel avait dĂ©posĂ© dans son usine une bombe qui, dĂ©couverte Ă temps, nâexplosa pas. En 2007, dans Le Point, Malye assurait ne pas connaĂźtre lâavis de Mitterrand sur le cas Iveton. âDans la biographie de Mitterrand par Giesbert, il est dit que Mitterrand sâĂ©tait opposĂ© Ă lâexĂ©cution dâIveton.â Voici quelques extraits du livre Ă ce sujet : âLe dossier 9456 de Fernand Iveton a disparu des archives de la chancellerie. Câest le seul condamnĂ© Ă mort exĂ©cutĂ© de cette pĂ©riode dont il ne demeure aucune trace au ministĂšre de la Justice.â
Lâhistorien Jean-Luc Einaudi, auteur de lâouvrage pionnier Pour lâexemple, lâaffaire Fernand Iveton, a racontĂ© comment, cherchant Ă obtenir les documents de cette affaire, il sâest heurtĂ© dans tous les ministĂšres concernĂ©s Ă un mur de silence, une conspiration administrative, âcomme si le dossier Fernand Iveton devait demeurer Ă jamais dans âlâEnferâ des procĂ©dures judiciaires. Mais, pourtant, il en reste une piĂšce. Celle qui figure dans les archives du Conseil supĂ©rieur de la magistrature auxquelles les auteurs de cet ouvrage ont pu accĂ©der. Elle est bien mince â six pages â mais comporte un Ă©lĂ©ment dĂ©terminant : François Mitterrand â comme la totalitĂ© des membres du CSM â sâest bien opposĂ© Ă la grĂące du seul EuropĂ©en exĂ©cutĂ© pendant la guerre dâAlgĂ©rie, un homme qui nâavait pourtant tuĂ© personne.â
Quand le garde des Sceaux, François Mitterrand, quitte son ministĂšre, en mai 1957, en pleine guerre dâAlgĂ©rie, 45 nationalistes ont Ă©tĂ© guillotinĂ©s. François Malye et Benjamin Stora dĂ©voilent dans un livre choc un pan obscur de la vie du prĂ©sident qui abolira la peine capitale en 1981. Cet ouvrage, François Mitterrand et la guerre dâAlgĂ©rie (Calmann-LĂ©vy) est lâaboutissement dâune enquĂȘte de deux ans. âNous avons Ă©pluchĂ© minutieusement de trĂšs nombreuses archives, dont quelque 400 pages de comptes-rendus des sĂ©ances du Conseil supĂ©rieur de la magistrature (CSM) de lâĂ©poque, celles du ministĂšre de la Justice ou encore de lâOffice universitaire de recherches socialistes et dĂ©couvert des documents inĂ©ditsâ, explique Ă lâAFP lâhistorien Benjamin Stora, spĂ©cialiste de lâAlgĂ©rie.
Parmi ces nationalistes exĂ©cutĂ©s, figure Larbi Ben Mâhidi que la propagande officielle française avait âsuicidĂ©â, jusquâen 2001, lorsque le gĂ©nĂ©ral tortionnaire Aussaresses reconnaĂźtra avoir exĂ©cutĂ© lâun des pĂšres de la RĂ©volution algĂ©rienne. Avant lui, un autre gĂ©nĂ©ral tortionnaire, Bigeard, avait reconnu avoir torturĂ© Larbi Ben Mâhidi. En fait, Mitterrand nâavait fait que suivre lâexemple de ses collĂšgues, Ă cette Ă©poque-lĂ . Il fallait mater la rĂ©bellion et chaque politicien ambitieux devait faire preuve de rĂ©pression et de duretĂ© afin quâil soit bien apprĂ©ciĂ© dans son entourage.
Le mythe bùti autour de celui qui est devenu président de la République française vient de fondre comme neige au soleil. Non, Mitterrand était comme tous les autres politiciens et militaires français : il a cautionné la torture et les exécutions pour se transformer, par la suite, en abolitionniste de la peine de mort en France.
Les chantres des âbienfaits du colonialisme français en AlgĂ©rieâ en auront pour leur compte. On attendra, peut-ĂȘtre, encore longtemps avant de lire, un jour, des rĂ©vĂ©lations sur le rĂŽle jouĂ© par Mitterrand, le prĂ©sident, dans les malheurs de lâAlgĂ©rie Ă la fin des annĂ©es 1980 et ses amours dĂ©clarĂ©s pour lâex-FIS, mais lĂ , câest une autre âhistoire.â