Egypte: le gouvernement évoque une intervention de l'armée en cas de chaos
09/02/2011 À 11H47
Egypte: le gouvernement évoque une intervention de l'armée en cas de chaos
LE RÉCIT DE LA JOURNÉE DE MERCREDI
Les manifestants se rassemblent sur la place Tahrir au Caire, le 9 février 2011. (AFP Patrick Baz)
L'ESSENTIEL - Au 16e jour consécutif de protestation, la mobilisation des Egyptiens contre le régime de Moubarak ne faiblit pas. Bien au contraire: hier, les manifestations ont été les plus importantes depuis le début du mouvement, le 25 janvier (lire le récit de la journée de mercredi).
Aujourd'hui, des manifestants ont bloqué l'accès au Parlement. Dans le Sud, des affrontements entre police et manifestants ont fait au moins trois morts et plus de cent blessés.
Le gouvernement tente de hausser le ton: l'armée pourrait intervenir en cas de chaos, a fait savoir le ministre des Affaires étrangères.
La Maison blanche juge ce soir que la poursuite de la mobilisation montre que les réformes engagées ne suffisent pas.
Amr Moussa, homme politique égyptien populaire, y compris parmi les manifestants, affirme que le risque d'une Egypte islamiste "n'existe pas". Les Frères musulmansrépètent qu'ils ne "recherchent pas le pouvoir".
Opposant sur la place Tahrir, le 9 février (Suhaib Salem / Reuters)
Les Etats-Unis jugent les réformes insuffisantes
La Maison Blanche a estimé mercredi que la poursuite de la mobilisation populaire en Egypte montrait que les réformes politiques n'avaient jusqu'ici pas été suffisantes.
Le porte-parole du président Obama, Robert Gibbs, a aussi réitéré l'appel des autorités américaines à des "mesures claires et concrètes", ainsi qu'à des "changements irréversibles" dans le fonctionnement du gouvernement égyptien.
Selon le chef de la diplomatie, l'armée pourrait intervenir en cas de chaos
L'armée pourrait intervenir en cas de chaos en Egypte. C'est ce qu'a affirmé mercredi le ministre des Affaires étrangères Ahmed Aboul Gheit cité par l'agence officielle Mena.
"Lorsque nous nous engageons dans un processus constitutionnel, nous protégeons le pays des tentatives de certains aventuriers qui veulent prendre le pouvoir et superviser la période de transition", a déclaré M. Aboul Gheit, selon la Mena, qui reprend une interview accordée par le ministre à la chaîne Al-Arabiya.
"Si cela arrive (...), les forces armées se verront obligées de défendre la Constitution et la sécurité nationale de l'Egypte. Nous serons dans une situation très dangereuse", a-t-il ajouté.
Cette déclaration a été dénoncée par l'opposition et notamment par les Frères musulmans. "Les manifestants ont imposé une nouvelle légitimité et cette légitimité doit être respectée et ne peut être menacée", a affirmé Mohamed Moursi, un responsable de la confrérie. "Tout le monde est d'accord pour continuer (à manifester) quelles que soient les menaces", a-t-il poursuivi.
--> A lire: "J'ai découvert une Egypte magnifique ici", le reportage de notre envoyé spécial au Caire, Christophe Ayad. Place Tahrir, et dans les différents endroits de la ville où la contestation s'est étendue ces derniers jours, il flotte une atmosphère de fin de règne.
Place Tahrir, le 9 février (Dylan Martinez / Reuters)
Trois morts et une centaine de blessés dans une ville du Sud
Au moins cinq personnes ont été tuées et une centaine blessées lors d'affrontements entre la police et des manifestants dans le sud de l'Egypte, indiquent des sources médicales.
Les manifestations ont commencé lundi dans la ville d'El Kharga, à plus de 400 kilomètres au sud du Caire, et ont dégénéré mardi après qu'un policier eut insulté les protestataires, a expliqué un responsable de la sécurité sous le couvert de l'anonymat.
El-Khargo, au sud de l'Egypte (Capture d'écran Google maps)
La police a alors tiré à balles réelles contre des manifestants, faisant une centaine de blessés. Trois des blessés ont succombé mercredi, selon ce responsable, tandis que des sources médicales ont fait état de cinq décès.
A l'annonce des décès, la foule en colère a réagi en mettant le feu à sept bâtiments officiels, dont deux commissariats, un tribunal et le siège local du parti du président Hosni Moubarak, le Parti national démocrate (PND).
--> A lire aussi: "Egypte, extrême violence en province", sur notre blog "Cris d'Egypte", tenu par Aalam Wassef.
"En province, à l'abri des caméras de télévision, une violence policière bat son plein", alerte le blogueur, qui interpelle aussi sur le positionnement ambigu de l'armée.
Capture d'écran
Blocage du Parlement
Plusieurs centaines de manifestants tentaient mercredi de bloquer l'accès au Parlement égyptien au Caire, dans le cadre d'une vaste campagne destinée à faire tomber le régime du président Hosni Moubarak.
Le Parlement, dominé par le Parti national démocrate (PND) de M. Moubarak, était protégé par des militaires et des blindés, mais aucune violence n'avait éclaté mercredi matin.
Les protestataires étaient assis devant le bâtiment pour en bloquer l'entrée, non loin de la place Tahrir, au centre de la capitale, occupée depuis près de deux semaines par les manifestants.
Des manifestants campent devant le Parlement égyptien, au Caire, le 9 février 2011 (AFP Mohammed Abed).
"Nous sommes venus pour empêcher les membres du PND d'entrer. Nous resterons jusqu'à ce que nos demandes soient satisfaites ou nous mourrons ici", a déclaré à l'AFP Mohammed Abdallah, 25 ans, tandis que la foule entonnait des slogans anti-Moubarak et agitait des drapeaux égyptiens.
"Le peuple n'a pas élu ce parlement", a affirmé Mohammed Sobhi, un étudiant de 19 ans.
Dans une tentative d'apaisement, le gouvernement a annoncé des réformes constitutionnelles et M. Moubarak, 82 ans et presque 30 ans à la tête de l'Etat, a promis de ne pas briguer un nouveau mandat en septembre, mais ces promesses ne semblent pas avoir convaincu les opposants qui réclament toujours sa démission immédiate.
Les Frères musulmans disent ne pas "rechercher le pouvoir"
Les Frères musulmans, principale force d'opposition en Egypte, ont assuré mercredi ne pas "rechercher le pouvoir" malgré leurs appels nourris au départ immédiat du président Moubarak.
"Ce n'est pas une personne, un parti ou un groupe qui mène les manifestations. Personne ne peut prétendre qu'il mène la foule", a affirmé Mohamed Moursi, un haut responsable du mouvement, officiellement interdit par les autorités égyptiennes depuis plus d'un demi-siècle.
Il a rappelé que la confrérie ne souhaitait pas présenter de candidat à la prochaine élection présidentielle.
Les Frères musulmans participent aux côtés d'autres forces de l'opposition à un dialogue avec le régime, initié par le vice-président Omar Souleimane, mais selon M. Moursi, ce dialogue entamé dimanche semble manquer de "sérieux".
"Certains semblent croire qu'il s'agit d'un monologue. Nous voulons un dialogue", a-t-il expliqué.
Pour Amr Moussa, le risque d'une Egypte islamiste "n'existe pas"
Le risque, craint par l'Occident de l'émergence d'une Egypte islamiste, n'existe pas, selon le secrétaire général de la Ligue arabe, l'Egyptien Amr Moussa, pour qui la "révolution"dans son pays ne va pas faiblir.
Amr Moussa, le 15 janvier 2011 (Asmaa Waguih / Reuters)
"Ce risque n'existe pas. Je suis bien conscient de ce dilemme occidental. Il agite les Occidentaux au point que certains de leurs intellectuels et responsables politiques sont prêts à sacrifier la démocratie au nom de leur peur de la religion" mais "leur analyse est fausse et c'est une mauvaise politique", souligne Amr Moussa dans un entretien publié mercredi par le journal Le Monde (lire une partie ici).
"Les Frères musulmans n'ont pas été les meneurs et ne sont toujours pas aujourd'hui les meneurs de la révolution égyptienne. Ils y participent, c'est tout", ajoute-t-il.
"Cette révolution est avant tout celle de la jeunesse et des classes moyennes et, si elle aboutit, le message envoyé aux pays arabes et au reste du monde sera très fort, justement parce qu'elle n'est en aucun cas liée à la religion ou à un groupe religieux. Regardez la composition des manifestants: il y a des chrétiens et des musulmans", relève aussi Amr Moussa.
Pour ce responsable, le rassemblement quotidien des manifestants "n'a rien à voir avec une faction, que ce soit celle de Frères musulmans ou une autre".
"Autre exemple, alors que les forces de sécurité ont déserté les rues, la synagogue du centre-ville, non protégée, est restée indemne. Elle n'a pas reçu un jet de pierre ou un graffiti. Pas un seul incident ne s'est produit", relève-t-il.
Selon lui, le mouvement de contestation ne va pas faiblir. Sur la place Tahrir, "arrivent chaque jour différentes catégories de personnes réclamant le changement", note le secrétaire général dont les bureaux donnent sur cette place du Caire.
La semaine dernière, Amr Moussa n'avait pas exclu d'être candidat à une élection présidentielle en Egypte.
Et aussi...
Le satellite Nilesat relevant du gouvernement égyptien a rétabli la diffusion d'Al-Jaziraaprès une suspension de onze jours.
Plusieurs mouvements sociaux portant sur les salaires ou les conditions de travail sont apparus dans les arsenaux de Port-Saïd (nord-est), dans plusieurs sociétés privées travaillant sur le canal de Suez (est) et à l'aéroport du Caire (sources syndicales et presse).
Les Palestiniens sont interdits d'entrée en Egypte. Les services d'immigration égyptiens ont reçu la consigne de ne pas laisser entrer les Palestiniens dans le pays, a indiqué mercredi à l'AFP un de leurs responsables, en précisant que douze Palestiniens avaient été renvoyés après avoir atterri à l'aéroport du Caire.
Le ministre de la Culture démissionne. Le nouveau ministre égyptien de la Culture, Gaber Asfour, a annoncé mercredi à l'AFP qu'il avait démissionné, quelques jours après sa nomination lors d'un remaniement ministériel effectué sous la pression des manifestations contre le régime.
M. Asfour, professeur d'université et critique littéraire, a invoqué des "raisons médicales"pour expliquer sa décision. Son entrée au gouvernement avait été critiquée par des intellectuels.
Lire aussi, en toute fin de ce reportage, le témoignage d'Ahmed, jeune Gazaoui en provenance d'Italie, qui a passé sept jours en quasi-détention à l'aéroport du Caire, dans l'impossibilité de rejoindre la bande de Gaza.