Emmanuel Macron à El Watan : «Je reviens dans l’état d’esprit d’un ami de l’Algérie»
Emmanuel Macron à El Watan : «Je reviens dans l’état d’esprit d’un ami de l’Algérie»
le 06.12.17 | 07h00
Le président de la République française, Emmanuel Macron, effectue aujourd’hui une visite officielle en Algérie. A cette occasion, il nous a accordé une interview dans laquelle il livre sa vision de ce que devront être les relations entre la France et l’Algérie.
«Avec l’Algérie, la France doit construire un axe fort, un axe autour de la Méditerranée qui se prolonge vers l’Afrique», ambitionne-t-il. «Nos deux pays doivent s’enrichir mutuellement de leurs expériences, de leurs savoir-faire et de leurs richesses humaine et culturelle», propose-t-il encore.
Sur le passé colonial et son propos sur «le crime contre l’humanité», il assure que ses convictions «sur ce point n’ont pas changé» depuis qu’il est devenu président de la République. Au plan économique, il estime que «beaucoup de freins à l’investissement existent…» et suggère à l’Algérie de «s’ouvrir davantage».
Vous effectuez une visite en Algérie en tant que président de la République après celle de candidat au début de l’année. Avec quel état d’esprit revenez-vous à Alger ? Quel est le message politique que vous comptez transmettre ?
Je suis venu à Alger à plusieurs reprises à titre officiel et comme candidat. Je suis heureux de revenir en Algérie en tant que président de la République. Nos deux pays partagent une histoire forte et il était important pour moi de faire ce déplacement rapidement en début de mandat pour voir mon homologue, le président Bouteflika, et venir à la rencontre de la société algérienne.
Je reviens dans l’état d’esprit d’un ami de l’Algérie, d’un partenaire constructif qui souhaite renforcer nos liens dans les années qui viennent pour faire fructifier une relation déjà dense. Nos deux pays doivent s’enrichir mutuellement de leur expérience, de leur savoir-faire et de leur richesse humaine et culturelle.
Candidat à la présidentielle, vous avez déclaré que vous voudriez apporter un «regard neuf sur l’Algérie». Quel contenu lui donnez-vous aujourd’hui et quelle forme doit prendre le «nouveau rapport» avec l’Algérie ?
J’ai le regard d’un homme de ma génération, d’un Président élu sur un projet d’ouverture. Je connais l’histoire, mais je ne suis pas otage du passé. Nous avons une mémoire partagée. Il faut en tenir compte. Mais je souhaite désormais, dans le respect de notre histoire, que nous nous tournions ensemble vers l’avenir.
Le nouveau rapport que je veux construire avec l’Algérie et que je propose aux Algériens est celui d’un partenariat d’égal à égal, construit dans la franchise, la réciprocité et l’ambition.
L’Algérie et la France ambitionnent de bâtir un axe fort sur le modèle franco-allemand, mais il semble que les contours de ce projet ne se précisent pas encore. Pourquoi, selon vous ? Existe-il des obstacles ?
L’histoire et la géographie sont différentes, mais l’ambition est la même. Avec l’Algérie, la France doit construire un axe fort, un axe autour de la Méditerranée qui se prolonge vers l’Afrique. Bien sûr, les obstacles existent, mais il nous appartient de les surmonter avec tous les acteurs de nos sociétés.
Pour ce faire, nous devons en particulier travailler ensemble dans les domaines de l’éducation, du développement économique et des échanges culturels. Les objectifs de notre relation doivent être en particulier notre sécurité et notre prospérité commune autour de projets concrets et innovants
. Je suis convaincu que la clé de cet avenir réside dans la jeunesse de nos deux pays, une jeunesse entreprenante, pleine d’initiatives, déterminée à construire l’avenir.
A ce titre, la diaspora algérienne en France est à mes yeux un atout formidable pour nos deux pays. Elle constitue un pont entre les deux rives de la Méditerranée et la plus belle preuve des liens forts et indéfectibles qui unissent la France et l’Algérie.
Il est reproché à votre pays la faiblesse de ses investissements en Algérie, voire un recul par rapport aux années 2000. Quelles en sont les raisons et comment comptez-vous inverser la tendance ?
L’Algérie est un partenaire économique majeur pour notre pays. La France est le premier investisseur étranger en Algérie en dehors du secteur des hydrocarbures. Cela représente un stock d’investissements français de 2,3 milliards d’euros.
Ce stock a augmenté de plus de 4% par rapport à 2015. Nos investissements sont très diversifiés, notamment dans le secteur bancaire et dans l’industrie manufacturière, avec en premier lieu l’industrie automobile, puis l’agroalimentaire et l’industrie chimique. Si les projets en cours de développement se concrétisent, le montant des investissements français en Algérie pourrait afficher une forte augmentation dans les années à venir.
Les entreprises françaises qui investissent en Algérie dans le long terme agissent en convergence avec les priorités de l’Algérie : produire sur place, produire «algérien», c’est-à-dire avec un taux d’intégration local important, apporter des savoir-faire et des technologies pour créer de l’emploi et participer à la diversification et au développement de l’économie algérienne.
La France investit également dans le capital humain, c’est-à-dire dans la formation et le développement des compétences par le biais de ses entreprises. Je pense par exemple à la Renault Académie, au Centre d’excellence de Schneider Electric, ou encore à la formation de la RATP pour la mobilité urbaine…
Mais nous n’entendons pas nous reposer sur ces acquis. Il faut faire plus et répondre aux besoins d’une jeunesse de plus en plus nombreuse qui arrive chaque année sur le marché du travail. Notre coopération doit pouvoir s’étendre à de nombreux secteurs, des secteurs d’avenir comme les énergies renouvelables, tout ce qui relève de la ville du futur ou du numérique.
Dans tous ces domaines, il y a des champs de coopération prometteurs entre nos deux pays. L’Algérie doit aussi s’ouvrir davantage. Il y a encore beaucoup de freins à l’investissement qui existent sur le contrôle des participations et les règles de change en Algérie. Une modernisation de l’économie est indispensable pour que les entreprises algériennes et françaises puissent développer leurs projets.
L’histoire coloniale continue d’impacter le présent et vraisemblablement le futur des relations entre Alger et Paris. Quels sont les gestes nécessaires à faire pour refermer la plaie coloniale ? Maintenez-vous l’expression «crime contre l’humanité» que vous avez employée en février dernier à Alger ?
J’ai dit à Ouagadougou que durant la colonisation, il y a eu des combats, il y a eu des fautes et des crimes, il y a eu des grands événements et des histoires heureuses. Je suis d’une génération de Français pour qui les crimes de la colonisation européenne sont incontestables et font partie de notre histoire.
En tant que chef d’un Etat qui a colonisé une partie de l’Afrique mais aussi comme représentant d’une génération qui n’a pas connu cette période, je considère que la France est dépositaire de ce passé. Pour autant, j’ai une conviction profonde, notre responsabilité n’est pas de nous y enferrer, notre responsabilité n’est pas de rester dans ce passé. Elle est de connaître cette histoire et de construire un avenir commun et une espérance. Mes convictions sur ce point n’ont pas changé depuis que j’ai été élu président de la République.
L’Algérie souhaite que la communauté algérienne puisse bénéficier des dispositions du droit commun français en matière de séjour en France, par souci d’apporter une solution globale et durable aux problèmes relatifs à la circulation, à l’emploi et au séjour des ressortissants algériens sur le territoire français. Est-il question de réviser l’accord de 1968, d’autant qu’il est évoqué par certains, la libre circulation des harkis et leurs familles entre l’Algérie et la France ?
Il n’y a pas de vache sacrée, nous sommes prêts à réviser ce texte. Par ce texte, l’Algérie bénéficie d’avantages plus importants que d’autres pays parce que ces accords datent d’une époque où les problèmes de migrations ne se posaient pas dans les mêmes termes qu’aujourd’hui.
La mobilité des étudiants, des hommes d’affaires, des artistes en particulier est importante pour les échanges économiques et culturels. Je souhaite à ce titre que l’accord de mobilité des jeunes actifs puisse être mis en œuvre le plus rapidement possible. Dans le même temps, je suis déterminé à lutter contre l’immigration clandestine qui n’est bonne ni pour la France ni pour l’Algérie.
Nous travaillerons étroitement ensemble pour essayer de trouver des solutions efficaces pour lutter contre ce phénomène. Je suis enfin très attaché à la réciprocité et il m’importe que les Français qui souhaitent se rendre en Algérie, comme les journalistes et les religieux, puissent obtenir leur visa.
Le phénomène du terrorisme est un défi et un danger, quelle perception avez-vous de l’émergence des groupes armés au Sahel, d’autant plus que vous avez réservé votre première visite en Afrique au Mali ? Pensez-vous que l’option militaire à elle seule est à même de résoudre le problème au Mali, sans risque d’atomiser la région ?
La France et l’Algérie ont un intérêt commun, celui de la stabilité de la région et de la lutte contre les groupes terroristes, qui ont frappé et meurtri à plusieurs reprises nos deux pays. L’opération Serval a permis de sauver le Mali des mouvements terroristes
Ce combat contre le terrorisme au Sahel, nous ne pourrons le gagner que si nous poursuivons le même objectif, celui d’avoir des armées africaines fortes, capables de contrôler leurs frontières et de prendre le dessus sur les groupes terroristes. C’est le sens du soutien que nous apportons à la force conjointe du G5 Sahel qui est en train de se déployer prioritairement dans la région des trois frontières entre le Mali, le Niger et le Burkina Faso.
Des premières opérations conjointes ont été menées mais il faut aller plus vite. Il faut des gains militaires contre les groupes terroristes mais il faut aussi le retour des écoles, des administrations, des services publics. Ce sera l’objet de la réunion que j’organiserai le 13 décembre à Paris avec les membres du G5 Sahel et ceux qui soutiennent cette initiative.
Au-delà de la lutte sur le terrain il faut gagner aussi le combat contre la pauvreté et pour le développement. C’est l’objet de l’Alliance pour le Sahel que nous avons lancée ces derniers mois.
S’agissant des filières terroristes, je me suis clairement exprimé à ce sujet à plusieurs reprises. Ma position n’a pas changé. J’attends une coopération totale de tous ceux qui partagent l’objectif d’une paix durable au Mali. Et en effet j’attends beaucoup de l’Algérie dans ce domaine.
Autour de la France et de l’Algérie, «nous pouvons créer un axe fort, porteur d’une ambition collective pour la Méditerranée et l’Afrique», aviez-vous assuré en février dernier. Or il se trouve que pour l’heure, la Méditerranée et l’Afrique subsaharienne sont devenues des lieux où périssent les migrants. Qui porte la responsabilité de ce drame ?
J’ai parlé à Ouagadougou de responsabilité partagée. C’est d’ailleurs le sens général du partenariat que je souhaite refonder entre l’Europe et l’Afrique. Cela commence par apporter des solutions concrètes pour mettre fin au drame des populations africaines prises au piège en Libye.
C’est pourquoi, à mon initiative, en marge du sommet d’Abidjan, pour aller au-delà de l’indignation et trouver des solutions, nous avons élaboré un plan avec 9 actions très concrètes que nous sommes en train de décliner.
Un appui va être apporté à l’OIM pour accélérer les évacuations de Libye et les rapatriements vers les pays d’origine. Une partie de ces populations, celle éligible au droit d’asile, pourra bénéficier d’une protection et d’une réinstallation, y compris en France, grâce au dispositif que l’OFPRA a mis en place en lien avec le HCR et avec la coopération des autorités nigériennes et tchadiennes.
La France est pour l’instant le seul pays européen à avoir mis en place un tel dispositif et je souhaite que d’autres Européens puissent le rejoindre. Nous travaillons en parallèle à des actions pour démanteler les réseaux de passeurs qui sont les nouveaux esclavagistes.
Cela commence par des mesures de sanctions, par exemple de gel d’avoirs, qui doivent être discutées au Conseil de Sécurité des Nations unies. Au final, c’est une mobilisation enfin à la hauteur de l’enjeu qui se met en place. Je suis heureux que la France ait pu contribuer à l’accélérer et participe à sa déclinaison concrète.
La réponse apportée pour y mettre un terme n’est que sécuritaire, les Etats sont-ils à ce point impuissants pour n’être pas parvenus à enrayer cette tragédie en mettant en place des solutions durables ?
La réponse qui doit être apportée est multiple. Elle est sécuritaire sans aucun doute mais elle est également politique, comme en Libye où les trafiquants profitent de l’instabilité du pays pour prospérer. Notre action doit conduire à une plus grande stabilité de la Libye.
Il s’agit de travailler sur le long terme sur les raisons qui poussent ces populations à quitter leur pays et risquer leur vie.
Le défi, et c’est tout le sens du discours que j’ai prononcé à Ouagadougou, c’est de créer les conditions pour que la jeunesse africaine puisse se projeter vers un avenir et un destin qu’elle a choisis et non qu’elle subit.
Qu’elle ne soit la proie ni des passeurs, ni des extrémistes.
J’ai formulé plusieurs propositions qui permettront à la France d’accompagner ce projet d’un avenir choisi et partagé. Je pense aux partenariats universitaires que nous allons multiplier pour créer des doubles diplômes et des parcours croisés. Je pense également au fonds d’un milliard d’euros qui viendra en soutien des PME africaines. Ce fonds permettra de développer l’innovation et l’emploi en Afrique.
Sans issue, la crise libyenne va en s’aggravant, notamment avec l’apparition de nouvelle forme de la traite des êtres humains. Jusqu’à quand la solution à cette crise restera-t-elle otage des luttes d’influences des puissances ?
La France comme l’Algérie soutiennent pleinement la médiation des Nations unies. L’Envoyé spécial du Secrétaire général des Nations Unies, M. Ghassan Salamé, a proposé un plan qui a été approuvé par le parlement de Tobrouk. C’est une bonne chose. Il faut à présent convaincre l’ensemble des acteurs que la seule solution pour résoudre la crise libyenne est politique et que tous ont intérêt à ce que le processus politique, sous l’égide des Nations unies, reprenne.
L’Algérie joue un rôle important sur ce dossier en animant avec la Tunisie et l’Egypte un groupe de travail dont l’objectif est de jouer un rôle constructif et de soutien à la médiation de l’ONU. Nos deux pays continueront à travailler étroitement sur cette question pour contribuer à la résolution de cette crise.
La Françafrique a longtemps dominé les rapports entre la France et le continent africain. Estimez-vous que cette conception «néo-colonialiste» est définitivement bannie dans les faits, autrement dit, quelle est votre propre conception ?
La Françafrique, c’est un monde d’un autre temps, un monde de réseaux et de connivences, un monde du passé. C’est tout l’inverse du partenariat que j’ai proposé la semaine dernière à la jeunesse africaine. J’ai demandé à nos entreprises d’être exemplaires en Afrique. D’agir dans la transparence. De développer l’emploi local. D’être à l’avant-garde en matière de responsabilité environnementale. D’investir dans la formation professionnelle des jeunes. Cela sera la condition du soutien de l’Etat.
Cela signifie de nouvelles méthodes et tout le monde va devoir s’y adapter, nous-mêmes Européens, mais aussi l’Afrique et tous nos partenaires dans le monde car, en matière de gouvernance et grands contrats, il faut éviter les erreurs que nous avons commises ensemble par le passé. Ma conception est celle d’une génération nouvelle qui voit dans l’Europe et l’Afrique un destin commun et des responsabilités partagées.
Le Moyen-Orient est soumis au rythme infernal des conflits violents où l’équilibre ancien semble définitivement rompu. Le Golfe persique est lui aussi en proie à des tensions qui implique en filigrane l’Iran. Qu’est-ce qui se joue dans cette partie du monde ?
Le Moyen-Orient est confronté à de multiples crises qui sont source de déstabilisation importante, que ce soit en Libye, en Syrie, en Irak, dans le Golfe aujourd’hui. La stabilité du Golfe est essentielle et la France soutient la médiation koweitienne pour trouver une sortie de crise par le dialogue et la négociation.
La rivalité entre les pays du Golfe et l’Iran est également une source d’inquiétude. Là encore, seul le dialogue sera en mesure de réduire les tensions. Ma position a toujours été claire. La France souhaite jouer le rôle d’une puissance modératrice et médiatrice. Avec l’Iran, la France a un dialogue ferme et exigeant pour tenter de réduire les tensions dans la région. L’Iran est une puissance régionale, c’est un fait. Mais elle doit jouer un rôle constructif dans la résolution des crises régionales.
La position sur le Sahara occidental est perçue comme étant favorable au Maroc. La France ne devrait-elle pas avoir une attitude plus équilibrée sur cette question pour pouvoir influer sur le règlement de ce conflit en suspens ?
Notre position équidistante sur cette question est bien connue et n’a pas changé. Et elle ne changera pas. Le dialogue entre l’Algérie et le Maroc sur cette question est primordial. Ensemble, avec l’appui de la communauté internationale, vos deux pays doivent œuvrer à la résolution de cette crise. Son règlement constitue un énorme défi pour l’intégration du Maghreb.
Elle représente un blocage économique majeur pour la région. J’espère que le Maroc et l’Algérie sauront dépasser leur divergence pour construire un Maghreb fort, uni et prospère.