Jeudi 20 Janvier 2011
LE IRANIEN AHMADINEJAD SâINGĂRE DANS LA CRISE
Câest un pavĂ© dans la mare que vient de jeter le prĂ©sident iranien en sâingĂ©rant directement dans les affaires internes de la Tunisie. Mahmoud Ahmadinejad a estimĂ© hier, que les Tunisiens sâĂ©taient soulevĂ©s contre leur prĂ©sident, «soutenu par lâOccident», pour «établir la loi islamique» dans leur pays. Profitant de la grave crise qui secoue actuellement la Tunisie, lâIran tente de remettre sur selle lâextrĂ©misme islamiste dans ce pays, jusque-lĂ Ă©pargnĂ© par ce flĂ©au. «Il est trĂšs clair que la nation tunisienne sâest soulevĂ©e contre un dictateur soutenu par lâOccident, en utilisant des slogans islamiques, humains, monothĂ©istes et pro-justice», a-t-il dĂ©clarĂ©, lors dâun discours public dans la ville de Yazd, retransmis en direct Ă la tĂ©lĂ©vision. «En un mot, les Tunisiens cherchent Ă Ă©tablir la loi islamique», a-t-il ajoutĂ©. La veille, 228 des 290 dĂ©putĂ©s du Parlement iranien, dominĂ© par les conservateurs, avaient dit soutenir «fermement le mouvement rĂ©volutionnaire» du peuple tunisien et souhaitĂ© son «succĂšs».
«Les Tunisiens veulent la charia»
Tahar FATTANI - Jeudi 20 Janvier 2011 - Page : 3
Soutenir lâextrĂ©misme est une spĂ©cialitĂ© bien iranienne. On se rappelle comment ce pays avait appuyĂ© lâintĂ©grisme en AlgĂ©rie au dĂ©but des annĂ©es 1990.
Les AmĂ©ricains se disent dĂ©terminĂ©s Ă empĂȘcher les extrĂ©mistes Ă prendre le pouvoir
De tous les reportages et de toutes les images rapportĂ©es par les tĂ©lĂ©visions Ă©trangĂšres, pas une seule nâa montrĂ© des slogans islamistes. Ahmadinejad a Ă©tĂ© le seul Ă les voir. Apparemment, câest une spĂ©cialitĂ© bien iranienne de pousser Ă lâessaimage de lâextrĂ©misme islamiste. On se rappelle avec quelle cĂ©lĂ©ritĂ© ce pays avait soutenu lâintĂ©grisme en AlgĂ©rie au dĂ©but des annĂ©es 1990. Avec cette dĂ©claration, la petite Tunisie devient du coup un enjeu international de taille. Qui veut tirer les marrons du feu en Tunisie qui fait lâobjet de convoitise des puissances mondiales? Le conflit irano-amĂ©ricain dĂ©passe cette fois-ci, le cadre du nuclĂ©aire pour se focaliser, voire cibler la Tunisie. Ces deux pays semblent se regarder en chiens de faĂŻence quant Ă lâavenir politique de la Tunisie. Dâailleurs, les AmĂ©ricains se disent dĂ©terminĂ©s Ă empĂȘcher les extrĂ©mismes Ă prendre le pouvoir. Une position qui a poussĂ© lâIran Ă sortir de ses gonds en annonçant son soutien Ă lâinstauration dâun Etat islamique.
A partir dâAlger, Washington a dĂ©jĂ exprimĂ© sa crainte de voir les islamistes arriver au pouvoir. «Nous ne voulons pas que des parties extrĂ©mistes tirent profit de cette situation», a annoncĂ© avant-hier, le conseiller principal du prĂ©sident des Etats-Unis, Barack Obama, pour la sĂ©curitĂ© intĂ©rieure et la lutte antiterroriste, John Brennan, lors dâune confĂ©rence de presse organisĂ©e au siĂšge de lâambassade des Etats-Unis Ă Alger. Cet avertissement est lancĂ© aux mains Ă©trangĂšres qui soutiennent lâinstauration dâun Etat islamique en Tunisie.
Les Etats-Unis dâAmĂ©rique passent Ă une vitesse supĂ©rieure pour faire avorter ce projet dâun Etat islamique en Tunisie. Le mĂȘme responsable a affirmĂ© que son pays est prĂȘt Ă assister le gouvernement tunisien pour organiser rapidement des Ă©lections libres qui reflĂšteraient la volontĂ© du peuple.
«Nous soutenons fermement les aspirations du peuple tunisien. Nous sommes prĂȘts Ă porter assistance au gouvernement tunisien pour tenir des Ă©lections justes et libres dans un futur proche, Ă©lections qui reflĂšteraient les vĂ©ritables aspirations et la volontĂ© du peuple tunisien», a-t-il affirmĂ©. A ce duel, sâajoute la France. Paris ne veut pas rester Ă lâĂ©cart.
LâHexagone tient Ă sauvegarder sa part du gĂąteau. La France a manifestĂ©, avant les autres pays, de prĂȘter main forte Ă la Tunisie pour rĂ©ussir la transition dĂ©mocratique. Le prĂ©sident français, Nicolas Sarkozy, a annoncĂ© hier, que la France attend des Tunisiens une transition pacifique «aprĂšs avoir mis fin avec courage et dignitĂ© Ă un rĂ©gime quâils rejetaient, trouvent le chemin dâune transition pacifique et exemplaire, afin quâune dĂ©mocratie solide et durable sâinstaure en Tunisie», a dĂ©clarĂ©, lors du Conseil des ministres, le prĂ©sident français, citĂ© par le porte-parole du gouvernement François Baroin.
Et de prĂ©ciser que la France reste «fidĂšle Ă ses valeurs, conforme aux intĂ©rĂȘts des Français». Avec une Ă©ventuelle victoire des islamistes en Tunisie, la France perdrait, certainement, les intĂ©rĂȘts dont parle M.Sarkozy.
Il devient Ă©vident, ainsi, que la France sâopposerait Ă lâinstauration dâun Etat islamique en Tunisie. LâIran et lâOccident tentent, Ă la lumiĂšre de ces donnĂ©es, dâexploiter la victoire des Tunisiens et transformer leurs sacrifices au profit des pays en conflit permanent, afin de se disputer la rĂ©gion et dĂ©fendre leurs intĂ©rĂȘts.
Ce duel pourrait bien entraĂźner des consĂ©quences prĂ©judiciables au processus dĂ©mocratique en Tunisie et mĂȘme Ă lâavenir de ce pays.
Il appartient aux Tunisiens de protĂ©ger leur pays, de prĂ©server leur victoire acquise au prix du sang et du feu afin de ne pas ĂȘtre la proie dâun conflit entre lâIran et lâOccident.
Tunisie: deuil national, amnistie générale et reprise des cours en vue
Le gouvernement tunisien de transition a décrété jeudi un deuil national de trois jours "en mémoire des victimes" de la "Révolution de jasmin", adopté un projet de loi d'amnistie générale et décidé la reprise des cours dans les écoles et universités "la semaine prochaine". Dans la journée, des manifestants qui craignent de se faire confisquer une révolution de rue violemment réprimée par la police de l'ancien président Zine El Abidine Ben Ali (au moins 100 morts selon l'ONU), ont continué de réclamer la démission du gouvernement. Jeudi 20 janvier 2011, 21h15 Pendant ce premier conseil des ministres de l'aprÚs Ben Ali, l'exécutif provisoire a également décidé que l'Etat prendrait possession des "biens mobiliers et immobiliers du Rassemblement constitutionnel démocratique" (RCD), le parti du président déchu. "Un projet de loi d'amnistie générale a été adopté par le Conseil des ministres, qui a décidé de le soumettre au Parlement", a déclaré à l'AFP le ministre du Développement, Ahmed Néjib Chebbi. "Le mouvement Ennahdha sera concerné par l'amnistie générale", a précisé le ministre de l'Enseignement supérieur Ahmed Ibrahim.
Interdit et persĂ©cutĂ© par le rĂ©gime policier de Ben Ali, qui se targuait auprĂšs de l'Occident d'ĂȘtre un rempart contre l'islam radical, Ennahdha avait annoncĂ© mardi qu'il allait demander sa lĂ©galisation. Signe important du retour vers un fonctionnement normal de la vie du pays, le gouvernement a dĂ©cidĂ© la reprise des cours "la semaine prochaine" dans les Ă©coles et universitĂ©s du pays. Offrant un nouveau gage de dĂ©mocratisation, le gouvernement a supprimĂ© la police politique des universitĂ©s, traditionnels foyers d'agitation contre le pouvoir, "en application du principe de l'inviolabilitĂ© des campus". "A partir de demain, la commission chargĂ©e de prĂ©parer les Ă©lections commencera Ă travailler. Il y a des lois Ă Ă©crire, d'autres Ă revoir, dans un esprit de concertation avec toutes les tendances et toutes les sensibilitĂ©s, sans aucune exception", a aussi dĂ©clarĂ© Ahmed Ibrahim, chef du parti Ettajdid (ex-communiste). Selon la Constitution tunisienne, les Ă©lections prĂ©sidentielle et lĂ©gislatives doivent avoir lieu dans un dĂ©lai de deux mois, en cas de vacance du pouvoir. Mais le Premier ministre a indiquĂ© qu'elles auraient lieu "d'ici six mois".
A Tunis, un millier de manifestants ont Ă©tĂ© autorisĂ©s pour la premiĂšre fois Ă protester devant le siĂšge de l'ancien parti au pouvoir, aux cris de "RCD out". "Le peuple veut la dĂ©mission du gouvernement", scandaient-ils en brandissant des pancartes proclamant, comme la veille: "On n'a plus peur de vous, traĂźtres !". "Je suis avec vous. On ne va pas tirer sur vous, l'essentiel c'est que le rassemblement soit pacifique", leur a lancĂ© un colonel de l'armĂ©e. Les manifestants l'ont applaudi, certains ont cueilli des fleurs pour les glisser dans les canons des chars, devant des militaires qui souriaient. Des fonctionnaires ont dĂ©boulonnĂ© l'inscription "Rassemblement constitutionnel dĂ©mocratique", qui dĂ©corait en grandes lettres dorĂ©es la façade du siĂšge du parti. Des Tunisiens contemplaient la scĂšne en la comparant au dĂ©boulonnage de la statue de l'ancien dictateur irakien Saddam Hussein, Ă Bagdad Ă la chute de son rĂ©gime en 2003. Pour tenter de dĂ©samorcer la crise de confiance, tous les ministres membres du RCD en ont dĂ©missionnĂ©. Le RCD a ensuite annoncĂ© la dissolution de son Bureau politique. Un des huit ministres issus de l'ancien rĂ©gime, Zouheir M'dhaffer a dĂ©missionnĂ© du gouvernement au nom de "l'intĂ©rĂȘt suprĂȘme de la nation". TrĂšs dĂ©criĂ©, M. M'dhaffer est considĂ©rĂ© comme l'architecte de la rĂ©forme de la Constitution approuvĂ©e en 2002 par rĂ©fĂ©rendum qui avait supprimĂ© la limitation du nombre de mandats prĂ©sidentiels et permis Ă Ben Ali de se maintenir. Par ailleurs la chaĂźne publique, citant une "source officielle" non identifiĂ©e, a annoncĂ© l'interpellation de 33 membres du clan Ben Ali, en montrant des images de bijoux et cartes bancaires saisies Ă cette occasion. Mercredi, la justice avait ouvert une enquĂȘte pour "acquisition illĂ©gale de biens", "placements financiers illicites Ă l'Ă©tranger" et "exportation illĂ©gale de devises". L'Union europĂ©enne a approuvĂ© jeudi le principe d'un gel des avoirs du prĂ©sident tunisien dĂ©chu et de ses proches. La France a annoncĂ© mercredi avoir pris "les dispositions nĂ©cessaires" pour bloquer d'Ă©ventuels "mouvements financiers suspects concernant des avoirs tunisiens en France" du clan Ben Ali-Trabelsi. La Suisse a fait de mĂȘme. Enfin, il manquerait bien 1,5 tonne d'or dans les coffres de la Banque centrale de Tunisie (BCT), si l'on en croit l'estimation donnĂ©e en dĂ©cembre par le Conseil mondial de l'or (CMO). Le CMO Ă©valuait Ă 6,8 tonnes le stock d'or de la Tunisie, soit prĂ©cisĂ©ment une tonne et demi de plus que l'Ă©valuation (5,3 tonnes) donnĂ©e mercredi par la banque centrale tunisienne. Celle-ci voulait dĂ©mentir alors la fuite de la famille de Ben Ali le 14 janvier avec cette quantitĂ© d'or. |