Sur l'île maudite de Koh-Lanta, à l'aube du seizième jour de captivité volontaire, Fabienne aussi déprime. Son cœur saigne encore après les perfides attaques portées contre elle par Kaouther lors du dernier conseil des Jaunes. Elle lui reprochait d'avoir instigué le complot sournois qui fut fatal à Kader. Or il se trouve que c'est en réalité Rodolphe, le patriarche de la tribu, qui avait tout orchestré. Il ne s'en cache d'ailleurs pas.

Des sacs et des larmes

Mais Fabienne n'a guère le temps de se lamenter sur son sort. Une bouteille échouée sur la plage l'appelle, de même que ses coéquipiers, à une nouvelle épreuve. La récompense du vainqueur est... un téléphone satellite ! Voilà qui annonce des conversations fort émouvantes, qui feront sangloter dans les chaumières. D'ailleurs, Raphaële et Rodolphe pleurent à la seule vue du téléphone. C'est vrai qu'ils ont quitté leur famille depuis au moins... deux semaines. On comprend leur détresse. Ils sont un peu comme Nelson Mandela.

Pour avoir la joie de dire quelques mots à leurs proches abandonnés, les membres de chaque équipe doivent rester immobiles sur une plate-forme au dessus de la mer, en tenant une corde reliée à une lourde charge. À tour de rôle, ils vont chercher un sac de sable sur la berge pour alourdir le fardeau de leurs adversaires, jusqu'à ce qu'un des groupes lâche prise. Isabelle, exclue du jeu pour préserver l'égalité numérique entre les deux camps, les encourage de façon assez étrange. "Respire, Alex, respire, Alex, respire, respire" crie-t-elle à Alexandre comme s'il était sur le point d'accoucher. "Pense à ton fiancé, pense à tes fiancés, Raphaële" lance-t-elle à Rafaële, qui se trouve ainsi affublée d'une charmante réputation. Finalement, n'y tenant plus, Isabelle se met carrément à vociférer : "Relâchez pas, les Rouges, relâchez pas !" Patrick lui hurle en retour "Mais on lâche pas !" tandis que Rodolphe chuchote à ses camarades sur la plate-forme jaune "Elle va fermer sa gueule ?", ce qui reflète assez bien le sentiment général.

Les Jaunes lâchent prise les premiers, offrant une nouvelle victoire aux Rouges. C'est grâce à Isabelle, qui explique sans rire : "Je vous ai envoyé ma force par télépathie". Tandis que les Jaunes retournent à leur camp, le goût amer de la défaite dans la bouche, les Rouges peuvent enfin téléphoner à leurs familles. Tout le monde pleure et Monsieur Brogniart devrait se réjouir parce que c'est bon pour l'audimat. Mais non, il lui en faut toujours plus. Il s'emploie donc à torturer Isabelle, qui vient de parler à sa petite fille, Noëmie, dont elle va manquer l'anniversaire : "Est-ce qu'elle comprend ce qui se passe, Noëmie ?" Rongée par la culpabilité, Isabelle éclate immédiatement en sanglots : "Dans sa petite tête, elle doit se dire : pourquoi maman, elle part ?" Pendant ce temps, Raphaële et Alexandre découvrent soudain la brûlante intensité de leur sentiments. "On va faire plein de choses de notre vie, on va construire notre vie ensemble" dit-elle à son fiancé. "C'est toi la femme de ma vie, c'est personne d'autre" dit-il à sa fiancée. Et dire que s'ils n'avaient pas téléphoné, ils n'auraient jamais su. Comme quoi France Telecom avait raison : le bonheur, c'est simple comme un coup de fil.

Après ces moments rares, les Rouges s'endorment dans la joie en fredonnant "Pour un flirt avec toi" de Michel Delpech. Ils s'aiment tous, ils sont heureux, tout va bien.

Rassurez-vous : ça ne va pas durer !

La trahison

Une bouteille s'échoue sur la plage (À Koh-Lanta, on n'utilise les téléphones que pour pleurer. Pour les messages importants, il y a les bouteilles.) Il s'agit d'une convocation à une rencontre au sommet entre des représentants des deux tribus. Ces ambassadeurs - le plus sage de chaque équipe - devront déterminer d'un commun accord quel candidat sera banni de l'île avant la réunification de tous en une seule et belle famille. Faute de compromis, c'est l'un des deux émissaires qui sera éliminé par tirage au sort. Règle cruelle mais amusante, non ?

Isabelle a le terrible honneur de représenter les Rouges. Elle a l'air à moitié folle et elle pousse des cris stridents à vous vriller les tympans : c'est donc tout naturellement qu'ils l'ont désignée comme la plus sage d'entre eux. Vous me direz : c'est comme à la dernière élection présidentielle. Je vous répondrai : vous avez tort de vous moquer de Ségolène, méchants ! Elle fait beaucoup d'efforts pour faire rire les Français par ses facéties. En période de crise économique, il faudrait plus d'humoristes de talent comme elle. Quoi qu'il en soit, Isabelle est investie de la confiance des siens. "J'ai très confiance en Isabelle, confie Alexandre, son rôle, c'est préserver les Rouges, préserver Louis-Laurent en priorité." Et Isabelle de renchérir : "Je veux que vous soyez sûrs et certains que je ne mettrai aucun Rouge en danger." Attendez la suite...

Côté jaune, c'est Fabienne qui se dévoue. Prête à se sacrifier pour les hommes de sa tribu, qu'elle juge plus aptes qu'elle à remporter la victoire finale, elle s'élance sans crainte dans sa pirogue vers le lieu du rendez-vous, où elle retrouve Isabelle pour un face-à-face musclé.

Isabelle essaie bien d'amadouer Fabienne en arguant de quelque complicité féminine : "Je suis contente que ce soit toi parce que, voilà, entre femmes, on va essayer de se décider". Elle se heurte à un mur de béton armé. Fabienne refuse d'emblée d'éliminer n'importe quel Jaune, y compris Freddy, transfuge de l'équipe rouge. Désemparée, Isabelle suggère Louis-Laurent - rappelez-vous, c'est celui qu'elle était censée protéger - mais Fabienne refuse encore. Isabelle essaie bien de jouer les tentatrices : "Tu peux aller encore loin dans l'aventure. Ça me fait de la peine que tu baisses les bras, pour tes enfants, si, pour tes enfants." "T'es une femme et une maman" conclut-elle (c'est aussi débile quand elle le dit que quand je l'écris) mais Fabienne reste inflexible. Comme Gandalf face au Balrog, elle ne bouge pas.

Isabelle est en plein désarroi. Heureusement, tel le serpent dans le jardin d'Eden, Denis Brogniart est là : "Isabelle, est-ce qu'aujourd'hui vous êtes prête à donner un autre nom de Rouge ?" La reine de beauté/commerçante/mère de famille réfléchit au moins cinq dixièmes de seconde avant de donner un nom : "Alexandre, Alexandre". Rappelez-vous : c'est celui qui avait complètement confiance en elle. Le motif : "il ne veille pas sur le feu, il ne va pas à la pêche, il ne..." Isabelle n'arrive pas à trouver une troisième raison de jeter Alexandre à la mer mais cela suffit néanmoins à sceller son sort. Les deux ambassadrices retournent au campement des Jaunes. Elle y apportent une bannière bleue, emblême de la nouvelle tribu réunie, et une mauvaise nouvelle.

Alexandre s'en va

Arrivée sur la plage paisible, où les Rouges s'extasient devant les aménagements mirobolants concoctés par Freddy, Isabelle n'en mène pas large. Alexandre, qui ressent son malaise, finit par lui arracher la terrible vérité. Une clameur s'élève de la tribu outragée : "Sorcière ! Qu'on la brûle !" Ah non, ça, c'est moi qui rêvais. Mais les aventuriers sont quand même très mécontents. Patrick et Raphaële ont les larmes aux yeux. Louis-Laurent est effondré : "Mais pourquoi elle l'a vendu ?" Bref, l'intensité dramatique est à son comble.

Le véritable motif de l'éviction d'Alexandre est finalement mis à jour devant les yeux horrifiés des téléspectateurs de TF1 (du moins tous ceux qui ne sont pas encore endormis). En effet, il s'avère que la méchante sorcière avait menti : non seulement Alexandre se levait pour entretenir le feu - jusqu'à quatre fois par nuit ! - mais c'est lui qui se chargeait d'ouvrir les noix de coco, une tâche particulièrement délicate comme chacun sait. La véritable raison trouve donc son origine dans l'incident de la bâche : lors d'un bivouac dans la jungle, Isabelle avait couvert Alexandre d'injures parce qu'il n'avait pas déployé ladite bâche suffisamment vite pour la protéger d'une averse, et aussi parce qu'il lui avait "manqué de respect en tant que mère de famille" mais ça, on n'a jamais trop su ce que ça voulait dire. Isabelle admet "avoir eu sa petite revanche".

Comme ses camarades, Alexandre est indigné : "Ça peut pas être quelqu'un comme ça qui gagne Koh-Lanta. C'est pas possible. Koh-Lanta, c'est le courage, c'est la dignité, c'est le respect des autres." Je crois qu'il confond un peu avec les Jeux olympiques mais bon. Son ultime message à ses camarades est clair : "S'il y en a qui m'ont apprécié, qu'ils votent bien et qu'ils votent juste". Isabelle semble alors promise à une élimination rapide.

Le lendemain matin, après une nuit de repos, les esprits se sont apaisés. En fait, non. Les esprits sont encore très remontés et Louis-Laurent et Raphaële prennent le temps de couvrir Isabelle de reproches à l'heure du petit-déjeuner. Au même moment, les Jaunes, pourtant affaiblis avant la réunification, se réjouissent. Un Rouge a été éliminé et une autre semble sur le point de l'être. Quant à Louis-Laurent, passé chez les Rouges, il rejette sa nouvelle tribu, souillée par la forfaiture d'Isabelle.

C'est le bon moment pour diffuser un petit portrait d'Isabelle, dès fois vous n'auriez pas compris qu'elle a été quatrième dauphine de Miss France et qu'elle a une boutique de vêtements dans les Yvelines. "Je suis fière de moi parce que je suis une femme respectable, qui se respecte" dit-elle. "J'espère être un modèle. Depuis que je suis ici, beaucoup de femmes, ou même des jeunes mamans, s'identifient un petit peu à moi et essaient de changer ou de se relooker." Comme vous pouvez le constater dans ses propos incohérents, son rapport avec le monde réel est des plus ténus. On ne peut que spéculer sur l'origine de ce délire mégalomaniaque. La consommation de stupéfiants semble exclue - il en aurait fallu des doses vraiment massives - mais peut-être l'abus de cosmétiques durant la carrière de reine de beauté d'Isabelle a-t-il fini par provoquer des infiltrations dans son cerveau ? Qui sait ? Pour conclure le reportage, Monsieur Brogniart précise perfidement qu'Isabelle est d'origine portugaise, portant un sérieux coup à la réputation de cette nation fière et laborieuse.

Pas d'élimination ?

Après cet intermède sur l'activité trépidante dans les boutiques de prêt-à-porter des Yvelines, on repasse aux choses sérieuses, à savoir l'épreuve d'immunité, qui décidera quel candidat sera protégé de l'élimination lors du prochain Conseil. L'enjeu est d'importance pour Isabelle, dont la plupart des aventuriers s'accordent maintenant à dire qu'elle est pire que Hitler et Staline réunis.

Il s'agit d'un classique parcours du combattant, qui se déroule d'abord dans l'eau, puis sur terre. Christina l'emporte de peu parmi les femmes et Freddy de beaucoup parmi les hommes. Une épreuve finale est organisée pour les départager. Aveuglés par des bandeaux, ils doivent retrouver une balise dans le lagon, guidés par les seuls voix de leurs camarades. Christina est la gagnante et bénéficie donc d'une immunité pour la soirée, qui s'annonce mouvementée.

En attendant, les candidats tentent péniblement de forger des alliances, qui semblent aussi fragiles que des châteaux de sable. Raphaële est partagée entre sa promesse à Alexandre et sa loyauté envers l'équipe rouge (les anciennes allégeances ayant survécu à la réunification). Elle s'attire l'ire d'Isabelle, qui la qualifie de "suceuse", c'est-à-dire d'hypocrite ou de flagorneuse, au cas où vous auriez imaginé une autre interprétation, beaucoup plus salace.

Durant le Conseil, Isabelle maintient ses positions et dit ne rien regretter. Et Monsieur Brogniart interroge complaisamment les seuls candidats, Christina et Patrick, qui sont prêts à excuser sa félonie, prétendûment parce qu'ils ignorent ce qu'ils auraient fait à sa place. Pour conclure cette étrange leçon de morale, le Conseil s'achève sans élimination. "Je vais vous laisser trois jours pour mieux vous connaître" explique Monsieur Brogniart, qui vient de sauver la tête d'Isabelle.

Alexandre revient

Le lendemain de cet étrange Conseil, qui laisse une vague impression de manipulation grossière, les passions se sont enfin apaisées et les aventuriers en colère ne souhaitent plus livrer Isabelle aux requins.

Ce qu'ils ignorent, c'est que Monsieur Brogniart leur a préparé une surprise. Alexandre n'est pas encore définitivement parti. Il sera réintégré dans le jeu s'il parvient à retrouver un cercle de pierre perdu sur un petit îlot. Et, devinez-quoi, probablement mu par une soif irrépressible de revanche, il fini par le trouver après avoir retourné tous les galets.

C'est donc tout naturellement qu'il se présente à la prochaine épreuve de confort. Louis-Laurent et Raphaële sont ravis. Isabelle beaucoup, beaucoup moins. Chacun des candidats doit barboter dans une mare de boue, puis traverser des ponts flottants pour verser dans un seau la boue qu'il a accumulée sur son corps et dans ses cheveux. Freddy et Christina sont les plus forts à ce petit jeu et gagnent le droit de déguster... un délicieux hamburger. Eh oui, les temps sont durs chez TF1. Il n'y a pas de petite économie.

Après ce petit jeu, qui a sans doute réjoui les plus petits, la journée se passe en sordides tractations, chaque clan - les anciens Jaunes et les anciens Rouges - essayant de rallier Alexandre à sa cause. Patrick semble finalement le convaincre de rester rouge mais Alexandre ne va-t-il pas renier son allégeance pour anéantir son ennemie jurée, Isabelle ?

Alexandre repart, Kader revient

On n'a pas trop le temps de se poser la question, c'est déjà l'heure de l'épreuve d'immunité. Eh oui, c'est le gros problème de Koh-Lanta, les candidats sont parfois forcés d'interrompre leurs mesquineries pour faire un peu de sport. Cette fois, il s'agit d'une course, que les aventuriers commencent attachés par groupe de cinq, jusqu'à ce qu'ils puissent se libérer pour terminer seuls le parcours juché d'obstacles. Louis-Laurent l'emporte mais ce n'est pas ça qui est important. Proche de l'arrivée, Alexandre s'écrase le nez sur un rondin et doit être évacué. L'équilibre des forces s'en trouve bouleversé et les Rouges sont inquiets.

Souffrant d'un traumatisme crânien, Alexandre ne reviendra pas et les aventuriers abasourdis voient revenir... Kader, qu'on croyait reparti pour Cholet depuis longtemps. La peur change de camp : Kader avait en effet quitté l'équipe jaune dans en très mauvais termes, s'estimant victime d'une odieuse cabale.

Naturellement, Kader est à son tour l'objet de toutes les attentions. S'ensuivent des négociations en tout sens, au terme desquelles, Kader, rejeté par Fabienne et Pascal, est convaincu par Patrick de rejoindre le camp rouge, promettant, à contre cœur, de voter contre Freddy. Raphaële, dont les hésitations ont lassé ses amis rouges, fait aussi les frais du marchandage. Je vous résume lés échanges, bien sûr. En temps réel, cela dure des heures et il y a des renversements d'alliance toutes les cinq minutes. Comme le dit Kader, c'est "très, très compliqué". En fin de compte, Patrick, qui était parfois présenté comme un simplet, s'impose comme un stratège assez habile.

Ils ont tué Freddy

S'ouvre ensuite un Conseil assez bizarre. Trois candidats sont protégés de l'élimination : Christina et Louis-Laurent, qui ont tous deux gagné une épreuve d'immunité, et Kader, qui n'y avait pas participé pour cause d'élimination. Cependant, je comprends mal pourquoi Alexandre n'a pas voté, contrairement à Marine, qui, elle aussi, avait été évacuée pour des raisons sanitaires. Bizarre, bizarre...

Monsieur Brogniart, toujours prompt à encourager le pire de la nature humaine, encouragent Fabienne et Kader à déverser leur rancœur jusqu'à ce qu'ils concluent qu'ils n'ont plus rien à se dire. Avant de procéder au vote final, il demande aux aventuriers de désigner le meilleur d'entre eux. Sans surprise, ils désignent unanimement Freddy, qui a l'air tout content.

Le premier vote s'achève par une égalité parfaite entre Isabelle, la cible des Jaunes, et Freddy, celle des Rouges. Le deuxième vote, celui qui ne sert à rien, se termine de la même façon et le tirage au sort final tranchera en faveur d'Isabelle. Freddy est donc éliminé au terme d'une émission qui laisse vaguement nauséeux. Je ne vous cacherai pas ma déception de voir que TF1, une chaîne habituellement de si haute tenue, accepte que, sur son antenne, à une heure de grande écoute, la duplicité soit excusée et le mérite baffoué. C'est indigne ! J'écris immédiatement à Nonce Paolini pour me plaindre. Je le sais homme de cœur ; il partagera certainement ma légitime indignation.

À la semaine prochaine.

K. Mk