La femme transfrontière
- Rym Hachicha Othmani :
- La femme transfrontière
- Amel DJAIT
- Lorsque je (Amel DJAIT ) rencontre Rym Hachicha Othmani pour la première fois au vernissage de l’artiste peintre tunisien Jalel Ben Abdallah, le contact est immédiatement fort sympathique. Comment pourrait-il en être autrement, avec une femme dont la communication est la profession ? A son bureau, quelques semaines plus tard, je réalise que communiquer pour cette pétillante jeune femme est surtout une affaire de passions.
Si ce sont des raisons à sa soif de réussite que l’on cherche lorsque l’on s’étonne de sa vivacité, ce n’est ni du côté de son papa, homme d’affaires tunisien évoluant dans l’univers du bâtiment, ni du côté de son mari, entrepreneur algérien, patron de la Nouvelle Conserverie algérienne de Rouiba qu’il faut chercher. Cette diplômée de l’université de Paris-Dauphine aurait certes pu faire carrière dans n’importe quelle entreprise du pays. Son ambition lui aurait permis de vivre aussi dans n’importe quelle ville du monde. Paris, Londres, Dubaï ou Beyrouth... Ou juste se contenter de jouer au golf...
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Ce n’est pas exactement ce qu’elle décide de faire. Après une dizaine d’années d’épanouissement dans l’univers du management de l’entreprise familiale en Tunisie, elle décide de se reconvertir dans l’univers de la communication pour accompagner son mari qui décide de retourner vivre en Algérie, où il représentera, entre autres, une boisson gazeuse fort connue. C’est dans un contexte historique très particulier que Rym Hachicha Othmani (RHO) s’installe en Algérie. La guerre civile fait rage dans le pays. Une nouvelle vie, un nouveau métier et pour la jeune femme, il va falloir se réinventer. La levée du monopole de la publicité en Algérie l’encourage à se recycler pour devenir plus performante. De toute façon, elle ne peut envisager les choses autrement que dans la performance. Son besoin d’avancer, de faire reculer les lignes et de se sentir utile lui collent à la peau.
Volontaire, elle aurait pu se suffire de travailler dans l’entreprise familiale de sa belle famille, et beaucoup s’étonnent du fait qu’il n’en a jamais été question. Elle aurait pu se contenter d’évoluer dans l’univers de la pub algérien, qui pèse tout de même actuellement plus de 100 millions d’euros. C’est mal la connaître. Elle met un pied à l’étrier et commence sa conquête des marchés, mais aussi, peut-être, un peu d’elle-même !
Aujourd’hui, elle ouvre agence après agence. Elle se diversifie dans différents métiers de la COM et manage une équipe de 106 personnes à travers ses bureaux de Tunis, Alger, Tripoli, Beyrouth, Damas et bientôt Amman. En Algérie, où le secteur explose, elle considère que «tout est à faire. Il est passionnant de travailler dans cet univers. La Libye est en train de se transformer à vue d’œil. La Syrie se met dans les starting-blocks...». Désormais, RHO surfe sur les différents marchés avec vigueur. «Je suis connectée à tous mes bureaux et je sais à l’instant T ce qui s’y passe. Les équipes travaillant sur place sont performantes et représentent la force de nos métiers. Pour être efficace et concurrentielle, il n'y a pas de secrets. Il faut observer, analyser, synthétiser et agir. De toutes façons, nous sommes un peu caméléons nous autres les publicitaires. Notre métier est de saisir et nous adapter aux consommateurs pour qui nous concevons des messages. Nous prenons en considération toutes les spécificités», résume-t-elle.
C’est justement sur le tas qu’elle apprend à appréhender les différences culturelles. Elle en fait sa force de frappe. Cette Algero-Tunisienne confirmée se sent parfaitement à l’aise dans les deux pays et en saisit avec justesse les différentes subtilités. Alors qu’elle perçoit l’Algérie comme moins orientale que la Tunisie, elle pense que «l’Algérien est un écorché vif et que le Tunisien est un enfant gâté». Elle exprime clairement le souhait de «voir plus d’efforts de part et d’autre s’établir. Dans le milieu des affaires, le temps des coups sans lendemains est révolu. Il faut enclencher une sérieuse réflexion sur les relations économiques entre nos deux pays. C’est véritablement un point d’avenir», pense-elle.
Sur le même ton, la jeune femme met en avant la dimension «proximité et sécurité qui poussent les touristes algériens nombreux vers la Tunisie». Elle se réjouit de ce voisinage juteux, mais s’étonne de l’absence de produits touristiques spécifiques répondant aux attentes des Algériens.
Elle s’interroge, non sans une pointe d’humour : "Pourquoi il n’y a pas de bars rai, pas de résidences hôtelières, pas de centres de camping dont raffolent les Algériens et qui sont une véritable institution chez eux... ? Peut-être faut-il commencer à préparer dès aujourd’hui les réponses à ces questions et à bien d’autres ? Les destinations concurrentes sont en train d’élaborer des stratégies pour capter des parts de ce marché porteur. La destination Tunisie ne devrait-elle pas redoubler d’efforts pour garder sa position de destination préférée des Algériens ?
Le ton est donné. Cette femme aime dire ce qu’elle pense. Elle me le confirmera à différentes reprises au cours de la conversation. Elle a la réputation d’être active et impliquée en Algérie. Elle entretient une certaine culture de réseaux et passe d’ailleurs pour l’une des femmes les plus influentes dans la région.
Dans l’exercice de son métier, RHO pose le problème des compétences. Elle se réjouit de leur disponibilité et qualité en Tunisie qu’elle considère comme «un vivier sans pareil en comparaison avec d’autres pays». Ceci ne l’empêche pas de regretter le manque de communication dont souffre le pays, dans son ensemble. «Avec des indicateurs aussi performants, la communication devrait être moderne, franche et percutante. Dommage ! La Tunisie perd énormément en communiquant si mal. C’est au politique de donner le ton et le reste suivra». D’ailleurs, il y a des anachronismes qui ne s’expliquent pas. RHO rebondit et se lamente sur le régime de la séance unique et ses répercussions sur le pays. «C’est vraiment inconcevable qu’un pays aussi moderne et avant-gardiste que la Tunisie continue de trainer cette invention complètement désuète !».
Mère d’une adolescente de 17 ans, Rym Othmani a toujours su qu’elle ne voulait pas jouer à l’épouse au foyer. Elle prend son statut de femme pour une positivité et se révolte contre les images et les clichés qui rabaissent les femmes dans le monde. Agacée, elle rétorque : «Comment voulez-vous mettre l’ambition et l’esprit de développeur dans la tête des petites filles du Maghreb si, aujourd’hui encore, elles lisent dans les manuels scolaires : Mon papa sort travailler et maman s’occupe du foyer ? C’est à l’école que se construisent les modèles».
D’ailleurs, les femmes du Maghreb sont et continueront d’être un moteur de développement incontestable. Un travail colossal a été réalisé de manière inégale entre ses différents pays. Le véritable combat est d’aller encore plus haut et plus loin. RHO précise que c’est «aujourd’hui qu’il faut faire des sacrifices. Le monde du travail est impitoyable et n’accepte aucunement les dissimilitudes. Si elles ne s’imposent pas, les femmes resteront toujours des numéros deux ou trois. Elles n’atteindront jamais le top du management». Il est vrai qu’au delà des parcours personnels, il n’y a pas d’armes spécifiques aux femmes pour réussir. C’est une question de compétences, d’aptitudes et assurément de combativités.
Entre temps, la semaine de RHO est disséquée entre ses clients, ses voyages et ses obligations familiales. Elle travaille de 9h00 à 20h00 tous les jours. Pour cette ex-danseuse classique et sportive d’endurance, il n’y a que le labeur qui paye. Elle aura la décence de ne pas relever que l’univers de la communication reste tout de même un univers très masculin. Pour elle, les obstacles, la cadence et les outils sont les mêmes pour tous. Que le meilleur gagne. «Homme ou femme est un débat caduque. Il n'y a pas de différence. Il n'y a que le travail qui compte !».
Ceci étant dit, le paysage de la communication et de la publicité en Tunisie, en Algérie et dans le monde arabe vit une véritable transformation. Le marché mûrit peu à peu. Au lendemain de son ouverture, il a été fortement question de le mettre au diapason de ce qui se passe dans le monde en l’inscrivant, entre autres, dans une dynamique d’alliance avec les grands réseaux internationaux. C’est exactement dans ce contexte que MMC DDB a vu le jour.
En Algérie, la cadence s’accélère. Aujourd’hui, la tendance est au web. Selon les derniers rapports, l’investissement publicitaire sur internet est en forte progression. Il aurait monopolisé jusqu’à 22 millions de DA l’année écoulée. RHO vient justement d’ouvrir une nouvelle agence web à Alger. Désormais, elle se déploiera aussi dans la publicité et la communication sur le Net. En Tunisie, sur les 200 agences qui existent dans un marché exigu, le nombre d’agences qui émergent du lot se comptent sur les doigts d’une ou de deux mains. Rym Hachicha Othmani y hisse son agence et poursuit sereinement son développement.
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