La jeunesse défie le président Zine el-Abidine Ben Ali

La jeunesse défie le président Zine el-Abidine Ben Ali
De violentes manifestations secouent la Tunisie depuis qu'un jeune homme a tenté de se suicider à Sidi Bouzid, le 17 décembre, pour exprimer son desespoir face à la précarité et au chômage qui gangrènent le pays.
Par Claire BONNICHON / Florence VILLEMINOT (vidéo)
FRANCE 24 (texte)
 

Le chômage, le coût de la vie et la censure politique sont à l’origine de la série de manifestations qui secoue la Tunisie depuis une dizaine de jours. À Tunis, la capitale, des dizaines d'opposants ont manifesté, ce lundi, pour soutenir le combat des habitants de la région de Sidi Bouzid, dans le sud-ouest de la Tunisie, où de violents affrontements opposent manifestants et forces de l’ordre depuis la tentative de suicide d’un jeune chômeur de 26 ans, le 17 décembre.

La centaine de manifestants était rassemblée devant le siège de l'Union générale des travailleurs tunisiens (UGTT), à Tunis, avant d'être violemment interpellée par les forces de l'ordre. Au moins quatre manifestants auraient été blessés par des jets de pierre, selon un observateur présent sur place. 

"Le cortège a tenté de quitter la place Mohamed-Ali [lieu où se trouve le siège de l'UGTT, NDLR], mais la police nous en a empêchés. Ils nous ont frappés avec des matraques et nous ont même jeté des pierres. Il y a eu quatre blessés, mais les policiers ne nous ont pas laissés les transporter à l’hôpital", raconte sur le site des Observateurs Lina Ben Mhenni, blogueuse et activiste à Tunis.

Vidéo des rassemblements à Tunis par Slim Amamou

Watch live video from slimamamou on Justin.tv

La diaspora tunisienne solidaire

Des rassemblements de solidarité ont été organisés à Paris, dimanche 26 décembre, où une centaine de manifestants se sont rassemblés à l’appel du Collectif de solidarité avec les luttes de Sidi Bouzid devant le consulat de Tunisie, dans le 16e arrondissement, aux cris de "À bas la dictature !" et "Vive les luttes en Tunisie !".

Manifestation de protestation à Paris, le 26 décembre 2010

"On en a marre. Aujourd’hui, le seul moyen que l’on a de faire passer un message en Tunisie est de se suicider. Les gens doivent se tuer pour se libérer de Ben Ali et de sa bande !, s’insurge Selma, une manifestante. Nous demandons à Ben Ali de quitter le pays et nous lui pardonnerons s’il laisse le pouvoir à ceux qui le mérite. En attendant, nous manifesterons jusqu’à ce qu’il y ait un changement !"

Le chômage des jeunes, un fléau tunisien

 Mohammed Bouaziz, jeune diplômé sans emploi, avait tenté, le 17 décembre dernier, de s’immoler par le feu devant le gouvernorat de Sidi Bouzid pour protester contre les autorités locales qui venaient de lui confisquer les fruits et les légumes qu’il s’apprêtait à vendre sur le marché pour faire vivre sa famille. Gravement brûlé, le jeune homme est toujours hospitalisé à Ben Arous, près de Tunis.

Manifestation à Sidi Bouzid le 18.12.10
Crédit : Jelladi Mohtadi, Source: Tunisia watch
L’incident a provoqué des protestations dans la région qui ont dégénéré en violents affrontements entre la police et les manifestants, faisant au moins un mort et dix blessés en une semaine environ. Le 18 décembre, 2000 personnes ont manifesté à Menzel Bouzaïene, à 60 km de Sidi Bouzid, contre le chômage des jeunes, la précarité et la corruption du pouvoir. Les forces de l’ordre ont rapidement encerclé la ville avant de procéder à une vague d’arrestations massive.

Les manifestations se sont poursuivies les jours suivants. Le 22 décembre, Houcine Falhi, 22 ans, s’est électrocuté à Sidi Bouzid sur des câbles à haute tension après avoir escaladé un poteau électrique, criant qu’il ne voulait "plus de misère, ni de chômage". Le 23 décembre, Mohamed Béchir el-Amari, un autre manifestant, a été tué par balles par la police en pleine manifestation.
             
Le chômage des jeunes diplômés constitue un fléau en Tunisie contre lequel les institutions internationales, dont le Fonds monétaire international (FMI), ont mis en garde le gouvernement. Dans le pays, son taux atteindrait le double du taux de chômage national, estimé officiellement à 14 %.

Le censure des médias tunisiens

Aucune information officielle sur les événements de Sidi Bouzid n’est disponible à ce jour. Le gouvernement tunisien préfère parler "d’incident isolé" et dénonce leur exploitation politique "malsaine" par l’opposition.

Si quelques groupes se sont constitués sur Facebook, tel que "M. Le Président, les Tunisiens s’immolent par le feu", qui réunit plus de 11 000 soutiens, et plusieurs blogueurs (comme A Tunisian Girl) dénoncent sur la Toile les exactions de Sidi Bouzid, il reste en revanche difficile pour les médias de couvrir les événements. Le 17 décembre, le journaliste Zouhair Makhlouf a été agressé par la police politique, devant son domicile, à Tunis, alors qu’il s’apprêtait à partir à Sidi Bouzid.

L’absence de liberté de la presse est totale. Dans le classement 2010 de Reporters sans frontières (RSF), la Tunisie fait figure de cancre, arrivant à la 164e place, non loin devant la Corée du Nord et de l’Érythrée. Et perd 10 places par rapport à l’année dernière... Cette "chute dans les profondeurs du classement", selon la formule de RSF, s'explique par la politique de "répression systématique mise en place par les autorités de Tunis à l’égard de toute personne qui exprime une idée contraire à celle du régime", estime l'association.

RSF rappelle également que  Fahem Boukadous, journaliste de la chaîne El-Hiwar Ettounsi, est détenu depuis le 15 juillet dernier à la prison de Gafsa, où il purge une peine de quatre ans de prison ferme. Celui-ci avait couvert les manifestations qui s'étaient déroulées dans la région minière de Gafsa, en 2008. Des jeunes diplômés protestaient déjà contre le taux de chômage élevé et l'augmentation du coût de la vie dans le pays. Des centaines de personnes avaient été arrêtées et plus de 200 inculpées. Certains sont toujours en prison aujourd'hui. Un jeune homme de 25 ans avait par ailleurs été tué.

Témoignage de Fahem Boukadous, par RSF

 



11/01/2011
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