La télévision algérienne fait encore rêver

La télévision algérienne fait encore rêver

Publié le 08/03/2009 08:52 par La Rédaction

 
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« La télévision n’est pas le reflet de ceux qui la font, mais de ceux qui la regardent Â», selon Françoise Giroud.

L’inconnu Abdelkader Secteur

Le cas de l’humoriste souterrain, connu du grand public, mais ignoré par la télévision publique, en l’occurrence le Ghazaouati Abdelkader Secteur, est édifiant à plus d’un titre. Un vibrant hommage lui a été rendu par K. Selim qui lui a consacré superbement son éditorial du 18 février 2009 sur Le Quotidien d’Oran intitulé « Comique de la folie ordinaire Â».

Les jeunes et les moins jeunes apprécient, à mourir de rire, cet artiste populaire. Pourtant, ses one-man-shows, sortant de ses tripes, naissent des problèmes du quotidien des Algériens et ne sont d’aucune vulgarité. Il a su refléter admirablement sur des scènes improvisées, le plus souvent dans de simples salles des fêtes ou en des endroits exigus, à la façon de l’Algérien de la rue, en caricaturant, dans un style propre à lui, quelques facettes de notre jeunesse en relatant terriblement ses déboires et aussi ses rêves. Sa célébrité a dépassé les bornes de nos frontières. Effectivement, ses fans sont nombreux jusque même chez nos voisins marocains alors qu’il n’est jamais passé à la télévision nationale. Il s’est produit même en Europe où, s’avère-t-il, qu’il possède un large public parmi l’émigration maghrébine. YouTube a bâti le reste de son étoile montante en amplifiant sa réputation où il fait un tabac à chacun de ses passages parmi ses passionnés. La reconnaissance ne viendra que de son public.

L’éclosion des oiseaux du paradis

Voilà ce qui arrive à notre télévision lorsqu’elle ne s’inquiète pas du sort des citoyens et sous-estime ses profonds sentiments, elle est tout simplement désertée. Il n’y a qu’à demander dans votre entourage immédiat, la réponse est très amère à savoir. Paradoxalement et comme le malheur ne vient pas seul, on assiste à l’éclosion d’une chaîne de télévision satellitaire basée, paraît-il, en Jordanie, et qui avait fait une intrusion fracassante, voilà déjà une année, dans les foyers algériens sans y être invitée, grâce aux irrésistibles ondes électromagnétiques. Toyor Aljanah, puisque vous avez devinez avec exactitude que c’est d’elle qu’il s’agit, n’a payé aucun sou de publicité pour annoncer sa naissance. Une fois de plus, c’est le « bouche-à-oreille Â» qui a fait le reste en fonctionnant à merveille. Les spectateurs algériens sont devenus d’authentiques spécialistes en la matière. C’est la loi de la rue qui régente, elle peut démolir n’importe quelle carrière prometteuse comme elle possède le pouvoir de déclencher celle qui est à l’arrêt ou en panne.

Les tubes de Toyor Aljanah

Cette TV, qui est fondée sur l’éducation en général dans le cadre des préceptes de notre religion, vise essentiellement les petits à partir de leur éveil. Elle a subjugué même les ados et ses chansons produites sont aussi fredonnées par les plus grands, figurant en bonne place au hit-parade de leurs préférences. N’est-il pas réel que nos enfants apprennent par cÅ“ur les airs qui se ressassent en boucle sur cette chaîne ? Dès qu’une nouvelle chanson sort fraîchement des studios, son triomphe est pleinement garanti. Elle est reprise immédiatement sur la place publique et curieusement dans nos écoles. Chaque enfant veut montrer à ses compères qu’il détient l’exclusivité de l’apprentissage du nouveau tube. Des concours s’organisent pour la circonstance, un peu partout, entre gamins écoliers.

Une histoire de famille

Cette télévision, dont l’ascension est fulgurante, est une histoire au fait de famille avec le père comme metteur en scène, la mère comme assistante et leurs enfants comme vedettes entourées d’autres personnes sans doute des proches.

Grâce à cette notoriété acquise sur la terre d’Algérie, la famille Mokdad, à consonance nord-africaine, est adoptée définitivement par les Algériens au point de devenir une des leurs. Le miracle de la télévision moderne est là, d’une simple famille inconnue vivant aux fins fonds de la monarchie hachémite, on tente vainement, selon les dires de nos enfants, coûte que coûte de lui trouver des origines du côté de l’une des portes du Sahara, la ville de Biskra.

Les recettes de la réussite

La question fondamentale qu’il faudra reposer aux chargés de la communication : quelles sont les recettes de la réussite de Toyor Aljanah, qui est donc strictement familiale dans son fonctionnement, pour aboutir à cette audience incontestable en Algérie ? Elles sont, à mon avis, élémentaires. Ses fondateurs ont bien réfléchi sur la question avant de se lancer dans le champ médiatique où chaque centimètre de gagné est un véritable exploit. Ils usent de formules miroitantes, malgré les écarts de l’accent de leur langage par rapport au nôtre, pour titiller et comprendre les profondes motivations de nos bambins. Je vois des lecteurs me reprocher de faire l’apologie et la publicité gratuite dont ils n’ont aucunement besoin. Ils ont déjà fait leur trou en séduisant depuis longtemps les jeunes de 1 à 17 ans. La réalité est là, présente fortement devant nos yeux écarquillés et le visage ébahi. Après les adultes, maintenant c’est au tour, même de nos petits qui fuient les programmes de l’ENTV qui sont devenus, par la force du temps et de la modernité technique, obsolètes sur tous les plans. Est-ce qu’un quelconque sursaut est programmé pour demain ?

Les sms d’Algériens comme source de financement

Savez-vous comment cette TV est financée ? Tout simplement par nos compatriotes, eh oui par l’Algérie. Et pour cause, on voit sur cette chaîne d’innombrables sms défiler sur l’écran, envoyés à partir du pays. Tous les initiés savent que les chaînes de TV perçoivent de forts dividendes pour ces réceptions de messages courts. Ils sont écrits le plus souvent avec les lettres latines avec un style typiquement algérien. De temps à autre, ils sont exprimés carrément dans la langue de Voltaire et bizarrement sur une chaîne arabe. Les uns passent des voeux à leurs cousins habitant une contrée quelque part en Algérie, les autres souhaitent longue vie à la chaîne,... Tout transite par Amman ! Un véritable phénomène, à tel point que j’ai cru tout bonnement au départ que cette chaîne a élu domicile bonnement du côté d’Alger. Ce constat amer démontre de la façon la plus flagrante que suite à un manque évident de culture, nos petits sont allés rechercher ce qu’ils n’arrivent pas à dénicher chez soi. Sinon, comment expliquer que les sms viennent exclusivement de notre pays que des 21 autres pays arabes.

L’effet boomerang de la pub

L’accent du langage utilisé dans les chansonnettes des enfants s’identifie aux langues dialectales des pays du Scham. Si l’on continue de cette façon, les petits Algériens vont grandir en adultes Jordaniens dans quelque temps, s’ils ne le sont pas déjà devenus. Puisque les petits, les ados et les adultes citoyens la suivent du matin au soir, certaines entreprises alimentaires et d’autres produits de consommation algériennes ont vu une opportunité extraordinaire de toucher toute l’Algérie à moindres frais. Évidemment, elles utilisent la désormais notoire chaîne de Toyor Aljanah pour passer leur Pub. Ils se sont rendus compte qu’ils peuvent chatouiller le goût des Algériens beaucoup plus promptement et en grand nombre par l’effet boumerang. Pour une idée, c’en est vraiment une excellente trouvaille. De plus, les concepteurs de cette chaîne ont produit une chanson sur l’Algérie afin de fidéliser davantage le public algérien qui est sans doute plus qu’ému par ce réjouissant détour. L’emblème national est ainsi glorifié, le nationaliste et le patriotisme ne poseront plus aucun problème en étant réglés de la façon la plus intelligente par la compagnie de Mokdad and Co.

La rentabilité de Toyor Aljanah

Du reste, Toyor Aljanah s’est dotée d’un site Internet, d’ailleurs très visité où les Algériens sont toujours en grand nombre. On peut se rattraper pour commander les achats de produits dérivés commercialisés par la boutique de la chaîne. On en trouve beaucoup de cadeaux et de gadgets à acheter avec l’effigie des personnages du label Toyor Aljanah, créant ainsi une authentique marque déposée. Le marketing est très important pour cette start-up télévision. Comme vous le constatez, cette TV rentabilise au plus mieux son entreprise alors qu’elle n’utilise qu’un nombre restreint de personnes, en studios et en bureaux. Notre pauvre ENTV, qui est sur le terrain de l’audiovisuel depuis 1962, a beaucoup à apprendre des leçons d’économies préconisées, par cette chaîne désormais concurrente, basées justement sur des fondements commerciaux cohérents.

Les starlettes

En mois d’une année d’existence, les enfants choristes et en même temps acteurs de la chaîne, sont devenus de véritables starlettes nationales des Algériens. Après le nom de famille, c’est au tour des prénoms qui sont reconnus dans leurs moindres détails. La preuve, ils font des tournées dans le monde arabe mais c’est notre pays qui a accueilli leurs faveurs, acquis tous à la cause de cette chaîne. Beaucoup de nos progénitures étaient tristes de ne pas voir passer en concert les petites étoiles de Toyor Aljanah dans leur ville. Après Aljazeera, TF1, Al Arabia et autres pour les grands, revoilà Toyor Aljanah pour nos fistons et les chaînes égyptiennes et « Mohannad Â» le Turc pour les femmes. Que reste-t-il donc à notre média ? Peut-être les vieux et à un moindre degré des personnes rarissimes qui restent toujours nostalgiques en gardant le cap et l’espoir.

Mohammed Beghdad


09/03/2009
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