Le M’zab, urgence nationale

 

 

 
25 morts, selon le bilan provisoire

Le M’zab, urgence nationale

le 09.07.15 | 10h00

 
 

Ghardaïa continue à compter ses morts et ses blessés depuis les dernières 24 heures. Des sources concordantes retiennent le chiffre de 21 victimes dans la seule ville de Guerrara alors que la 22e est comptabilisée à Ghardaïa dans le quartier de Sidi Abbaz.

Au moment où le ministre de l’Intérieur arrivait à l’aéroport de Noumerate à la tète d’une importante délégation venue d’Alger, et qu’une cinquantaine de véhicules officiels soulevaient la poussière ambiante pour entrer au siège de la wilaya de Ghardaïa, en plein centre-ville, les rumeurs les plus folles circulaient à propos d’un nouveau bain de sang à Guerrara.

L’information est vite confirmée : après une nuit mouvementée, l’aube a été sanglante dans l’oasis d’Ahbas, une quinzaine de morts, tous tués avec des armes à feu. L’hôpital Docteur Tirichine de Sidi Abbaz est assailli de citoyens venus s’enquérir de la véracité du décès d’un parent, d’un voisin, d’une connaissance ou de l’état des victimes de la veille, on en dénombre quatre ayant succombé à leurs blessures hier matin, dont un adolescent de 15 ans, pendant que Guerrara faisait le bilan provisoire de sa nuit macabre.

Aucune source officielle n’a daigné confirmer le nombre de victimes, y compris la cellule de communication de la wilaya, celles de la Protection civile ou de la santé. Les téléphones sont bizarrement silencieux. Même topo du côté de la société civile.

Un silence triste et pesant dans cette ambiance de deuil général qui n’épargne ni les ibadites ni les malékites avec une propension tout de même constatée dans le deuxième camp. Dans la journée, une dépêche de l’agence officielle APS confirmait le nombre de 22 victimes, dont 19 à Guerrara.

Des renforts impuissants

C’est le bain de sang, sans métaphore aucune. Des hordes d’encagoulés sur de grosses motos sont signalées par certains témoins. D’autres s’accordent à parler de groupes extrêmement violents, munis d’armes à feu qui menacent de mort les habitants, les obligeant à quitter leurs habitations avant d’y mettre le feu.

«Aucune hésitation n’est tolérée, il faut quitter les lieux dans la minute, sans discuter, sinon c’est le carnage.» C’est dans ce contexte de fuite générale d’une population terrorisée que les habitants de Guerrara se sont vus confrontés à ce phénomène nouveau, où des bandes organisées sèment la terreur.

A Guerrara, on parle d’à peine 80 policiers chargés du maintien de l’ordre par rapport à une population nombreuse et une situation sécuritaire précaire.

Les policiers ont de plus été surpris par la quantité d’armes utilisées, ce qui les a poussés à se retirer  en attendant les renforts, qui sont venus, hier, et ont constaté l’ampleur de la catastrophe. Une cinquantaine de bus transportant des URS sont arrivés en milieu de matinée à Guerrara entre-temps, l’effet boule de neige en plein Sahara rend la situation plus difficile à contenir.

Femmes courage

Confrontées à la réalité du terrain, les populations du M’zab se terrent désormais. Des villes vidées de leurs habitants, des commerces fermés, des administrations en chômage, des édifices publics clos.

Le paysage est désolant, l’ambiance est lourde, exacerbée par la rumeur de nouvelles victimes, le bruit persistant des hélicoptères et les barricades à l’entrée des quartiers chauds.

C’est toutefois, la tombée de la nuit qui est la plus angoissante. «Jusqu’à quand allons-nous continuer à vivre ainsi dans la peur des lendemains incertains ?» «La complaisance et le laxisme des autorités sont flagrants.» Malgré une crise qui persiste depuis plus de deux ans dans sa phase la plus récente, les Ghardaouis n’en reviennent pas que «des assassins et des pyromanes continuent à circuler librement, brandissant des armes à feu en toute impunité».

La reprise en main de la situation sécuritaire devient une nécessité vitale, «personne ne comprend pourquoi les arrestations sont inefficaces, pourquoi la justice tarde à prendre en charge sérieusement ce dossier».

Le quotidien est dur à vivre. «Pour se rendre au travail chaque matin, cela dépend de la sécurité de la voie que nous empruntons et de l’état de la ville.» Nabiha, ingénieur, témoigne d’une confrontation quotidienne avec le danger de mort : «Ma collègue n’a pas pu venir ces derniers jours, vu qu’il y a des affrontements entre les habitants de Mélika et de Thenia.

Le mois sacré est une autre source d’inquiétude de se faire attaquer à tout moment chez soi.» Vont-ils venir nous attaquer ? Est-ce qu’ils vont nous laisser jeûner tranquillement et terminer ce mois ? Vont-ils nous gâcher l’Aïd ? Les voisines s’interrogent et se rassurent mutuellement invoquant la bienveillance divine. Comme beaucoup de femmes de Ghardaïa, et malgré l’état de guerre qui sévit dans la région, Nabiha s’est rendue à son travail ce 8 juillet. Bizarrement, «ce sont les hommes qui se sont absentés», dit-elle.

Et d’ajouter : «Tout ce que je peux vous dire, c’est que chaque jour, en sortant de chez-moi, ma mère me récite le Coran, elle me dit je te confie à Dieu il veillera, et en traversant le quartier, je récite Ayat El Koursi, dans la crainte de recevoir une pierre jetée d’une terrasse, un cocktail Molotov ou une balle perdue. On nous traite de rouaa, des bergers.»

Les voix des notables ne portent plus

Pendant ce temps, une rencontre à huis clos a réuni le ministre de l’Intérieur avec les notables du M’zab, chaque communauté à part dans le salon bleu de la wilaya. Alors que les Mozabites se sont rendus en terrain conquis au bureau de Dadi Addoun Omar, président de l’APW de Ghardaïa, les Chaâmba ont attendu dans la salle de réunion leur tour.

Rien n’a filtré sur le contenu de la rencontre, ni sur les mesures prises au lendemain de l’installation de la commission interministérielle chargée de l’examen des voies et moyens à même de maîtriser la situation à Ghardaïa. Elle n’a visiblement pas pu éviter cette escalade ahurissante de violence ayant fait 25 morts, selon le bilan provisoire recoupé grâce aux sources médicales.

D’aucuns pensent que l’actuel ministre de l’Intérieur réitère les mêmes erreurs qui ont conduit à l’envenimation de la situation et à la défaillance flagrante des dispositifs de sécurité déclenchés depuis le début de la crise. «Les délégués de la société civile choisis par l’administration ne représentent personne en fait, ce sont des notables autoproclamés que personne n’écoute.» Preuve en est l’inefficacité de leurs démarches et la persistance des troubles.

Houria Alioua


21/09/2015
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