Le Roi Livre
- lundi 9 novembre 200
Le Roi Livre : Choses vues
« Jadis, on nous vola nos noms. D’estampilles humiliantes on oblitéra nos noms de vérité. Sentez-vous la douleur d’un homme de ne savoir pas de quel nom il s’appelle ? A quoi son nom l’appelle ? » « De noms de gloire je veux couvrir vos noms d’esclaves, de noms d’orgueil nos noms d’infamie, de noms de rachat nos noms d’orphelins. »
Aimé Césaire. Le Roi Christophe
Le Salon du livre, malgré des perturbations de toutes sortes, a tenu ses promesses : on peut remercier les organisateurs d’avoir tenu tête et d’avoir concrétisé cette belle utopie. Il s’est tenu : le rituel est sauf. L’Algérie, à l’instar des autres capitales, a son Salon du livre comme elle a son Salon de l’automobile, comme elle aura, si Dieu veut et si les promesses sont tenues, son métro, un vrai métro
Pour ce qui est du contenu et de l’intensité de cet apport aux Algériens, c’est une autre histoire. J’ai constaté une absence de flammes. Il me semble que les éditeurs ont assuré le minimum syndical sans état d’âme. J’ai vu des gens déambuler et des stands vides ; bref ce n’est pas la grande foule, notamment chez les éditeurs à production majoritairement francophone. J’ai vu beaucoup de jeunes s’intéresser aux fascicules pour enfants, mais généralement sans acheter d’ouvrages. Par contre, les stands qui font dans le « Livre religieux » ne désemplissaient pas ! Faut-il s’en réjouir ou s’en affliger. Cet engouement apparent pour le sacré sera-t-il durablement structurel ou est-il un phénomène passager ? Il existe comme une frontière invisible entre le sacré et le profane, entre le livre en langue arabe et le livre en français. La frontière n’est pas entre ceux qui lisent et les autres, elle est entre deux idéologies, deux modes de vie. A tort ou à raison c’est selon, les livres en français rappellent pour les arabisants la colonisation de la France, l’ennemi et, par voie de conséquence, l’adversaire de l’intérieur représenté par les francophones.
Un clivage entretenu
Force est de constater que près de cinquante ans après l’Indépendance, le clivage est savamment entretenu pour le plus grand malheur de la nation algérienne qui se cherche encore. Il n’est que de voir comment chaque camp mobilise -sans le dire- ses troupes constituées d’un côté par les francophones qui ont choisi -et on les comprend de le faire- de vivre en France mais d’exister en Algérie à travers justement cette doxa qui veut que tout ce qui vient de l’extérieur est meilleur que ce qui existe ici. Du côté des arabophones, c’est la même chose : on s’accroche à une métropole moyen-orientale dont on se sent plus proche que de ses propres concitoyens. L’Algérie de 2009 ne s’est pas encore réconciliée avec elle-même et le thème de l’identité nationale exploité pour des manoeuvres électoralistes en France, devrait chez nous, être une préoccupation de nos dirigeants...
On continue encore à les encenser outre mesure au détriment de ceux qui, à demeure, entretiennent fébrilement la flamme du savoir mais n’ont pas les relais médiatiques pour exister. C’est un fait, la réputation d’un auteur en Algérie n’est pas dans l’absolu, indexé sur son apport, sa singularité, bref son génie, mais en grande partie sur ses relais. Le fait de vivre en France, par exemple, confère à son auteur une aura réelle ou supposée qui brouille la valeur intrinsèque de l’individu. On en vient alors à publier en Algérie - c’est pas cher mais à vivre en France. Quant au fil des Salons on fait l’apologie des mêmes sans qu’il n’y ait réellement du nouveau, il y a danger de sclérose et surtout de découragement.
La désaffection pour la lecture est due en grande partie à l’inaccessibilité du livre du fait de son prix. En fait, il n’y a pas, au sens où nous l’entendons, de politique du livre. Il est vrai qu’un Algérien est plus d’accord pour acheter une carte téléphonique que pour acheter un livre. Nous devons cela naturellement à l’éducation, ceci est un autre débat. Pour en revenir au Livre, il n’y a pas d’après nous cette soif de lecture qui fait qu’on lit partout. L’Irak, un pays cultivé et qui a été démoli, est un exemple pour le monde arabe. On dit que les « Livres sont conçus en Egypte, édités au Liban et lus en Irak ».
Dans notre pays, il n’y a pas une volonté réelle de faire bouger les choses. Il n’y a pas de politiques d’encouragement des éditeurs et des auteurs, au contraire, n’importe quel livre -surtout dans le domaine scientifique- promis au pilon dans le pays d’origine, est vendu en Algérie avec le label « Made in... ». Pendant ce temps-là , les éditeurs galèrent pour créer de leur propre main un Livre avec le maquis des taxes lourdes dont sont dispensés, curieusement, les importateurs. Comment voulons-nous encourager la production intellectuelle si on ne donne pas les moyens aux éditeurs qui produisent in situ ? Nous produisons environ 1000 titres par an. C’est dérisoire ! Dans les pays culturellement développés, ce sont des dizaines de milliers de titres produits à des dizaines de milliers d’exemplaires. Ici l’édition ne dépasse rarement les 2000 à 3000 exemplaires. Imaginons pour fixer les idées que les 800 milliards dépensés pour le Festival panafricain l’aient été pour booster le livre. Nous avons plus de 1500 communes. L’Etat peut décider à fond perdu de doter chaque commune d’une grande bibliothèque en lui attribuant 10 exemplaires de chaque ouvrage édité. Imaginez le poumon que cela sera pour l’édition algérienne ! La politique de diffusion de la connaissance est naturellement aussi du ressort des communes qui se doivent d’avoir un plan d’épanouissement culturel multiforme. Avec l’argent du Panaf, nous augmenterons la capacité culturelle du pays de dizaines de millions d’ouvrages chaque année, on parlera alors de société cultivée. Il faut naturellement que l’école fasse aimer le livre à l’enfant. La responsabilité de l’Education est totale.
Dany Boone, interrogé un jour sur la lecture, affirmait que personne ne l’avait informé qu’il fallait aller à la ligne quand la ligne était terminée, il s’étonnait alors de ne pas comprendre le sens du texte puisqu’il lisait sur la page suivante à la même ligne...Plus sérieusement, on peut définir la lecture comme l’activité de déchiffrement et de compréhension d’une information écrite. C’est aussi et surtout une porte d’accès privilégiée à la culture. La meilleure façon de partager le bonheur de lire dit-on, est de faire la lecture aux élèves, non comme une récompense mais comme un rituel. Un livre renferme, une fois lu, trois histoires : l’histoire de l’auteur, celle du prescripteur, et celle du lecteur. Ces trois histoires peuvent se ressembler, jamais se confondre. La lecture nous permet de nous évader, nous autorise le « partout » et le « toujours » alors que notre existence est soumise au « ici » et au « maintenant ». Les enfants sont capables de lire des choses difficiles qu’ils ne comprennent pas immédiatement. Si on les prive de cet effort-là , en leur donnant seulement des choses faciles, très « sucrées », on les coupe de ce matériau qui travaille sur la longue distance. La littérature ouvre à l’infini cette possibilité d’interaction avec les autres et nous enrichit donc infiniment.
Qu’est-ce que la lecture ?
Pour Milan Kundera, le roman n’examine pas la réalité mais l’existence. Et l’existence n’est pas ce qui s’est passé, l’existence est le champ des possibilités humaines. Au fond, s’interroge Jorge Luis Borges : qu’est-ce qu’un livre si nous ne l’ouvrons pas ? Un simple cube de papier et de cuir avec des feuilles ; mais si nous le lisons, il se passe quelque chose d’étrange, je crois qu’il change à chaque fois. Mieux encore, pour Hubert Nyssen, il y a une musique à entendre en lisant. (1) Pour [...] on a beau le saisir par les yeux, un texte reste lettre morte « si on ne l’entend pas ». Lire, c’est d’abord [...] donner - ou plutôt restituer - au texte sa dimension musicale. [...] toute littérature est traduction. Et traduction à son tour, la lecture que l’on en fait...D’où cet autre sentiment selon lequel on n’en aura jamais fini avec les textes que l’on aime, car ils rebondissent d’interprétation en interprétation...(2)
« Rappelez-vous tout simplement, écrit Paul Valéry, comme les Lettres s’introduisent dans notre Vie. Dans l’âge le plus tendre, à peine cesse-t-on de nous chanter la chanson qui fait le nouveau-né sourire et s’endormir, l’ère des contes s’ouvre. L’enfant les boit comme il buvait son lait. Il exige la suite et la répétition des merveille ; il est un public impitoyable et excellent. Dieu sait que d’heures j’ai perdues pour abreuver de magiciens, de monstres, de pirates et de fées, des petits qui criaient : Encore ! à leur père épuisé !... Mais enfin, le temps vient que l’on sait lire, - événement capital -, le troisième événement capital de notre vie. Le premier fut d’apprendre à voir ; le second, d’apprendre à marcher ; le troisième est celui-ci, la lecture, et nous voici en possession du trésor de l’esprit universel. »(3)
« Bientôt nous sommes captifs de la lecture, enchaînés par la facilité qu’elle nous offre de connaître, d’épouser sans effort quantité de destins extraordinaires, d’éprouver des sensations puissantes par l’esprit, de courir des aventures prodigieuses et sans conséquence, d’agir sans agir, de former enfin des pensées plus belles et plus profondes que les nôtres et qui ne nous coûtent presque rien ; - et, en somme, d’ajouter une infinité d’émotions, d’expériences fictives, de remarques qui ne sont pas de nous, à ce que nous sommes et à ce que nous pouvons être... »(3) « De même que, sous le sommeil, il arrive, dit-on, que nous croyons vivre toute une existence, cependant que l’horloge ne compte que quelques secondes, - ainsi, par l’artifice de la lecture, il se peut qu’une heure nous fasse épuiser toute une vie ; ou bien, par l’opération mystérieuse d’un poème, quelques instants qui eussent été sans lui des instants sans valeur, tout insignifiants, se changent en une durée merveilleusement mesurée et ornée, qui devient un joyau de notre âme ; et parfois, une sorte de formule magique, un talisman -, que conserve en soi notre coeur, et qu’il représente à notre pensée dans les moments d’émotion ou d’enchantement où elle ne se trouve pas d’expression assez pure ou assez puissante de ce qui l’élève ou l’emporte. »(3)
Ce beau texte me rappelle une obligation que nous avions à « l’Ecole », c’est de lire un livre par mois que nous devions résumer et lire à nos camarades dans la séance de lecture. Il est vrai que nos instituteurs avaient le goût des livres. J’ai le souvenir d’un maître qui nous lisait des histoires aussi incompréhensibles que merveilleuses, nous tenait en haleine et c’était pour lui un moyen radical de ramener le calme dans la classe. Nous étions tellement transportés par l’imagination, que nous prenions part dans le récit. Le lecteur idéal ne reconstruit pas une histoire ; il la recrée. Le lecteur idéal ne suit pas une histoire : il y participe.
1.Jorge Luis Borges, Conférences, Ed. Gallimard, Folio Essais, 1985
2. Hubert Nyssen : http://www.gilles-jobin.org/citations/index.php?P=n&au=374
3.Paul Valéry, Discours prononcé à la maison d’éducation de la Légion d’Honneur de Saint-Denis (1932), in Oeuvres, t. 1, Gallimard, Pléiade, p. 1421-1422
Par chems eddine Chitour (xxx.xxx.xxx.65) 7 novembre 10:13
Prof.Chems Eddine Chitour
Par chems eddine Chitour (xxx.xxx.xxx.65) 7 novembre 10:13
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