Le show Business, monde ........impitoyable

 

Le show Business, monde impitoyable


Le show Business, ce monde impitoyable
Le 12/10/2006 à 7 h 00 - par Anna Topaloff

Un monde de strass et de paillettes où il n'est souvent question que de gros sous. Un monde où tous les coups sont permis, quitte à sacrifier les droits des salariés et à piétiner les rêves des artistes pour continuer à alimenter l'usine à illusions. Enquête.



Autrefois, le destin des têtes couronnées passionnait les foules. Aujourd'hui, les petites filles préfèrent s'imaginer en Jenifer ou Lorie. Leurs mères fantasment sur les toilettes des stars montant les marches du Festival de Cannes. Leurs grands frères se voient déjà répondre habilement aux questions pièges de Marc-Olivier Fogiel. Nuits blanches dans les endroits les plus chics de la capitale, voyages tous frais payés à l'île Maurice, dîners mondains avec les people les plus en vue, des pluies de cadeaux et des centaines d'autographes à signer. Un monde de strass, de paillettes et d'éclats de rire. Une planète dont tous les habitants sont beaux, riches, talentueux et amis pour la vie. Un astre qui illumine le commun des mortels, lui permet d'oublier, le temps d'un « show », la banalité de leur existence. Mais, comme son nom l'indique, le « show-biz » est avant tout une affaire de « biz » de business, donc de gros sous. Quelques chiffres. TF1, pour le premier semestre 2006, a réalisé un chiffre d'affaires de près de 1,4 milliard d'euros. Beaucoup, beaucoup moins que Renault ou Total, mais quand même, la valeur de 9 000 Ferrari 430, le plus petit modèle. Les résultats, autrement dit les bénéfices, sont un peu en baisse, mais, enfin, ça va. On en tirera bien 7 % du chiffre d'affaires. Universal Music Group, la gigantesque maison de disques a, elle, sur la même période brassé 1 125 milliards d'euros, en augmentation de 8,5 % par rapport à l'année dernière et la firme a doublé son résultat. Et on dit que le piratage les coule.

Mais les plus malins, ce sont quand même les producteurs d'émission. Là où se marient spectacles, musique, chanteurs, vedettes en tout genre, le tout cerné ou entrecoupé de juteuses minutes de publicité. La société de production Endemol, par exemple, a, elle, réalisé au premier semestre 2006 un chiffre d'affaires de 516,6 millions d'euros ; 22 % de mieux que l'année dernière. Petit, au regard de celui d'une chaîne, mais drôlement rentable : le résultat d'exploitation atteint 87,2 millions d'euros, 17 % du chiffre d'affaires. On se dirait presque que Telefonica, qui a racheté Endemol à Arthur et à Stéphane Courbit pour seulement 200 millions d'euros chacun, aurait été un peu pingre. Car ce sont les émissions d'Arthur qui génèrent le plus gros chiffre publicitaire de la télé. Bien sûr, dans ces affaires-là aussi, ce sont les dirigeants les mieux lotis. Pascal Nègre, PDG d'Universal, avoue 83 330 € mensuels, mais il oublie bonus et intéressement. Comme Jean-Luc Delarue qui déclare 37 000 € par mois sans évoquer les dividendes qu'il touche de sa société de production Réservoir Prod. Quand à un « simple » animateur comme Benjamin Castaldi, il reçoit 45 000 € de TF1par mois et 30 000 € par émission en prime time. Facile de multiplier les exemples.

Mais, on l'a compris, il y a trop d'argent à prendre pour que la compétition ne soit pas féroce, et tous les mauvais coups sont permis. Rappelons-le-nous, en 2001, Endemol, encore, invente la téléréalité et « Loft Story ». TF1 est intéressée, mais c'est la plus rapide, M6, qui signe. Fureur de Patrick Le Lay qui accuse Nicolas de Tavernost de « proxénétisme », prenant le CSA à témoin de cette « télé-poubelle » et de ses « sous-produits pornographiques ». Ce qui ne l'empêchera pas de produire « L'île de la tentation ». Et de manigancer, récemment, à propos de la Coupe du monde de foot, un autre mauvais coup contre M6 qui avait, avec lui, acheté les droits de retransmission. En douce, le président de TF1 en a revendu 5 % à Canal +. Décidément, on ne se fait pas de cadeau. Car les genres se mélangent avec bonheur pour augmenter les chiffres d'affaires, donc les bénéfices.

Télévision et musique par exemple. Pour vendre leurs disques, les majors ont besoin de la publicité télévisée offerte à leurs chanteurs dans toute sorte d'émissions. Et, pour continuer à rémunérer généreusement ses vedettes et ses actionnaires, la télévision a besoin des recettes issues de la publicité. Depuis une loi de 1968, le cinéma et le spectacle vivant ont interdiction de diffuser des spots publicitaires à la télévision. En 1988, sous la pression des professionnels du disque, les parlementaires ont cédé. « Le secteur du disque a, du coup, énormément investi dans la pub télé. Son cœur de cible est les 12-24 ans, une catégorie de la population qui figure parmi les plus gros consommateurs de télévision. Pour capter leur attention, il est indispensable d'être présent », explique Stéphane Martin, directeur délégué du Syndicat national de la publicité télévisée. Et les annonceurs n'hésitent pas à y mettre le prix : 10 000 € en moyenne pour un spot de vingt secondes. Un tarif qui grimpe avec les taux d'audience des émissions. Lors de la finale France-Italie de la Coupe du monde de football, en juillet dernier, les vingt secondes étaient facturées 250 000 € ! « Un record », rappelle Stéphane Martin. Et d'ajouter : « Plus il y a d'Audimat, plus c'est cher. Donc, ce qui rapporte le plus à la chaîne, en termes de recettes publicitaires, ce sont les documentaires événements, les films inédits à la télévision, le tout dernier épisode de "Julie Lescaut" et les finales d'émissions de téléréalité comme la "Star Academy". » Avec 8 millions de téléspectateurs, dont une grande majorité de jeunes, on n'ose imaginer ce que les maisons de disques sont invitées à payer pour passer leurs spots pendant la dernière coupure de la « Star Ac ». En 2005, l'ensemble des chaînes françaises a gagné, grâce à la publicité, 5,5 milliards d'euros !

Avec de telles sommes à la clé, pas étonnant que seule compte la course à l'Audimat. Du côté des maisons de disques, il n'est pas étonnant non plus que les dépenses promotionnelles soient concentrées sur les artistes qui vendent le plus. A cela, il faut rappeler le contexte de la crise du disque qui, au niveau mondial, a fait perdre 5 milliards de dollars aux professionnels de la musique. Les responsables des maisons de disques sentent que leurs jours sont comptés et, à défaut de sauver les meubles, tentent de sauver leur peau. D'abord, en taillant dans la masse salariale. Ensuite, en sacrifiant la qualité artistique sur l'autel de la rentabilité. Les artistes sont contraints de se plier aux diktats de la « tendance du marché » et disposent de moins en moins de liberté dans la conception de leur projet. Le tribunal des prud'hommes a même dû, dès 1997, résilier pour la première fois un contrat qui liait le rappeur MC Solaar à Universal et a obligé cette dernière à rendre au chanteur les droits sur ses chansons, pour « non-respect de la liberté de créer ». Les relations se sont encore durcies quand les majors ont lancé un vaste plan d'« écrémage » de leur catalogue. EMI, Universal, Warner, BMG, toutes ont pris la décision de ne pas renouveler les contrats des artistes les moins rentables, ceux qui n'atteignaient pas 100 000 exemplaires vendus. En France, plus de 150 artistes connus et respectés se sont retrouvés sans « maison de production fixe ». Une situation inédite dont Alain Chamfort, mis sur la touche par EMI en 2004, a fait les frais. Si elles en sont les victimes, les maisons de disques sont aussi responsables de cette situation.

Car le piratage n'est pas seul en cause. « Si le disque se vend moins bien, c'est le résultat d'une politique de producteurs sans scrupule qui l'ont tué en mettant uniquement en avant des disques faciles, superficiels, et des artistes fédérateurs », écrit le journaliste Hubert Allin dans son livre, Musique business (1). Et ce n'est pas Corinne Rousset qui dira le contraire. Aujourd'hui professeur de danse orientale, elle a travaillé sept ans dans une importante maison de disques. Dans un livre passionnant (2), elle raconte les coulisses de Trash Music, « un petit label qui a été racheté par un plus gros, le plus gros par une major et la major par une firme internationale ». On y découvre des producteurs incultes, obsédés par l'argent, qu'ils comptent d'ailleurs en « keur » pour « kiloeuros », et prêts à user de tous les moyens pour rafler la mise. Une jeune chanteuse à succès sera sur le point d'accoucher lors du tournage d'une émission à forte audience ? « De nos jours, ça se déclenche, ce genre de chose, non ? » s'interroge sérieusement son producteur. Les ventes d'un album s'essoufflent ? « Le groupe enregistre une nouvelle chanson qui sera ajoutée aux autres titres de l'album, au mépris des malheureux acheteurs de la première heure à qui il manquera désormais un titre », explique la narratrice. Les caisses de l'entreprise sont vides ? Une comédie musicale est mise sur pied en quelques semaines. « Il suffit de trouver un thème porteur, un compositeur émérite ayant déjà fait état de ses talents dans la composition de singles formatés jeune, une sorte d'ingénieur-technicien du tube, capable d'en pondre une bonne demi-douzaine en un temps record. […] Reste encore à sélectionner les interprètes, mais ce détail est vite réglé : nos nombreuses émissions de télé "découvreuses de talent" constituent une manne inépuisable », raconte-t-elle.

« Inépuisable » parce que la grande majorité des habitants de la planète Showbiz n'y réside qu'à titre provisoire. Un monde cruel qui a de la mémoire : il est des étiquettes qui ne se décollent pas facilement. La chanteuse Olivia Ruiz se souvient encore avec émotion des « dégage, Star Ac ! » qui l'accueillaient quand elle entrait sur la scène de ses premiers concerts solo. Quant à François Corbier, ancien animateur du « Club Dorothée » aujourd'hui auteur-compositeur- interprète de plusieurs albums, il peine à être pris au sérieux par la profession. « J'ai été victime d'un mépris inimaginable. Catalogué "amuseur d'enfants". Les journaux musicaux ont toujours refusé de parler de mes disques. Avoir fait rire les enfants ne mérite pas un tel traitement », s'insurge-t-il.

Mais le show-biz ne s'encombre pas de morale ou de sentiment. Et ce, pour le plus grand bonheur des lecteurs des magazines people. Pour exister, le showbiz a besoin de se montrer et, comme le confie Marie (3), agente pour de nombreuses jeunes actrices, « une photo dans un magazine avec le doigt dans le nez, ce n'est pas très valorisant sur le moment, mais, au moins, ça fait parler de la fille ! » La célébrité n'a pas de prix.

(1) Music Business, d'Hubet Allin, City Editions, 2004.
(2) Ils ont changé ma chanson, de Corinne Rousset,
Stock, 2004.
(3) Le prénom a été changé
                                                                                                 

 
 
 
 
 
 
 

 

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12/10/2006
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