LES COMMANDOS AMÉRICAINS RACONTENT ;
LES COMMANDOS AMÉRICAINS RACONTENT
L’audition des membres du commando américain qui a mené dans la nuit de dimanche à lundi le raid contre la résidence d’Oussama Ben Laden à Abbottabad (Pakistan), au nord d’Islamabad, a permis de préciser le déroulement de l’intervention: en pleine nuit, plusieurs hélicoptères transportant 79 membres d’un commando américain, essentiellement des Navy Seals, approchent de la résidence d’Oussama Ben Laden après avoir volé en dessous de la couverture radar depuis un lieu non précisé. Deux hélicoptères libèrent près d’une trentaine d’entre eux dans l’enceinte de la résidence, dont les murs extérieurs surmontés de barbelés atteignent jusqu’à 5,5 mètres. (c) L'Expression |
A Abbottabad on s'indigne moins pour Ben Laden que de l'"agression" américaine
le 06.05.11 | 09h20
Cinq jours après le raid américain fatal à Oussama Ben Laden, les Pakistanais d'Abbottabad se disent "écoeurés" par leur armée. Non parce qu'elle n'a pas su repérer le chef d'Al-Qaïda, mais parce qu'elle a permis une "agression" américaine au coeur de leur ville-garnison.
Ces dernières années, Sardar Amir, 35 ans, faisait paisiblement chaque soir une petite promenade à travers Bilal Town, en passant le long du champ qui borde une bâtisse blanche de trois étages entourée de hauts murs de béton.
Dans ce quartier cossu d'Abbottabad, ville-garnison nichée au pied des montagnes du nord, à deux heures de route d'Islamabad, il profitait du privilège rare d'habiter une ville épargnée par les violences qui ensanglantent régulièrement le reste du pays.
Mais dimanche soir, il a perdu ses illusions.
Dans la nuit, un commando de 79 soldats d'élite américains à bord de quatre hélicoptères a pris d'assaut la maison et y a tué l'homme le plus recherché du monde, Oussama Ben Laden, ainsi que l'un de ses fils et deux émissaires. A moins de deux kilomètres de la prestigieuse académie militaire de Kakul, et dans une ville qui compte au total au moins 5.000 soldats ou cadets.
Sardar ne le digère pas. "Je suis écoeuré, en colère contre l'armée, les services secrets, le gouvernement. A quoi ça sert d'avoir tous ces camps militaires ici ?", peste-t-il.
Dans la nuit de dimanche à lundi, l'armée a mis plus d'une heure à arriver sur le site, laissant le temps aux Américains de mener leur raid éclair et de partir.
"Cette histoire est une honte pour nous. Notre armée aurait du abattre les hélicoptères américains", abonde Tahirullah, un étudiant en médecine de 23 ans. Camarade de classe de Tahirullah, Yakat Hussein ne pleurera pas Ben Laden, un allié des talibans pakistanais, dont les innombrables attentats suicide ont tué plus de 4.200 personnes dans le pays en moins de quatre ans.
"Mais l'armée pakistanaise aurait dû l'arrêter avant", souligne-t-il.
Les Etats-Unis ont avoué sans fard avoir mené cette opération sans en informer Islamabad pour pas que le Pakistan, souvent accusé de jouer double jeu avec les islamistes, n'alerte le chef d'Al-Qaïda. Washington le fait déjà depuis plusieurs années avec ses tirs de drones contre Al-Qaïda et les talibans dans les zones tribales reculées du nord-ouest.
Mais à Abbottabad, on juge que les Américains ont été trop loin en osant envoyer un commando au coeur de cette ville symbole de la puissance de l'armée pakistanaise, considérée comme le seul véritable pouvoir d'un pays obsédé par sa sécurité et celle de ses installations militaires et nucléaires.
Sardar n'a plus confiance en son armée: "Si les Américains sont venus attaquer ici, ils peuvent le faire n'importe où".
Les regards se tournent notamment vers l'état-major, soupçonné d'avoir laissé faire pour ne pas froisser Washington, dont les milliards de dollars d'aide maintiennent le pays et ses troupes à flot.
Le doute assaille jusqu'aux soldats de base. "Nous n'étions au courant ni de la présence de Ben Laden ici, ni de l'opération américaine", jure sous couvert d'anonymat une jeune recrue de 25 ans. Puis, il précise à voix basse: "Mais peut-être certains l'étaient-ils, tout en haut". "Si Ben Laden était vraiment ici, alors nos leaders auraient dû le savoir", glisse un autre jeune soldat, sous couvert d'anonymat. "Je ne sais que penser, tout cela est bien étrange", dit le soldat Jawed Khan, chargé de veiller sur la désormais célèbre maison d'"Oussama".
Après quatre jours de mutisme, l'armée pakistanaise est finalement sortie de son silence jeudi soir, admettant des "insuffisances" dans la collecte de renseignements sur la localisation de Ben Laden, et menaçant de revoir sa coopération avec Washington en cas de nouveau raid américain de ce type.
Vendredi matin, un SMS en provenance de Lahore (est) circulait parmi les journalistes pakistanais à Abbottabad. Il disait: "Chers compatriotes, cessez d'avoir peur, cessez de mendier auprès des Américains. Si vous voulez sauver le Pakistan, arrêtez de les aider".