L’islam permet-il de battre les femmes ?
L’islam permet-il de battre les femmes ?
le 08.03.15 | 10h00
Par Nabila Amara
Maître assistante à la faculté de droit
(université de Tizi Ouzou)
Le comportement lamentable à l’égard des femmes semble trouver dans les sociétés musulmanes une justification et non des moindres : le religieux. Une allégation aussi grave mérite pourtant une halte. Seule une recherche académique nous éclairera. Alors de quoi il s’agit ? Il existe en effet un texte du Coran qui dit : «Frappez-les»(1). Mais attention, chaque texte a son contexte.
Ainsi, selon les foukaha, nous sommes dans la perspective d’un conflit et d’un divorce. Et surtout que le problème puise ses sources du comportement négatif de l’épouse, plus exactement d’une «insurrection non motivée» que le texte coranique appelle «nouchouz» tiré du verbe «nachaza», qui signifie «dévier».
Il ne s’agit donc pas d’un mari capricieux qui fait la pluie et le beau temps, mais d’une épouse qui est dans son tort. Alors appelant, d’une part, cette épouse à cesser de nuire et dissuadant, d’autre part, l’époux d’entreprendre le divorce, le Coran prévoit, au contraire, le dialogue et la compréhension. Il dit : «Conseillez-les» (maw’idha).
La terminologie n’est pas fortuite : les doctes insistent sur le ton affectueux du «conseil» et du dialogue, écartant la violence verbale de l’«admonition». Et si le dialogue ne porte pas ses fruits, ledit texte suggère de «ne pas partager sa couche». Cette attitude n’a pour but que de faire comprendre à l’épouse qu’elle est dans son tort.
Ceci dit, les foukaha insistent sur le fait que l’éloignement se fait à l’abri des regards des enfants et des étrangers, car il n’est pas question d’humilier la femme, et surtout qu’il ne doit pas dépasser quatre mois (La Génisse, v.226). Passé ce délai, cette attitude attentatoire aux droits de la femme constituera l’infraction dite «ilâ’e» générant le droit de l’épouse à obtenir le divorce aux torts du mari. La loi n° 84/11 du 09/07/1984, portant code de la famille, modifiée et complétée, y fait référence à travers l’article 53(2).
Mais si cela n’arrange pas les choses non plus, alors «frappez-les». Le temps semble s’arrêter ici. Un séisme moral ! Mais que veut dire «frappez-les» ? Le maître incontestable de l’exégèse, Ibn Abbas, viendra nous surprendre avec un autre séisme : «C’est avec le siwak !»(3) Or, le «siwak» ou Salvadora Persica(4) est une malheureuse brindille beaucoup moins haute qu’un crayon servant à se nettoyer les dents et fortifier la gencive.
Bref, une mini-brosse à dent, que le Prophète, «Que le Salut Soit Sur Lui», exhiba effectivement en guise de réponse, frappant ainsi de plein fouet toutes les conceptions bellicistes. Edifiant ! Il ne serait pas venu à l’esprit de qui que ce soit de battre quelqu’un avec une brosse à dent ! ça n’a pas de sens si ce n’est que relevant de la plaisanterie!
La thèse de la violence dans la fameuse «correction de l’épouse» souvent brandie s’écroule comme un château de cartes avec cette interprétation faisant elle seule autorité. Mais d’où vient cette exégèse ? La vérité est que le mot «frapper» est dénué du sens foncier du «coup», car c’est la symbolique du geste qu’on retient et non le «coup» au sens foncier.
D’ailleurs, le Noble Coran mettra à notre disposition d’autres preuves se rapportant au verbe «frapper», mais toujours dénué du sens foncier du «coup» : «Frappe le rocher avec ton bâton. Et tout d’un coup, douze sources en jaillirent…» (La Génisse, v.60). «Frappe la mer avec ton bâton. Elle se fendit alors, et chaque versant fut comme une énorme montagne» (Les Poètes, v.63). On convient que tous les coups portés à un rocher ne sauraient y faire jaillir de l’eau.
Aussi ne pourrait-on pas frapper la mer ! Mais il s’agit là de la symbolique du geste et non de sa teneur foncière. On ne bat pas les femmes en islam ! «Montrez-vous convenables envers elles durant la vie commune» (Les Femmes, v.19). Les hadiths du Prophète (QSSSL) viendront confirmer ces fondamentaux : «Ne frappez-pas les odalisques de Dieu !»(5) Tous les hadiths se rapportant aux femmes sont aux antipodes de la violence : «Le meilleur d’entre vous est celui qui est bon envers sa femme !»(6) «Celui qui honore les femmes ne peut être que noble, celui qui les humilie ne peut être que vil». «O Aïcha ! Dieu est certainement doux et aime la douceur.
Il donne par la voie de la douceur ce qu’il ne donne pas par la voie de la violence, ni d’ailleurs par une quelconque autre voie».(7) Le Messager ira même jusqu’à comparer la femme au cristal (kawârîr), disant un jour au jeune Anjacha, le conducteur des montures des femmes : «Malheur à toi Anjacha, ne brise pas le cristal !»(8) Question : si la violence à l’égard des femmes était admise dans le Coran, comment se fait-il que le Prophète, qui est le plus à même et le plus fondé à le mettre en œuvre, n’ait jamais levé la main sur une femme ?(9) Il s’interrogera au contraire sur l’irrationalité même de la chose : «Comment l’un de vous peut recourir à la violence contre sa femme comme se ferait fouetter l’esclave, alors même qu’il pourrait avoir des rapports intimes avec elle en fin de journée ?»(10)
Bien plus, il est recommandé d’endurer les affres de son épouse fût-elle dans son tort, car d’après un hadith : «L’homme qui endure le mauvais caractère de sa femme, Dieu lui rétribuera une récompense égale à celle qu’il a donnée à Loth qui endura ses malheurs.» L’anecdote qui suit se fera l’écho du principe : on raconte qu’un jour, un homme vint trouver le calife Omar pour se plaindre du mauvais caractère de sa femme.
Se tenant devant la porte du calife l’attendant, il entendit une femme adresser au chef de la communauté des paroles des plus inconvenables, alors que Omar resta silencieux. Ebahi, l’homme tourna alors les talons et dit au fond de lui : si c’est le cas de Omar qui est plein de vigueur, de fermeté, lui le Prince des Croyants, quel sera alors le mien ? Il rebroussa chemin. Omar ouvrit alors la porte : «Ô
homme ! Quel est ton problème ?» - «Ô Prince des Croyants ! Je suis venu me plaindre auprès de toi contre le mauvais caractère de ma femme, et comme je viens d’entendre ta femme t’adresser de tels propos, je me suis dit au fond de moi : si c’est le cas de Omar, le Prince des Croyants avec sa femme, quel sera alors le mien ? Et j’ai décidé de retourner chez moi».
Et le calife de répondre : «ô frère ! si j’étais patient envers ma femme, c’était grâce à ses droits, car elle prépare mes repas, pétrit mon pain, lave mes habits, allaite mes enfants... et tout ceci ne lui incombe point, et puis mon cœur s’apaise auprès d’elle contre l’illicite. C’est pour cela que je la supporte. Sois patient envers elle mon frère, notre vie dans ce monde ne dure que peu de temps !»(11) Parler des droits de la femme en ce VIIe siècle et en plein désert relevait à l’époque de la révolution !
Violence et tâches ménagères : la violence est parfois justifiée par «le mauvais accomplissement des tâches ménagères». Qu’en est-il juridiquement ? Selon les ténors du droit musulman, à savoir Mâlek le fondateur de l’école malékite, Chaféi de l’école chaféite, et Abou Hanifa de la Hanafite, il n’incombe pas à la femme de servir son mari et d’accomplir les tâches ménagères, car selon eux le contrat de mariage suppose la jouissance et non le service, et si les hommes ont la kawama sur les femmes, ceci signifie que c’est à eux de servir la femme et non le
contraire.(12) Violence sexuelle : il ne s’agit pas ici des rapports forcés, mais d’une autre forme de violence qui consiste au contraire à priver l’épouse d’une vie conjugale «normale», et ce, dans le but de lui nuire. Deux procédés humiliants sont alors interdits : le «ilâ’e» consistant en l’action de faire «serment de privation d’avoir tout rapport sexuel avec son épouse, dans le but de lui nuire» et le «dhihâr», soit considérer son épouse «tel le dos de ma mère !» sous-entendant qu’elle est «indésirable».
Violence successorale : à dire vrai, l’inégalité successorale souvent décriée n’est que de façade. Car s’il est des cas où la femme recueille la moitié de la part masculine, c’est pour l’ unique raison qu’elle se trouve juridiquement entièrement exempte de l’obligation d’entretien, laquelle incombe exclusivement au mâle, et ce, aussi nantie soit-elle.
La femme a droit au travail, à l’héritage, dispose de ses biens à sa guise, mais n’est pas tenue de débourser le moindre sou pour autrui. Le code civil français qui établit une égalité successorale n’agit qu’en conséquence à l’établissement d’une égalité d’obligations, la femme française étant tenue par l’obligation d’entretien au même titre que l’homme (article 203 du code civil français).
Dans le droit algérien, la pseudo-inégalité ne présente que 4 cas sur 40. Par ailleurs, en France, la belle-fille a l’obligation de pourvoir aux besoins des beaux-parents (article 206 du code civil français), ce qui demeure inconcevable en droit musulman, car toute action bénéfique au profit des beaux-parents relève de la bienfaisance (ihssâne) et non de l’obligation.
Aussi, toujours en France, la mère n’a pas droit à la succession en présence d’un quelconque descendant - de tous degrés confondus - du défunt (article 734 du code civil français. Loi n° 2001-1135 du 03/12/2001), contrairement au droit algérien qui n’exclut la mère en aucun cas (elle a droit au sixième 1/6 si ce n’est au tiers 1/3 de la succession, ce qui demeure énorme pour une seule personne par rapport à la notion de «partage» qui commande la succession).
Bienveillance à l’égard des femmes
Un beau matin, une jeune femme nommée Habiba se présenta chez le Prophète. «Qu’est-ce qui t’amène de si bon matin Habiba ?», dit le Messager. «C’est mon mari Thabet qui m’a frappée». Et le messager de convoquer le mari sur-le-champ : «En guise de punition, je te divorcerai de ton épouse et la marierai à un parti meilleur que toi !» Ce qu’il fit effectivement. «Soyez bienveillants à l’égard des femmes !», est dit dans le Coran. Cette bienveillance tient à l’engagement tacite obtenu par celles-ci via le contrat de mariage. «Elles ont obtenu de vous un engagement solennel.» (Les Femmes, v.21) Ledit engagement n’étant autre que le serment de protection (Les Femmes, v.21) supposé découler de ce «pacte épais». «Vivez avec elles avec gentillesse.» (Les Femmes, v.19).
«Elles vous sont un vêtement et vous êtes un vêtement pour elles.» (La Génisse, v.187) Le vêtement symbole d’étroite intimité et de cohérence. «Le meilleur d’entre vous est celui qui est bon envers sa femme».(13) «Le croyant à la foi parfaite est celui à la meilleure moralité, et les meilleurs d’entre vous sont ceux qui sont bons envers leurs épouses»(14). Blâmant le fervent Abdallah Ben Amrou, qui consacrait toute la nuit à l’Adoration, le Prophète (QSSSL) dira : «Ton épouse a certainement un droit sur toi !» (15)
Égalité en valeur
Hommes et femmes son égaux puisque créés de la même matière. (Les Romains, v.21). Cette égalité est réaffirmée dans le verset 13 des «Chambres».(16) La prééminence tient donc à la piété et non au sexe masculin. La piété se traduit par deux types d’actions :
*Les «Ibâdâte», soit les actes d’Adoration ;
*et les «Mouamalâte», soit le comportement à l’égard d’autrui (homme et animal).
Or, si ce comportement n’est pas convenable, les «ibâdâte» ne seront plus bénéfiques à leur auteur, puisque celui-ci se retrouvera en état de «faillite» (iflâss).(17) On revient donc à l’égalité. Sauf que la piété distingue les êtres. Mais alors pourquoi une «kawâma» singulière aux mâles ? Le problème réside toujours au niveau de l’interprétation tendancieuse des textes.
En vérité, le terme «kâma» signifie «servir», «prendre en charge», «être aux petits soins» d’une personne. Les foukaha en déduiront que l’homme est le serviteur de la femme ! La «kawama» n’est pas un privilège, mais une responsabilité. Elle tient d’abord à la force physique, mais surtout à la sacrée obligation d’entretien qui incombe exclusivement au mâle, exonérant la femme aussi pourvue soit-elle de toute charge pécuniaire.
Pourquoi cette violence ?
Le malheur des musulmans tient aux interprétations erronées des Textes. L’école n’a pas joué son rôle. Il faut une rééducation à la base. Martin Luther et le despotisme de l’Eglise. Cette histoire de Textes ignorés ou mal interprétés nous rappelle l’église du Moyen-Âge, dont la mainmise sur les peuples européens tenait en effet à l’ignorance de ceux-ci des enseignements de l’Eglise, qui, pour verrouiller la pensée, gardait les Textes en latin. Il est légitime de considérer que la plus grande œuvre de Luther, ce n’est pas d’avoir fondé l’Eglise luthérienne (protestantisme) en 1546, mais traduit le Nouveau Testament en allemand, puis aux autres langues européennes. Bref, ouvert la voie aux peuples de connaître les Textes authentiques et comprendre leur religion. La mosquée doit aujourd’hui recouvrer son rôle d’éducateur en enseignant les véritables valeurs de la foi musulmane.
Conclusion :
Pour conclure, je citerais simplement cette action qui en dira long sur la personnalité de son
auteur : il y avait un homme qui, pour boire de l’eau, prenait le verre de son épouse, y cherchait les traces des lèvres de son épouse, puis buvait de cet endroit ! Je ne sais pas comment appeler ceci, je sais juste que ça relève de la noblesse de l’âme ! Cet homme, c’est le Prophète Mohammed (QSSSL) !
Notes de renvoi :
1) Les Femmes, v.34
2) L’article 53 de ladite loi dispose qu’ «il est permis à l’épouse de demander le divorce pour…1) …2) …3) refus de l’époux de partager la couche de l’épouse pendant plus de quatre mois». Remarquons qu’il serait plus judicieux de formuler le 1er alinéa du texte comme suit : «l’épouse obtient le divorce…», et ce, dès lors que tout préjudice causé à l’épouse entraîne ipso facto son droit d’obtenir le divorce, puisque c’est le préjudice qui constitue la substance même du tatlik (selon notamment le rite malékite en vigueur en Algérie, et qui tient compte de tout préjudice telle la profération d’insultes à l’encontre de l’épouse ou de ses parents) alors que la «demande» suppose possibilité de refus.
3) Al Kortobi, Mokhtaçar Tafssîr, tome 1, Dar Al Kitab Al Ilmiyya, Beyrouth.
4) Selon des recherches effectuées dans plusieurs universités telles que l’université d’Indiana (USA), cette plante contient de la cholérine et silice, de la résine, du sulfuré, de l’alcalin, du fluor, de la vitamine C, et de la triméthylamine.
5) Abou Dawoud et Ibn Madja
6) Ibn Hibban
7) Moslim
8) Moslim
9) Rapporté par Nassâ’i
10) Boukhari et Moslim
11) Mohammad Adhahabi, Al Kabâer, Dar Al Fikr, Beyrouth, Liban, 2008
12) Ibn Al Kayyim Al Djouzi, Zad Al Maad Fi Hady Khayr Al Ibâd, tome 4, Ed. Dar Al Koutoub Al Ilmiyya, Beyrouth, p32
13) Ibn Hibban
14) Çahih Jâmie Saghîr
15) Boukhari et Moslim
16) Les chambres, v.13
17) Abou Horaïra rapporte que le Prophète (QSSSL) dit un jour : «Savez-vous qui est le ‘‘failli’’ ?» On répondit : «Le failli est celui qui n’a ni dirham ni bien.» L’Envoyé rétorqua : «Le failli parmi ma nation est celui qui vient le Jour de la Résurrection avec la prière, le jeûne et la zakat, mais a injurié tel, diffamé tel, mangé les biens de tel, répandu le sang de tel, a frappé tel ; alors chacun aura à son comptes ses bonnes actions (les bonnes actions du failli)…et lui sera jeté en enfer.» (Moslim)
Nabila Amara
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