Mardi 5 mai, 125e jour de l'année
Chronique du jour : A FONDS PERDUS Le mea-culpa de la Banque mondiale Par Ammar Belhimer ambelhimer@hotmail.com La crise financière affecte y compris la sphère des valeurs dominantes qui régissent le monde. De larges fissures commencent à apparaître dans le fameux «Consensus de Washington» sur lequel repose le fonctionnement des institutions financières internationales. Une première brèche touche le dispositif contraignant de surveillance et de contrôle de la performance économique : ce lundi 27 avril, le groupe de la Banque mondiale rendait publique une déclaration d’une importance capitale par laquelle il s’engage à revoir le paquet des dix indices qui lui permettent de mesurer le climat des affaires dans le monde. Il s’agit plus précisément du troisième indice relatif à l’embauche des travailleurs (IET). Jusque-là , les difficultés auxquelles les employeurs étaient confrontés influençaient fortement l’appréciation du climat des affaires et se déclinaient en cinq paramètres de mesure : difficultés d’embauche et de licenciement, rigidité des horaires et de l’emploi, coût d’un licenciement. Cet indicateur accordait naturellement les meilleurs résultats aux pays dotés des normes les plus faibles en termes de protection des travailleurs ; la Banque mondiale et le FMI s'en servaient pour presser des pays en développement à procéder à la déréglementation de leurs marchés du travail. C’est là où, malheureusement pour nous, en bons élèves attardés du néo-libéralisme, nous enregistrions les «meilleures performances» suite aux dures conséquences sociales résultant de l’ajustement structurel entrepris depuis 1995 sous la houlette du Fonds monétaire international. Comme l’atteste la série d’indices relatifs à l’embauche des travailleurs, il vous coûtera deux fois moins cher de licencier votre employé en Algérie que dans la zone OCDE et, plus étonnant encore, quatre fois moins cher que dans le reste de la région Moyen-Orient / Afrique du Nord. Rappelant que «le climat des affaires est un aspect de la politique de développement », le texte de la Banque mondiale considère que «d'autres objectifs doivent également avoir suffisamment de poids». Il s'agit, est-il précisé, de questions «aussi diverses que la stabilité politique, les filets de sécurité sociale pour protéger les parties vulnérables de la société des niveaux de risque intolérables, la protection des droits des travailleurs et des ménages». Dans le nouveau jargon de la banque, il devient même «important que les actions du gouvernement se concentrent sur les besoins de la main-d'œuvre et des ménages à faibles revenus». Se faisant plus modeste, le groupe de la Banque mondiale se dit être «à la recherche de conseils, instruments politiques, stratégies et autres outils» car la crise économique plaide pour «l'élargissement de notre travail sur des filets de sécurité sociale (…) Les questions de l'accès à des prestations, telles que l'assurance-chômage et la sécurité sociale, sont un élément clé de ce travail». A la lumière des nouvelles conditions économiques, sachant que «la protection des travailleurs bénéficie à l'ensemble de la société», il est même recommandé «un réglage» qui favorise «la protection des travailleurs et des politiques qui respectent la lettre et l'esprit des conventions pertinentes de l'OIT». Allant au-delà de toutes les espérances syndicales, la note du 27 avril abroge carrément l’indice d'embauche de travailleurs comme repère dans la conduite des politiques de facilitation des affaires. Il est ainsi écrit noir sur blanc : «Une note d'orientation sera publiée précisant que l'indice ne représente pas la politique de la Banque mondiale et ne devrait pas être utilisé comme base pour des recommandations de politique générale ou comme référence pour évaluer les programmes ou les stratégies de développement, ou encore pour arrêter un programme d'aide pour un pays bénéficiaire». Sur ce point sensible, la Banque mondiale supprimera notamment l'IET de son Evaluation de la performance politique et institutionnelle par pays (CPIA), dont elle se sert pour déterminer le niveau global d'éligibilité aux prêts et aux subventions octroyés par l'Association internationale de développement (IDA), branche concessionnaire de la banque. Le FMI avait entrepris une démarche similaire en août 2008 concernant l'indicateur relatif à l'embauche des travailleurs ; à cette occasion, il avait donné pour instruction à son personnel que les équipes de mission devraient s'abstenir d'utiliser l'IET dans tout document public en raison de certains problèmes méthodologiques associés à l'indicateur. «La note mettra l'accent sur l'importance des approches réglementaires qui facilitent la création de plus d'emplois dans le secteur formel avec des garanties suffisantes pour les droits des salariés». En lieu et place de l’ancien indice, l’honorable institution se propose de réunir «un groupe de travail comprenant des représentants de l'OIT, comme l'organe de l'établissement de normes internationales, des syndicats, des entreprises, des universitaires et des experts juridiques» pour mettre au point «un nouvel indicateur de la protection des travailleurs» et «proposer des idées plus larges sur le marché du travail et les questions de protection de l'emploi, en vue de créer une législation qui aide à construire des emplois solides et à assurer une protection adéquate dans le secteur formel pour qu’il puisse résister à de futures crises». La Confédération syndicale internationale (CSI), qui se réclame de 170 millions de travailleurs dans 312 organisations affiliées dans 157 pays et territoires dans le monde, n’a pas tardé à réagir. Elle écrit le lendemain de la publication de la note de la banque : «La CSI a salué la décision de la Banque mondiale d'enjoindre à son personnel de cesser d'utiliser l'indicateur «embauche des travailleurs» (IET) de sa publication à plus grand tirage, «Doing Business» (Pratique des affaires)». «Dans le contexte de l'actuelle crise économique mondiale, où 50 millions de travailleurs supplémentaires risquent de perdre leur emploi cette année et où les pressions baissières sur les salaires et les conditions de travail s'intensifient de jour en jour», a dit Guy Ryder, secrétaire général de la CSI, «il est significatif qu'une institution de développement de la stature de la Banque mondiale décide de tourner la page sur une vision partiale des enjeux du travail, axée sur la déréglementation à tout prix, et propose d'adopter, à la place, une approche plus objective, réservant une place plus importante à une régulation adéquate, à l'amélioration de la protection sociale et au respect des droits des travailleurs ». «La décision de la Banque d'accorder une attention accrue à des problématiques de cet ordre est en adéquation avec l'engagement pris par les leaders du G20, à l'occasion du sommet de Londres, de «construire un marché du travail équitable et convivial, à la fois pour les femmes et pour les hommes», a dit Guy Ryder. «Nous invitons la Banque à ouvrer en collaboration étroite avec l'OIT dans ce domaine», a-t- il ajouté, notant que la déclaration du G20 appelait l'OIT à déterminer des politiques adéquates en matière d'emploi et de marché du travail. La «marmite sociale» est au bord de l’explosion et la Banque Mondiale ne voulait surtout pas en rajouter. |
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