Petit historique de ROUIBA Périodes précédant 1962
R O U I B A
La tribu des Aribs ayant dès 1835 fait allégeance à la France, ses cavaliers s'étaient enrôlés dans le régiment de spahis auxiliaires créé par le comte d'Erlon et avaient participé à la campagne de la Mitidja, émaillée de nombreux combats et escarmouches contre la fanatique tribu des Hadjoutes, redoutables et sanguinaires pillards, faisant régner la terreur dans toute la région.
En remerciements des services rendus, à la demande du maréchal Bugeaud, en 1846, sous le règne de Louis-Philippe, fut décidée la création d'un territoire indigène d'une superficie de 1.600 ha réservé à la tribu des Aribs qui porterait le nom de Rouïba Les terres seraient prélevées sur le domaine de la Rassauta. Le domaine de la Rassauta fut à l'origine une concession de 4.300 ha offerte en 1835 à un citoyen polonais, Téofil Mirski (chevalier d'industrie) que l'on appelait le prince « Sviatopolkist de Mir ». 300 étrangers de toutes nationalités travaillaient sur ce domaine en 1836 et son propriétaire rêvait d'y installer 1.500 Polonais. Mais en 1838, il fit banqueroute.
Ce n'est qu'en 1844 que la concession fut reprise par un expatrié politique, José Melcarejo Conde del Vale de San Juan qui, à son tour, fit faillite en 1846 et la concession morcelée.
Le 11 août 1853, sous Napoléon III, le conseil du gouvernement se pencha sur le projet de fondation d'un centre sur la route d'Alger-Dellys à l'embranchement du chemin d'Aïn-Taya où le génie militaire venait de mettre en service un puits artésien.
Dès 1845, sur le futur territoire de la commune de Rouïba, quelques concessions de 100 à 150 ha avaient été offertes ou vendues à des Européens. En 1852, huit fermes existaient.
Le 30 septembre 1853 était publié le décret créant dans l'arrondissement d'Alger, sur la route d'Alger - Dellys, un centre de population de 22 feux qui prendra le nom de Rouïba, sur un territoire agricole de 585 ha.
Rouïba : si l'origine de ce nom ne laisse aucun doute, sa traduction par contre ne fait pas l'unanimité. Ce pourrait être une déformation de « petite forêt » ou de « la descente» ou « petit ruisseau » ou encore «broussaille». Pour ce qui est de la broussaille, il n'en manquait pas. Un journaliste du journal l'Akbar qui, en 1853, s'était rendu sur place, déclarait:
« Dans cet immense désert je n'ai rencontré que deux habitations dans un océan de broussaille- A cette espèce d'abandon s'ajoute un sentiment de tristesse et de solitude angoissant. » .-et maintenant alors...
Ce n'est qu'au début mars 1854 qu'eut lieu l'adjudication des 22 concessions qui furent remises officiellement à leurs propriétaires à la fin de ce mois. Chaque adjudicataire devait débourser 1.500 F et prouver qu'il disposait sur place d'une somme équivalente pour la mise en valeur des terres et leur ensemencement. Chaque concession se composait de 5 ha de bonne terre préalablement défrichée par l'armée 8 ha 50 a de terre à défricher et 50 a dans la partie actuelle du village défrichés et aplanis par l'armée et réservés exclusivement à l'habitation. A cela s'ajoutaient 70 ha de communal pour les troupeaux. Qui furent ces 32 familles de pionniers qui, à la sueur de leur front, au péril de leur vie, guettés autant par la malaria et le choléra que par les pillards, fondèrent Rouïba ? Pour la grande majorité d'entre eux, ils étaient originaires des îles Baléares, plus précisément de Mahon, et avaient été retenus suite aux très bons résultats obtenus par leurs compatriotes de Fort-de-l'Eau qui, dès 1849, s'étaient lancés dans les cultures maraîchères.
Les nouveaux arrivants se mirent au travail. Fin 1854, douze maisons étaient bâties et onze familles y habitaient, soit 42 personnes.
Au 31 décembre 1855, 95 ha avaient été défrichés et 49 ensemencés. Le village fut achevé en 1856. Les 22 familles étaient installées, 224 ha étaient en rapport et 2.600 arbres avaient été plantés.
En 1857 la population de Rouïba et de ses huit fermes qui l'entouraient était de 172 individus. On y cultivait du lin, du tabac et des céréales.
Rouïba était inclus dans la commune de la Rassauta qui comprenait Fort-de-l'Eau, son chef-lieu, ainsi que les hameaux d'Aïn-Taya, Matifou et Aïn-Beida (Suffren). Le 22 août 1861 Rouïba fut érigé en commune de plein exercice. Les hameaux de Matifou et Aïn-Taya et le village d'Ain-Taya qui y étaient rattachés formaient une section de commune. Au fil des années Aïn-Taya puis Matifou devinrent des communes de plein exercice et en 1872 eurent lieu les dernières modifications des limites de la commune de Rouïba qui s'étendait sur 5153 ha et avait une population de 440 Européens et 1 084 musulmans. Depuis 1870 la culture de la vigne s'était développée. Cette année-là 48 ha plantés donnèrent une récolte de 620 hl. L'apogée sera atteint en 1955 avec 2988 ha donnant 155604 hl.
Petit à petit, le village s'équipa. En 1869 la mairie fut bâtie, et, en 1876, l'église, dont la construction fut entièrement financée par les familles européennes. Puis en 1900 ce fut le marché couvert servant aussi de salle des fêtes et de sport qui devait être démoli en 1926 lorsque la salle des fêtes fut terminée. En 1906 fut érigée la poste. Au lendemain de la Grande Guerre, des ateliers municipaux ainsi qu'un abattoir vinrent compléter les équipements du village.
Rouïba, comme bien d'autres communes d'Algérie, avait payé un lourd tribut lors de la guerre de 1914-1918; 105 de ses enfants donnèrent leur vie à la patrie. En 1923 fut inauguré le monument aux morts financé par une souscription publique.
Dès 1930 un jardin public d'une superficie de 10 ha ne fit que s'embellir au fil des ans.
Le village prenant de l'extension, une activité industrielle se développant dans les domaines des briqueteries, transport, construction de charrues et de matériel agricole, fabriques de peinture et d'appareils d'éclairage, 24 appartements à loyer modéré vinrent atténuer la crise de logement que connaissait Rouïba. En 1956 c'est une cité évolutive de 60 appartements réservés aux musulmans qui vit le jour. La réalisation de la zone industrielle de Rouïba-Reghaia, dont les usines Berliet furent le fleuron, accueillit aussi les brasseries La Gauloise, des entreprises de travaux publics, des usines de tubes d'acier et de fabrication de tuyaux en béton, ce qui permit la construction de plusieurs lotissements. Pour ce faire un nouveau quartier est créé; plusieurs copropriétés de 2 et 4 étages avec commerces au rez-de-chaussée virent le jour ainsi que de nouveaux H.L.M.
Dès 1954 Rouïba possède un centre de santé réservé aux plus démunis et début 1962 un hôpital de 100 lits est achevé. Il sera réquisitionné par l'armée qui en fera un centre de détention pour les prisonniers O.A.S.
Dès 1887 Rouïba eut son école communale. A l'origine elle se composait de trois classes maternelles, 20 classes primaires et 8 classes dans le secondaire. De 1920 à 1930 il y eut aussi deux écoles libres, l'une réservée aux garçons et l'autre aux filles.
Rouïba eut sa première équipe de football en 1918, qui devint en 1920 « Rouïba Sports». Naquirent aussi plusieurs autres activités sportives et culturelles dont la plupart devaient disparaître dans la tourmente des élections de 1924. Le club de foot devait renaître de ses cendres en 1931 sous le nom de l'« Olympique rouïbéen » qui devait rejoindre en 1962 la division d'honneur, l'élite du football algérois.
Rouïba eut aussi, dès 1950, un club de tennis et une section moto-club avec une équipe de moto-bail.
Telle peut se résumer l'histoire de cette commune de la Mitidja qui, en 1962, comptait 3100 Européens et environ 14000 musulmans.
Pierre CARATERO.
(Tiré de Lorsque notre drapeau flottait sur Rouiba.)
in l'Algérianiste n° 36 de décembre 1986
Mairie de Rouïba en 1900