Première élection libre dans La Tunisie de l'après-Ben Ali




La Tunisie dans l'après-Ben Ali


Les Tunisiens mobilisés pour leur première élection libre

ELODIE AUFFRAY correspondante à Tunis

(Jamal Saidi / Reuters)
 

LE CONTEXTE

Neuf mois après le départ de Ben Ali, les Tunisiens vivent ce dimanche leur première élection libre. La future assemblée sera chargée d'écrireune nouvelle constitution. On compte 1600 listes, réparties sur 33 circonscriptions. Les bureaux de vote doivent fermer à 19h (20h à Paris), mais ils devraient en réalité continuer à fonctionner tant que les électeurs arrivés à temps n'auront pas voté.

Les résultats définitifs seront annoncés mardi, mais les premières tendances peut-être connues dès ce soir.

-> A voir: la carte interactive de l'Instance indépendante pour les élections. L'organisatrice du scrutin recense les abus commis, pendant la campagne.

18 heures. A Mellassine, le «quartier des potiers» derrière la médina, les bureaux de vote sont pris d'assaut. Remplie, l'urne n'en peut plus d'accueillir les énormes bulletins de vote.

Mbarka Melki, 70 ans (ci-dessus), ne veut pas attendre. «J'ai peur qu'on me vole mon agneau pour l'Aïd», explique la vieille femme, venue avec son petit-fils de 5 ans. Elle a donc décidé essayer de s'incruster dans la file des hommes, pour aller plus vite.

«Les élections, c'est super! On voit qu'on peut compter sur le peuple», s'enthousiasme Jamel Khachnaoui, 73 ans (ci-dessous).

Deux femmes poireautent sous un arbre. Elles ne sont pas inscrites sur les listes. "Je n'étais pas convaincue, mais ma soeur m'a entraînée avec elle, explique Jamila. Maintenant, j'espère pouvoir voter. Il paraît qu'il y a des bureaux spéciaux pour les non-inscrits".

17h30. La cour de l'école Joumouria 1 a pris des allures de fête de quartier. Les Tunisiens continuent de converger, nombreux. Ils tiennent conversation dans la cour et aux abords. Des enfants courent un peu partout.

Découragés par la queue qui ne diminue pas, certains attendent des heures meilleures à l'ombre des bâtiments bleus et blancs. Comme Hada Jelassi, 61 ans. Elle a déjà voté et bavarde avec sa voisine en attendant de retourner patienter à la place de sa fille, enceinte. La voisine en question, Wahida Azem, a amené sa petite avec elle. «Je voulais qu'elle voie ça», explique l'institutrice.

Dans la cour de l'école Joumouria 1, à Ettadhamen.

Un petit groupe de cousines discute près du parterre central. Asma n'a que 17 ans, mais elle se félicite de voir qu'«on a enfin rétabli la démocratie».

Venu à 7h, reparti à 8h30 parce qu'il y avait trop de queue, Nasser Lamouchi était de retour en début d'après-midi. A 16h30, il n'est plus très loin de l'entrée du bureau de vote. «Même si on reste jusqu'à demain pour voter c'est pas grave. Ca vaut la peine, et même plus. C'est la première fois qu'on a un vote authentique».

17 heures. Le taux de participation s'approche de 70%. Il a même"dépassé 80% dans quelques circonscriptions", indique le président de la Commission électorale indépendante, Kamel Jendoubi.

Pour mémoire, seuls 55% des Tunisiens s'étaient inscrits volontairement sur les listes électorales. Pour favoriser la participation, la Commission électorale avait finalement décidé de laisser le vote ouvert à tous les détenteurs d'une carte d'identité.

-> A voir: bleu.enatounsi.org, un site qui recense des photos de "doigts bleus", signe distinctif pour l'électeur qui a voté.

14 heures. Le point de vue d'un observateur.

Cité Ettadhamen, à Tunis. Le quartier populaire est donné pour être un bastion d'Ennahda. Nizar Ayari était le premier à voter ce matin, à son bureau de vote de l'école Joumouria, à 7 heures. "J'ai d'abord fait mon devoir de citoyen, puis je remplis mon devoir d'observateur", explique ce militant du Parti socialiste de gauche, formation membre de l'alliance du Pôle démocratique moderniste (PDM). Il relève, pour le compte du PDM, le nombre d'inscrits et les incidents de vote. Une mission qui a pour but, dit-il, de "garantir une atmosphère légale" au scrutin.

Nizar Ayari

Ils sont 13.000 observateurs tunisiens accrédités, auxquels s'ajoutent 600 internationaux.

"Globalement, ça s'est bien passé ce matin", relève le jeune homme de 30 ans. Il a noté quelques incidents épars: un citoyen qui avait déjà de l'encre indélébile sur le doigt et qui a pu voter à nouveau, des électeurs qui bavardent d'isoloir et isoloir, etc. Quelques personnes, aussi, qui ont parcouru la file d'attente pour "donner des consignes de vote", ce qu'il a signalé au chef de bureau. Autre incident qu'il a noté: "Une vieille dame a fait des youyous en appelant à voter Ennahda".

Sa journée sera longue: elle s'arrête à minuit, après le dépouillement, qu'il scrutera aussi.

La révolution a poussé ce magasinier qui s'est "toujours senti de gauche"à l'engagement politique, en avril. Quelques mois avant, il était pourtant sur le départ, pour la France. Mais son père est tombé malade. Et "avec la révolution, tout va changer, même l'état d'esprit. Mais si ce n'est pas le cas, je trouverai une solution pour partir".

12h15. Rached Ghannouchi tente de gruger la file. Mais le chef du parti islamiste Ennahda a dû faire la queue comme tout le monde, lorsqu'il s'est présenté à son bureau de vote, dans le quartier chic d'El Menzah. Alors qu'il se dirigeait directement vers la porte, il a été rappelé à l'ordre par ceux qui patientaient: "La queue! la queue! La démocratie commence par là!". (AFP)

12h00. L'affluence des Tunisiens pour élire une assemblée constituante "dépasse toutes les attentes", a déclaré dimanche à la mi-journée le président de la commission électorale (Isie), alors que plus de 7 millions d'électeurs sont appelés aux urnes pour un scrutin historique. "Le taux de participation pourrait dépasser les 60%", a déclaré Kamel Jendoubi au cours d'un point de presse à Tunis. (AFP)

 

7h30. Mohamed Ben Salah s'apprête à entrer dans le bureau de vote.«Ce scrutin est historique. Il sera une preuve pour l'avenir. On va maintenant construire pour nos enfants», déclame-t-il. A côté, son voisin a les larmes aux yeux. «C'était magnifique», commente-t-il quelques minutes plus tard en ressortant, le doigt bleui par l'encre qui sert à éviter les doubles votes.

L'encre est conçue pour résister 48 heures.

«C'était très bien organisé, s'exclament une mère et sa fille. On ne s'attendait pas à un calme pareil». Hédi Mihiri, «dans les 80 ans» au compteur, souhaite que le pays «ne revienne jamais en arrière». Est-il fier, aujourd'hui ? «Même trop». «Tellement heureuse et tellement fière»,Khouloud, jeune monteuse pour la télé nationale, espère que «les résultats seront acceptés, quels qu'ils soient».

Sihem Bensédrine, elle, se réjouit bien sûr de «la réappropriation des urnes par le peuple». Mais elle n'est pas contente. Militante des droits de l'homme depuis très longtemps, malmenée par l'ancien régime, la journaliste s'étonne de la séparation hommes-femmes dans la file. Elle est perturbée, aussi: elle a reconnu, dit-elle, un «RCDiste», un homme de l'ancien parti de Ben Ali, aux commandes d'un des bureaux de vote.

 

7 heures. Omar entre. Dehors, la file grossit. Amira, 26 ans, était pourtant venue tôt pour éviter l'attente. Excitée, elle n'a «pas dormi de la nuit». Sonia, sa voisine de queue, non plus. «Je me sens comme si j'allais passer le bac», confie l'enseignante. Enthousiaste, la jeune femme de 37 ans a encore des doutes : «On se demande si on va faire le bon choix», explique-t-elle. Mais «on va leur donner une chance, au cas où», commente une femme à côté. En espérant «qu'ils ne soient pas des voleurs», renchérit une autre.

Au Bardo, comme dans d'autres bureaux de vote, hommes et femmes ont fait la queue séparement. Les files sont denses.

Dans les bureaux, la mécanique se met doucement en place. «Il a fallu trouver d'urgence trois remplaçants, parce que les premiers affectés n'avaient pas leur badge d'accréditation», recense juste Abdeljaouad Mouadh, président d'un des bureaux de vote. Il a «beaucoup d'appréhension» devant sa «grande responsabilité» pour la transparence du scrutin. Mais se félicite: «Le Tunisien est matinal, il y a la queue partout».

 

6h55. Derniers préparatifs à l'école Saïdia, au Bardo, dans un quartier résidentiel de Tunis. Les tas de gigantesques bulletins de vote sont posés sur les tables. Ne reste qu'à verrouiller les urnes.

Bulletin de vote dans la circonscription de Tunis 1, où concourent 80 listes. L'électeur doit cocher sa liste, plier la grande feuille et le glisser dans l'urne (cliquer sur l'image pour agrandir)

Une centaine de personnes font déjà la queue aux portes de l'école. Même les militaires qui gardent l'entrée du bureau ont le sourire.

Tabouret sous le bras, Omar, 58 ans, est le premier dans la file. Il est arrivé à 5h45, après la prière matinale. «Je suis en train d'exercer mon droit et mon devoir», explique le barbu géographe, «très émerveillé»d'être là.

 Nadia El Fani, Liberté, égalité, laïcitéD. R.Neuf mois après le départ de Ben Ali, poussé à l’exil par la révolution de jasmin, les Tunisiens élisent ce dimanche leur assemblée constituante. De ce scrutin incertain, la réalisatrice franco-tunisienne Nadia El Fani aimerait voir émerger les fondements d’une société laïque. Un mot qui lui a valu des menaces de mort.



23/10/2011
0 Poster un commentaire

A découvrir aussi


Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 76 autres membres