sera de retour aujourd'hui en Turquie Erdogan face à la rue
Il sera de retour aujourd'hui en Turquie
Erdogan face à la rue
le 06.06.13 | 10h00
De retour d’Alger où il a pu respirer l’air pur d’un printemps finissant, Recep Tayyip Erdogan retrouvera aujourd’hui l’odeur de soufre qui emplit le ciel d’Ankara depuis une semaine.
Le Premier ministre turc est en effet attendu de pied ferme par ses opposants, descendus en force dans la rue pour lui faire payer ses déclarations hasardeuses. «Après mon retour, les choses vont se calmer», avait promis Erdogan depuis Rabat. Il est donc intéressant de savoir comment compte-t-il mettre fin à une semaine d’affrontements qui gagnent peu à peu les différentes villes du pays. Des premiers propos qu’il utilisera dépendra la suite des événements.
Erdogan, qui a maladroitement enfilé le costume du père fouettard en réduisant les protestataires au mieux à des «extrémistes» et au pire à une «bande de vandales», devrait théoriquement soigner son langage pour ne pas attiser le feu. C’est une épreuve presque décisive qui se joue aujourd’hui pour le Premier ministre turc, dont les manifestants, forcément blessés par ses quolibets, s’attendent à des excuses publiques et à la sanction de ceux qui sont responsables des brutalités qui ont fait trois morts et environ 2200 blessés. Et au regard de l’atmosphère générale, y compris dans les rangs de son parti l’AKP, Erdogan n’a pratiquement pas le choix sinon de mettre un peu d’eau dans son… «leben». Il apparaît en effet dans la peau d’un homme presque seul, responsable d’une poussée populaire dont il se serait aisément passé. Les discours plutôt conciliants et compréhensifs des cadres de son parti, y compris le président Gül, à l’égard des manifestants, le mettent dans une mauvaise posture.
Tête de Turc…
C’est précisément sur cette faille que ses opposants opèrent pour espérer obtenir pourquoi pas sa tête. Le président Abdullah Gül, qui ne verrait pas d’un mauvais œil qu’il garde son strapontin en 2014, en a profité pour enfoncer intelligemment son probable rival pour la présidentielle.
Ce dernier multiplie les déclarations apaisantes pour faire baisser la tension, profitant de l’absence d’Erdogan. «La démocratie ne se résume pas aux élections», a lancé M. Gül. Et d’enfoncer le clou : «Il est tout à fait naturel d’exprimer des opinions différentes (...) par des manifestations pacifiques.» Le vice-Premier ministre, Bülent Arinç, a lui aussi abondé dans le même sens en soulignant que les manifestations pacifiques sont un signe de vitalité démocratique.
Un discours qui sonne comme un cinglant désaveu à celui de Tayyip Erdogan, qui a péché par sa tonalité aussi musclée que provocatrice. «C’est très blessant d’être traité de cette façon», estime Ahmet Insel, politologue à l’université Galatasaray d’Istanbul, interrogé par l’AFP. «Ce qui se passe en Turquie, c’est une révolte de la dignité par des gens méprisés par le Premier ministre», ajoute-t-il. Ahmed Insel décrit Erdogan comme un homme qui «a du mal à contenir son langage agressif et arrogant qui passe mal au sein d’une frange importante de la société».
Abdullah Gül en avance
Il a donc suffi de quelques mots crus pour que le Premier ministre reçoive le boomerang de ces têtes de Turc que sont ces dizaines de milliers de jeunes sortis dans la rue, l’appelant à dégager. «Tayyip, démission !», scandent-ils, sans doute blessés. C’est dire que Tayyip Erdogan aura aujourd’hui à cœur de corriger le tir en espérant pouvoir se faire pardonner ses outrances verbales. Mais pas seulement. Les représentants des manifestants réclament des sanctions contre les policiers qui ont eu la matraque facile. «Les responsables de la police qui ont donné l’ordre de ces violences (...) doivent être renvoyés», a indiqué hier à la presse un porte-parole des représentants de la contestation, Eyüp Mumcu, à l’issue d’une rencontre à Ankara avec le vice-Premier ministre, Bülent Arinç.
Ces représentants – issus de la société civile – ont remis aussi au gouvernement une liste de revendications, dont la «remise en liberté de tous les manifestants interpellés depuis le début du mouvement» et «l’abandon» du projet de réaménagement urbain controversé de la place Taksim d’Istanbul, qui a allumé le feu de la contestation, a précisé M. Mumcu, de la Chambre des architectes d’Istanbul. En tout état de cause, Erdogan paraît dans une mauvaise posture de devoir lutter sur deux fronts : trouver les mots justes pour désamorcer la crise et rattraper le retard sur son concurrent déclaré, Abdullah Gül, qui semble avoir pris plusieurs longueurs d’avance. Mission difficile pour un homme très fort devenu subitement trop fragile…
Hassan Moali