ACTUALITES du SAMEDI 05 MAI 2012
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La presse algérienne vue au travers de sa grille des salaires
le 05.05.12 | 10h00
L’objet de cet écrit est de montrer que l’«édiction» d’une grille des salaires de référence pour la presse du secteur public, c’est-à-dire celle dont l’Etat est l’employeur, à l’exclusion de son homologue du secteur privé, est contraire à la loi et porte préjudice à la profession journalistique.
La logique et le bon sens auraient commandé que cette mesure fut élargie au privé, afin d’assurer, outre l’équité, la stabilité structurelle dont a besoin la profession tant qu’elle repose sur deux secteurs régis par des valeurs communes. Avant d’entrer dans le vif du sujet, rappelons les faits : le 16 avril 2012, une dépêche de l’APS fait état d’un accord (signé le jour même) portant sur une grille des salaires conclue «entre les sections syndicales des entreprises de la presse publique et le ministre de la Communication, Nacer Mehal, ainsi que les directeurs des entreprises publiques du secteur de la communication». Plus loin, la même dépêche, citant M. Mehal, précise que «le gouvernement a approuvé cet accord collectif qui prend effet à partir du 1er janvier 2012». Certes, cette nouvelle apporte quelque satisfaction et réconfort à une partie de la corporation des journalistes longtemps livrée à son sort, mais elle n’en soulève pas moins, chez leurs confrères du secteur privé, moult questionnements quant à leur propre devenir. Car cette mesure, qui introduit la régulation dans le mode de paiement des salaires, il faut le répéter, concerne uniquement la presse publique. Pourquoi ?
Le ministre de la Communication se déclare incompétent face au privé
«Je ne peux pas imposer aux titres privés de s’aligner sur la nouvelle grille des salaires des journalistes de la Fonction publique, car il y a la loi sur les relations de travail (loi 90/11) qui détermine la relation entre l’employeur et l’employé», a déclaré, à la mi-décembre 2011, Nacer Mehal devant les députés de l’Assemblé populaire nationale. Cette réponse du ministre mérite qu’on s’y arrête. Parce que d’abord elle contient une contrevérité. Ou plutôt deux :
1- Les pouvoirs publics, à travers les ministères de la Communication et du Travail, peuvent, grâce à des techniques juridiques appropriées (notamment la loi régissant la publicité) user de leur pouvoir de coercition à l’effet de garantir les droits sociaux des gens des médias. Si ces techniques ne sont pas encore mises au point concernant certains domaines, d’autres existent mais ne sont pas appliquées. Aussi, le droit social dont tout Etat digne de ce nom est censé se réclamer, devrait-il avoir pour finalité de réduire toute espèce d’inégalités et lutter contre toute forme de déshumanisation des rapports sociaux ;
2 - La technique juridique à laquelle le ministre s’est reporté pour justifier sa décision de ne pas se mêler des affaires du privé (la loi 90/11) ne renferme, en fait, aucune recommandation allant dans ce sens. La loi à laquelle le ministre fait allusion (la loi n° 90-11 du 21 avril 1990 modifiée et complétée, relative aux relations de travail) a un caractère général, elle s’applique à l’ensemble des professions évoluant au sein d’entreprises publiques ou privées implantées sur le territoire de la République, qu’elles appartiennent au domaine économique ou à celui des services.
Que cela soit dit en passant, il est significatif de relever que la seule loi à laquelle le ministre Mehal a cru bon de se référer pour parler des gens des médias, s’applique également aux corporations des maçons enrôlés dans les entreprises du bâtiment, aux fondeurs employés dans les entreprises de métallurgie, aux ingénieurs, aux électriciens, aux concasseurs, etc. Or, le législateur, qui a conçu la loi 90/11, conscient de la spécificité du métier de journaliste, a recommandé dans le corps de ladite loi l’«édiction» d’un statut spécifique pour les journalistes. Ce régime spécifique a été du reste concrétisé (du moins sur le papier) par le décret exécutif du 10 mai 2008. Il s’agit en somme de ce qu’on appelle communément le «Statut particulier des journalistes». Mais la volonté politique avait à l’époque fait défaut, puisque ce statut spécifique n’a pas connu une traduction dans les faits, les décrets d’application prévus n’ayant jamais été promulgués à ce jour.
Le journalisme, métier spécifique : une tendance mondiale
Dans tous les pays du monde, la presse est placée sous un régime spécial. Selon qu’on est en démocratie ou en autocratie, il peut être de «privilège» ou de «contrainte». La nouvelle loi organique (n° 12-05 du 12 janvier 2012) relative à l’information, promulguée dans le cadre des réformes politiques décidées par le chef de l’Etat, en donne le ton. L’énumération des sanctions de type «est puni d’une amende de 100 000 DA à…», installe d’emblée le corps de métier journalistique algérien dans le système de la contrainte. Ce n’est pas ce type de texte qui est à même de concevoir pour le journaliste quelque facilitation lui permettant d’accéder à une simple bibliothèque. C’est répéter une évidence que de dire que la presse, qu’elle soit publique ou privée, représente pour les tenants du pouvoir un territoire à surveiller de près, et, au besoin, à vouer aux gémonies.
D’où le caractère franchement pénal de la nouvelle loi que je viens de citer.Et pourtant, l’ensemble de la législation régissant les médias, y compris ce nouveau texte à tonalité répressive, procède paradoxalement d’une logique de détermination et de mise en perspective de la profession journalistique, créditée dans son ensemble (privé et public) d’assurer une mission de service public. En somme, la législation algérienne en la matière organise un corps de métier et non pas un tissu d’entreprises de presse articulées sur le privé et le public. Vous chercherez en vain dans la loi organique relative à l’information une quelconque discrimination entre le privé et le public. Les orientations prescriptives qu’elle contient dessinent le territoire inviolable des journalistes, dont l’étendue inclut en réalité les deux espaces. On ne le répétera jamais assez, tout s’ordonne autour d’un métier dont on peut dégager 3 principales normes :
1- La profession dans tous ses segments partage un «code déontologique», ce qui la rapproche de la corporation des médecins et des avocats, à cette différence près, elle n’est pas une profession libérale ;
2- L’identité professionnelle des journalistes (des deux secteurs) est attestée par une carte de presse délivrée par une commission nationale.
3- Le travail des journalistes est rémunéré suivant une «grille des salaires» fixée par une «convention nationale». C’est ce dernier élément qui a été sacrifié par le département de Nacer Mehal. Il est donc le chaînon manquant à l’ensemble de la technique juridique utilisée, sachant que cette dernière, qui se réclame de l’«universalité» est le produit de l’importation. A commencer par le Conseil supérieur de l’éthique et de la déontologie du journalisme, en passant par l’autorité de régulation, jusqu’à la carte de presse, tout respire le modèle européen, et surtout français.
Je pourrais ajouter une quatrième norme qui dessine comme en creux, la dimension déontologique, cette norme renvoie l’image d’une presse appréhendée comme un seul homme, ployant sous le poids de fortes amendes et jadis d’emprisonnement. Il est pour le moins absurde de tracer dans la presse une ligne de démarcation entre privé et public, quand les journalistes relevant du premier ont le droit au même échafaud que leurs confrères du second, n’est-ce pas ? Puisque c’est la même épée de Damoclès qui est suspendue sur les têtes des uns comme des autres, tous ont donc droit aux mêmes rémunérations. Est-il besoin de rappeler que l’un des objectifs du dispositif juridique régissant les métiers du journalisme demeure la protection des journalistes contre l’arbitraire de leur
employeur ? Mais force est de reconnaître que c’est à la violation de ce principe que le ministère de la Communication travaille. Les patrons dont on attend qu’«ils possèdent, comme le souligne le sociologue Claude-Jean Bertrand, des talents d’hommes d’affaires, de gestionnaires, et non une conscience morale», se sont ainsi vu confortés dans la liberté qu’ils se sont octroyée pour faire ce que bon leur semble.
Un statut particulier jeté au frigo
Mais depuis 2008, le statut professionnel des journalistes sommeille dans le frigo, faute de textes d’application. Pour l’instant, il ne sert qu’à agrémenter le site Web du ministère de la Communication, où l’on peut le télécharger. Conséquence : la législation spécifique à la presse se réduit de fait à deux textes majeurs: la nouvelle loi relative à l’information (promulguée en janvier 2012) et la loi 90/11 relative aux relations de travail.
Cela dit, on est en droit de se demander, du reste, pourquoi le département de Mehal s’est empressé d’établir une grille des salaires pour le secteur public, sans se sentir aucunement indisposé par l’absence de statut particulier des journalistes, alors même que l’on sait que toute politique salariale est déterminée par ce texte fondamental ? Qu’est-ce qui l’aurait empêché de l’activer ou de procéder à son renouvellement, et ce, d’autant plus que cela fait déjà presque trois mois que la nouvelle loi organique relative à l’information a été adoptée ? Que l’on songe, et puisque M. Mehal nous y invite, à ces batailles autour des statuts particuliers qu’avaient livrées, tout au long de ces dernières années, les syndicats autonomes de la Fonction publique à l’effet d’améliorer le salaire des travailleurs. N’empêche, ce qu’il convient de relever, c’est ceci : dans le fond, l’ensemble de la législation algérienne relative aux médias (en vigueur ou en hibernation) s’accorde à percevoir la corporation des journalistes comme une catégorie juridique à part.
La dichotomie journalistes du secteur public/journalistes du secteur privé que le département de Nacer Mehal introduit, tombe sous le sens et s’inscrit en porte-à-faux avec le statut professionnel des journalistes, quand bien même celui-ci a été mis hors circuit. Car, contrairement aux autres corps de métier, à l’image des médecins ou des enseignants, le statut particulier des journalistes ne relève pas de la Fonction publique. Ce statut régit la corporation des gens des médias tous secteurs confondus. Le législateur a consacré de fait la spécificité de la corporation journalistique en la démarquant d’une manière très nette des autres corporations. Pour qu’il faille concevoir deux régimes de salaires distincts, il aurait fallu que le législateur fît un statut professionnel pour les journalistes du secteur privé et un autre pour les journalistes du secteur public.
L’invention d’une nouvelle hiérarchie
Les journalistes des deux secteurs sont donc régis par un même statut particulier (ou professionnel) d’où devrait découler la grille des salaires. Les deux secteurs (privé et public) s’inscrivent dans une échelle de valeurs partagées. Ce qu’introduit l’acte immoral et injuste et techniquement irréalisable du ministère de la Communication, c’est une hiérarchisation nouvelle, en ce qu’elle institue sur le plan des valeurs un rapport de subordination du privé au public. Une discrimination grave qui remet en cause les normes du travail universellement admises. La hiérarchie professionnelle, qui justifie les salaires, est normalement définie par le jeu des échelons et des indices. Par exemple, le salaire d’un reporter, d’un chef de service, d’un chroniqueur judiciaire, etc. doit être similaire à l’intérieur de chaque catégorie de média (quotidiens nationaux, hebdos et périodiques algérois, agences, hebdos régionaux, audiovisuel, presse électronique).
Dans chacune de ces catégories s’élève une structure hiérarchique pyramidale. Ensuite, à l’intérieur de chaque catégorie s’opèrent d’autres discriminations salariales. Dans la catégorie «Quotidiens nationaux», on aura des salaires pour les quotidiens d’Alger et d’autres pour ceux des régions. On le voit, il n’y entre jamais une considération en rapport avec le privé ou le public. Du reste, la loi organique relative à l’information stipule en son article 75 que «la nomenclature des différentes catégories de journalistes professionnels est déterminée par le texte portant statut des journalistes». Et pourtant, ce n’est pas dans ce texte que le département de Mehal est allé puiser sa méthode de travail. Le ministre n’a eu les yeux de Chimène que pour la loi 90/11, qui, outre qu’elle ait, comme cela a été dit plus haut, un caractère général, jouit d’un rang statutaire inférieur à la loi organique relative à l’information, qui, elle, a expressément prescrit l’établissement d’un statut professionnel pour les journalistes.
«Il ne faut pas suivre les dispositions générales du droit civil lorsqu’il s’agit de choses qui doivent être soumises à des règles particulières tirées de leur propre nature», conseille Montesquieu. Les gens embarqués dans un navire sont soumis à des règles particulières tant qu’ils ne l’ont pas quitté, explique l’auteur de L’Esprit des lois. Aussi, le Syndicat national des journalistes, dont la représentativité avoisine le degré zéro, s’est fendu d’un communiqué tout à fait absurde où il demande «l’unification de la législation régissant la corporation», ne s’avisant pas, comme nous venons de le voir, que l’arsenal juridique régissant la presse est d’une parfaite cohérence et que c’est son application qui fait défaut.
Le syndicalisme dans la presse, l’exception ?
A l’heure où les corporations de la Fonction publique sont constamment mobilisées pour revendiquer leurs droits socioprofessionnels respectifs, à l’heure où sous la conduite de syndicats autonomes, l’on voit les enseignants, les médecins, les communaux, les universitaires, les greffiers, les aiguilleurs du ciel, etc engagés dans des mouvements de protestation continus, la presse algérienne fait pâle figure. C’est une des rares corporations, pour ne pas dire l’unique, qui soit épargnée par les convulsions sociales qui secouent périodiquement le monde du travail.
Un observateur non avisé peut conclure à l’existence de syndicats forts qui s’y seraient imposés. Il n’en est rien. C’est tout le contraire. N’empêche, au cours de l’année 2011, sans que rien ne l’ait laissé présager, la corporation était soudainement sortie de sa léthargie pour dénoncer les mauvaises conditions socioprofessionnelles dans lesquelles elle était confinée depuis de longues années. Née d’un mouvement spontané consécutif aux révoltes qui ont éclaté au Maghreb et dans le monde arabe, la protestation a été principalement portée par une coordination éphémère, l’«initiative nationale pour la dignité de la presse». Mais comme toutes les organisations du genre, elle fut, et ce, à l’issue d’une guerre d’usure, complètement phagocytée. Toute la protestation cependant s’est déroulée en dehors des cadres syndicaux existants, le SNJ (Syndicat national des journalistes) et la Fédération UGTA (Union générale des travailleurs algériens). N’empêche, le mouvement est inédit, les journalistes dans leur majorité, qu’ils soient du secteur privé ou du public, s’impliquent. Leurs principales doléances sont l’établissement d’un statut professionnel ainsi qu’une grille des salaires conformes à leur rang social.
La demande est adressée à l’Etat. Une certaine ambiguïté entache cependant l’attitude des journalistes du privé dont on pouvait s’attendre qu’ils adressent une partie de leurs critiques à leurs employeurs. Leurs confères du public, mieux lotis en tous les cas, semblaient plus à l’aise dans leur rôle de contester la légitimité des relations de travail qu’ils ont pu nouer avec l’Etat-employeur.
Malgré sa brièveté, ce mouvement de protestation, dont le fer de lance a été la presse publique, et plus précisément l’audiovisuel (radio et télévision), avait donné des sueurs froides au gouvernement.
L’essentiel de l’appareil idéologique de l’Etat risquait la paralysie. Des sit-in et des arrêts de travail sont observés. Ainsi, le rassemblement des journalistes du quotidien El Moudjahid devait finalement aboutir au renvoi de son directeur. Les événements s’accélérèrent et les journalistes algériens semblaient emboîter le pas à leurs confrères du Maroc voisin, où un mouvement de contestation analogue s’était déclaré. Tout compte fait, l’échec de l’«initiative nationale pour la dignité de la presse» découle de la croyance naïve qu’elle pouvait abattre un travail syndical qui aurait nécessité des années de travail au sein d’une formation syndicale aguerrie.
Son inscription dans le conjoncturel pouvait être plus productive si les demandes qu’elle avait formulées se limitaient à un ou deux points. Le terrain était assez miné pour espérer des résultats probants. Cela dit, la faiblesse de la mobilisation et de la syndicalisation dans le secteur de la presse est due, à notre sens, à plusieurs facteurs. On peut citer, entres autres :
1- La superposition sur le statut professionnel d’un code pénal assigne d’emblée les journalistes à proximité du commissariat de police et des tribunaux. La mobilisation y ramène donc plus de policiers que de militants syndicaux. La naissance d’une Fédération UGTA, en mai 2009, fut du reste célébrée dans le sillage d’une offre de logements.
2- Le package juridique qui régit le secteur est fourni d’une manière incomplète, ce qui amène le juge au moment où il doit prononcer son verdict, à se référer à des lois plus générales, moins précises, qui sont le plus souvent défavorables au journaliste.
3- La prolifération dans le secteur privé d’entreprises fragiles (que ce soit sur le plan financier que managérial) dont les journalistes sont conscients. Mis à part les poids lourds de l’Etat et les titres connus et reconnus de la presse privée, les autres relèvent de la protopresse. Les grèves et les protestations, visant à la démocratisation de l’ordre social, ne sont possibles au niveau du secteur privé que dans les entreprises de grande taille (ArcelorMittal Annaba, Cevital).
4- La contractualisation du journalisme qui renforce la précarité.
5- La professionnalisation de la presse, les nouvelles recrues issues de l’Ecole de journalisme sont de plus en plus nombreuses même si beaucoup n’ont pas de qualification sérieuse ou ont une formation insuffisante. Cependant, certains grands titres leur offrent des stages périodiques qui accélèrent leur insertion. Mais, comme partout ailleurs dans le monde, ces nouveaux arrivés sont moins engagés politiquement. Cette tendance à la professionnalisation est réfrénée cependant par un mouvement contraire, celui de la lumpen prolétarisation que favorisent les titres fragiles, qui auraient tout fait pour faire du journalisme sans journalistes. Leurs portes sont ouvertes à tout-venant, ce qui permet de récupérer de jeunes gens dont le niveau d’études est proche de celui du vendeur ambulant de cacahouètes.
Conclusion
Le mouvement de protestation dont la presse fut le théâtre pendant les derniers mois de 2011 a profité finalement au secteur public, quand bien même le secteur privé en est partie prenante. C’est le résultat d’un rapport de force sur le terrain. On estime à présent que la presse publique a un degré de nuisance plus grand que son homologue du privé. Cela soulève la question de la performance (de plus d’une soixantaine ?) de quotidiens qui évoluent sous le chapiteau «privé» et qui sont royalement déconnectés du «marché des idées». Mis à part le segment performant et productif de cette presse représentée par les titres prestigieux, la grande masse est constituée de titres aussi fragiles que vacillants. Les entreprises qui les éditent sont-elles éligibles à la mise à niveau, à l’instar de celles qui activent dans le secteur économique ? Car il ne s’agit pas de régler un problème en créant un autre. Ces entreprises font vivre des familles. Dans quelle mesure ces journaux qui absorbent une partie de la manne publicitaire de l’Etat ont-ils opposé leur veto pour empêcher l’harmonisation de la grille des salaires ? Car, enfin, les journalistes les moins bien payés du secteur privé sont à peu près ceux qui sont employés dans les titres les plus gracieusement renfloués par l’Anep, l’agence étatique de publicité.
Larbi Graïne : journaliste, auteur de Algérie, naufrage de la Fonction publique et défi syndical. L’Harmattan, 2010.
Restrictions et contrôle de la société civile
l’ONU critique le recul de la liberté d’association en Algérie
le 05.05.12 | 10h00
Décriée déjà en Algérie, la nouvelle loi sur les associations vient d’être remise en cause par les Nations unies.
Le rapporteur spécial de l’ONU sur les libertés de réunion pacifique et d’association, Maina Kiai, relève un certain nombre de dispositions contenues dans ce texte, qui n’encourage pas l’émergence d’un mouvement associatif fort en Algérie. «Les prochaines élections législatives doivent permettre de répondre aux demandes légitimes de la société civile dans le domaine de la liberté d’association», affirme l’expert onusien dans un communiqué rendu public hier à Genève (Suisse). Il exhorte, dans ce sens, les autorités algériennes à revoir lesdites dispositions pour les mettre «en adéquation avec les exigences du droit international des droits de l’homme».
Maina Kiai déplore également le recul enregistré par l’Algérie dans ce domaine. «Alors que le Printemps arabe invite à un élargissement de la place octroyée à la société civile, il est tout à fait regrettable que l’Algérie se singularise par un retour en arrière dans le domaine de la liberté d’association, en limitant plus rigoureusement le périmètre d’action ou l’accès au financement des associations», insiste-t-il dans son communiqué. Il ne cache pas non plus ses préoccupations à l’égard de nombreuses dispositions de cette loi qui, selon lui, impose de nouveaux contrôles et restrictions quant à la création des associations ainsi que sur leur accès au financement. Le rapporteur spécial critique d’emblée la possibilité offerte par ce texte à l’administration «de rejeter des demandes de création des associations sans recours à la justice».
«La formation de toute association est désormais soumise à l’accord préalable des autorités, qui peuvent à présent refuser une demande d’enregistrement sans avoir besoin de recourir à un juge, tel que cela était le cas auparavant. Cette situation constitue un recul important par rapport à la loi 90-31 (1990) qui était en vigueur jusque-là», dit-il, en rappelant que cette nouvelle loi prévoit une peine d’emprisonnement et une lourde amende pour quiconque opère au nom d’une association non encore enregistrée ou agréée, suspendue ou dissoute.
Le rédacteur de ce document remet également en cause l’article fixant les objectifs et les buts des associations qui «ne devront pas être contraires aux constantes et aux valeurs nationales et que toute ingérence dans les affaires internes du pays entraînera la suspension ou la dissolution de l’association concernée». «Ces dispositions sont particulièrement vagues et sujettes à des interprétations abusives. Elles portent un coup grave à la jouissance du droit à la liberté d’association», met-il en garde.
Maina Kiai sollicite une invitation officielle d’Alger
Le rapporteur de l’ONU précise également que les associations constituent un moyen de première importance permettant à la population d’exprimer ses aspirations. «Elles doivent pouvoir, et en ont même la responsabilité morale, de s’intéresser à la vie politique intérieure de leur propre pays», souligne-t-il.
L’autre point critiqué est l’accès des associations au financement étranger. «Les associations algériennes seront privées de recevoir des fonds de toutes légations diplomatiques ou organisations non gouvernementales étrangères, en dehors des relations de coopération dûment établies. Il est à craindre que de telles dispositions soient utilisées pour entraver le travail des associations, notamment celles de défense des droits de l’homme», soutient-il, précisant que «l’accès au financement ne devrait pas être strictement restreint».
Ce faisant, Maina Kiai invite le gouvernement et les partis engagés dans la course à l’APN à œuvrer pour la révision de ce texte. Dans la foulée, il indique avoir sollicité une invitation officielle pour conduire une visite en Algérie : «Je compte sur une réponse positive à cette demande. Je me tiens dès à présent à l’entière disposition des autorités algériennes pour toute coopération technique dont elles auraient besoin pour s’assurer que la loi sur les associations et son application soient conformes aux standards du droit international.»
Madjid Makedhi
Les médias sociaux en débat Les blogs, un flux à réglementer
le 05.05.12 | 10h00
«La liberté de la presse, un vecteur de transformation des sociétés : les nouvelles voix, les jeunes et les médias sociaux»
est le premier thème abordé, hier, lors de la conférence sur la Journée mondiale de la liberté de la presse organisée par l’Unesco à Tunis.
Tunis (Tunisie)
De notre envoyée spéciale
Les experts et les professionnels du secteur présents ont, à l’unanimité, mis en avant le rôle que jouent les médias sociaux ces dernières années dans la création des événements. Toutefois, il semble important de réglementer cette activité de manière à ne pas tomber dans la propagande.Meed Ahmad, chef des nouveaux médias à la chaîne Al Jazeera, a souligné la nécessité de vérifier l’authenticité des produits médiatiques, notamment les images et les vidéos diffusées par des internautes. En effet, durant les révolutions des pays arabes, un flux d’informations d’origine peu connue ont été diffusées et ont largement influencé l’opinion publique.
Si bon nombre de ces contenus médiatiques sont véridiques, c’est loin d’être le cas de tout le reste. Désormais, les logiciels, des outils technologiques en constante évolution, permettent des montages et des modifications que seul un érudit peut détecter. La chaîne qatarie El Jazeera compte aller vers l’adoption de certains mécanismes permettant de vérifier les sources et la véracité des informations produites par les animateurs de blogs et les intervenants sur les réseaux sociaux. Cette chaîne, qui a connu des pics d’audience durant ces révolutions, a beaucoup repris de vidéos et photos faites par des personnes qui ne sont pas des journalistes. Quelque 7000 vidéos ont été reçues par la chaîne depuis 2010, selon Meed Ahmad. «Ce sont les vidéos en provenance de Libye qui nous ont le plus posé problème quant à leur authenticité», reconnaît-il.
Soutenant cette idée, la blogueuse tunisienne, Lina Ben Henni, affirme que certains blogueurs servent de manipulateurs et sont payés pour propager certaines idées. «Je connais des blogueurs qui sont payés par des partis politiques pour faire de la propagande», dit-elle. Lina Ben Henni estime qu’il est aujourd’hui nécessaire d’instaurer un cadre juridique définissant à la fois les devoirs et les droits des blogueurs qui semblent compléter la presse traditionnelle. En effet, au début de la révolution tunisienne par exemple, la principale source d’information sur ce qui se passait en Tunisie provenait de ces blogs et des partages faits sur les réseaux sociaux, facebook et Tweeter.
Dans son intervention, Omar Belhouchet, directeur de publication du journal El Watan a relevé qu’en plus du monopole que l’Etat garde sur les médias lourds, il y a aussi un contrôle de l’internet. «Le pouvoir a mis en place une brigade de censure des réseaux sociaux. Il y a l’autoritarisme qui ne veut pas lâcher», a-t-il affirmé. Selon lui, le pouvoir algérien, qui éprouve une peur à cause des révoltes dans les pays arabes, a limité la marge de liberté des médias et de la société civile et politique : «Les événements dans le Monde arabe et la victoire des islamistes ont fait que les autorités, s’appuyant sur la peur, sont revenus à la case départ.»
Et d’enchaîner : «La nouvelle loi sur l’information est en régression par rapport à l’ancienne. Il y a eu un alourdissement des peines, entre autres l’interdiction de certaines investigations économiques et politiques. Les conditions, du point de vue politique, ne se sont pas du tout améliorées.»
Mina Adel