Actualités : CRISE EN LIBYE
L’étonnante attitude algérienne
Les événements s’accélèrent en Libye. La diplomatie algérienne maintient sa posture attentiste. Depuis le début du conflit en Libye, l’Algérie a brillé par son assourdissant silence puis par des déclarations des plus ambiguës.
Nawal Imès - Alger (Le Soir) - La Libye négocie un virage déterminant engageant son avenir et probablement celui de toute la région. Ses voisins immédiats réagissent de manière fort différente. La Tunisie a, dès dimanche, reconnu le CNT comme seul représentant du peuple libyen. L’Algérie maintient sa position intacte : pas de commentaires ni encore moins de position officielle et lisible. Le flou artistique entretenu sciemment par l’Algérie a intrigué ses partenaires au plan régional. Mourad Medelci, après des semaines de silence, a fini par expliquer l’absence de réaction officielle algérienne par «la tradition algérienne » qui est de «respecter ce qui se passe dans les pays tiers, même nos voisins ». L’Algérie, invitée de force au débat, s’est cependant retrouvée dans l’obligation de répliquer aux accusations des membres du Conseil national de transition. Ce dernier accusait à plusieurs reprises l’Algérie d’avoir envoyé des mercenaires algériens soutenir le régime libyen. C’est via un communiqué que le ministère des Affaires étrangères a répliqué. «Le ministère des Affaires étrangères dément, de la manière la plus catégorique, les allégations mensongères colportées par certains sites électroniques ainsi que par certaines chaînes de télévision satellitaires sur une prétendue utilisation d’avions militaires algériens pour transporter des mercenaires en Libye. Ces allégations insidieuses vont à l’encontre de la position doctrinale, bien connue, de l’Algérie qui récuse, de manière absolue, l’ingérence dans les affaires intérieures des Etats», soulignait le ministère. Depuis, c’est le silence radio. C’est à peine si le ministre des Affaires étrangères, pressé par des questions de journalistes, a appelé «les deux parties au dialogue». Aujourd’hui que le dialogue est bel et bien rompu, que le processus de fin de vie du régime s’accélère, quelle attitude adoptera l’Algérie ? Wait and see…
N. I.
Le drapeau du CNT hissé sur l’ambassade d’Alger
Ambassade de Libye en Algérie. L’ancien drapeau de la monarchie du roi Idriss 1er, symbole de la révolution libyenne est brandi : l’ambassade libyenne a rallié le Conseil national de transition. L’étendard quadricolore a été hissé dans la nuit de dimanche à lundi, remplaçant ainsi le drapeau officiel libyen, nous affirment des employés de l’ambassade. En cette journée d’hier, hormis le dispositif de police «renforcé» mis en place aux abords de l’ambassade, la présence de quelques ressortissants libyens venus renouveler leurs passeports, et des journalistes en quête d’informations, un calme plat y règne. Les agents de sécurité postés à l’entrée sont inébranlables. Impossible d’accéder à l’enceinte de l’ambassade. Cela est valable pour les ressortissants libyens également. Aucun responsable n’est visiblement en poste y compris l’ambassadeur, d’après les agents d’accueil. «Je suis libyen. Je viens pour le retrait d’un extrait de naissance», s’adresse un homme à l’agent d’accueil. «Revenez demain, nous ne travaillons pas aujourd’hui» répond l’agent. L’homme repart bredouille en vociférant. L’agent sera plus ferme avec les journalistes : «Personne ne peut vous recevoir. Seul l’attaché culturel est habilité à le faire, mais il faut prendre rendez-vous ou revenir demain», nous signifie- t-il. Devant l’insistance des journalistes, il ajoutera «demain il pourra vous recevoir». Des photographes tentent de prendre des photos de l’ambassade avec le drapeau du CNT qui flotte au-dessus. En vain. Les policiers le leur interdisent et les prient de quitter les lieux. Joint par téléphone, l’ambassadeur de Libye en Algérie a refusé de se prononcer : «Désolé, je ne peux pas vous répondre.» Par ailleurs, selon une source bien informée, le consulat de Libye confirme avoir rejoint les rangs de la rébellion.
W. Z.
Le ministère des Affaires étrangères aux abonnés absents
Voulant connaître la position de l’Algérie suite aux derniers développements de la situation en Libye, nous avons tenté de joindre hier le porte-parole du ministère des Affaires étrangères, en vain. Nos différentes tentatives de joindre le responsable n’ont pas eu d’écho, en dépit de l’importance des événements qui se sont déroulés hier en Libye. Ceci d’autant que l’ambassade de Libye à Alger a remplacé hier le drapeau libyen par celui du CNT. Joint par téléphone, le chargé de la communication de ce département n’a pu que nous renvoyer vers le porte-parole du ministère, le seul habilité à faire des déclarations, mais qui, selon lui, demeurait injoignable. Le ministère des Affaires étrangères n’a réagi hier qu’à l’incident enregistré au niveau de l’ambassade d’Algérie à Tripoli qui a fait l’objet d’une série de violations dans la nuit de dimanche à lundi. Le porte-parole du ministère, M. Belani cité par l’APS, a déclaré que Mourad Medelci a adressé une correspondance «urgente» au secrétaire général des Nations unies pour attirer son attention sur «la violation de l’enceinte diplomatique algérienne. Mourad Medelci a aussi demandé à ce que soit assurée la protection des diplomates et des locaux de la mission algérienne ainsi que ses biens, conformément aux règles du droit international». Selon le porte-parole, le ministère était en contact «permanent » avec les représentants diplomatiques algériens à Tripoli pour s'assurer de leur sécurité.
R. N.
CHUTE DU RÉGIME D’EL KADHAFI
La rue algéroise inquiète
La situation en Libye inquiète les Algériens. La chute du régime d’El Kadhafi implique la construction d’un Etat, un défi pour la nouvelle Libye. La plupart des citoyens interrogés dans la rue ne cachent pas leur angoisse quant à la suite des évènements et à l’après-Kadhafi.
AHMED, 40 ANS, FONCTIONNAIRE :
«C’est bien mais que se passera-t-il après ?»
«Ce qui se passe en Libye est une conséquence logique de la nature du régime libyen, une dictature. C’est le cas également dans la plupart des pays arabes. Les mêmes ingrédients mènent aux mêmes résultats. La chute du régime était inévitable puisqu’il est dépassé par le temps. Le principe du changement est bien mais je pense que les Libyens ne sont pas encore mûrs pour échapper à toute manipulation des grandes puissances et s’impliquer dans l’édification d’un Etat solide. D’abord, leur révolution ne brandit aucune plateforme idéologique. Le souci des Libyens a été de dégager le régime sans proposer d’alternative et s’engager dans l’édification d’un Etat. Un Etat n’est pas seulement quelque chose de physique mais c’est aussi des principes et une philosophie. A titre d’exemple, la révolution américaine a été déclenchée quand la Grande- Bretagne avait augmenté les taxes. C’était le départ d’une véritable révolution qui a donné naissance à l’Etat américain, un Etat fort. C’est la philosophie mise en place par les 55 signataires de la Déclaration d'indépendance.»
OMAR, 47 ANS, MÉDECIN :
«Des changements importants dans la région»
«La fin du régime libyen est annonciatrice de changements importants dans les régions du Maghreb, cependant, je ne peux prédire s’ils seront positifs ou négatifs. Il est difficile de se prononcer car la situation n’est pas claire. C’est le chaos. En Egypte et en Tunisie, les soulèvements étaient populaires, les gens réclamaient le départ des deux dictateurs. En Libye, le mouvement est armé et l’on ignore la nature des rebelles qui n’auraient pu avancer sans l’aide de l’Otan, de la France, des Américains et des monarchies arabes. Bien sûr, ce soutien n’est guère gratuit. Ce sont des enjeux géostratégiques. Tout cela n’est pas bon pour l’Algérie. La menace qui pèse sur nos frontières est plus lourde. Al Qaïda au Maghreb islamique dans le Sud, le Maroc de l’autre côté et désormais la menace de la Libye, les insurgés avec le déferlement des armes. Le régime est tombé, maintenant il faut construire un Etat.»
ABDELKADER, 45 ANS, ENSEIGNANT :
«Nos frontières sont triplement menacées»
«Dimanche, j’ai dormi vers 4h du matin, je suivais à la télévision en direct l’évolution de la situation et l’entrée des insurgés à Tripoli. El Kadhafi s’est rendu, il donnait une interview à El Jazeera dans sa maison quand il avait été surpris par les rebelles. Il avait entendu les tirs de balles dans sa demeure, il avait eu très peur, les images avaient été ensuite coupées. Un quart d’heure plus tard, le président du Conseil national de transition a annoncé aux médias que Kadhafi a été capturé et qu’il a refusé de quitter Benghazi. On voulait probablement le tuer. Cette nouvelle situation me fait peur. Notre pays est en danger. La colonisation est à nos frontières, c’est notre voisin. Le changement tunisien est peu clair, le terrorisme frappe dans le Sud et nous avons des problèmes avec le Maroc sur le Sahara occidental. A cela s’ajoute désormais la situation en Libye. Notre régime n’est pas fort, nous allons vers une impasse.»
MANEL, 24 ANS, ÉTUDIANTE EN SCIENCES ÉCONOMIQUES ET COMMERCIALES :
«Qui remplacera Kadhafi ?»
«Je suis les infos de temps à autre sur Internet. Oui je sais que Kadhafi est tombé et qu’il négocie son exil. La chute du régime est bien pour la population qui vient de se débarrasser d’un dictateur. C’est un bon signe. El Kadhafi a tué, a volé et est impliqué avec ses enfants dans des affaires de corruption. Il a eu même des relations louches avec certains pays européens. C’est un président qui n’a jamais privilégié les intérêts de son pays, de son peuple. Qui le remplacera ? C’est la grande question. La Libye est un pays riche, ses ressources doivent être protégées et on ne devrait pas livrer un tel pays comme ça, à n’importe qui.»
Propos recueillis par Irane Belkhedim
La classe politique réagit
KASSA AÏSSA, CHARGÉ DE LA COMMUNICATION DU FRONT DE LIBÉRATION NATIONALE (FLN) :
«Nous attendons les déclarations des AE»
Le FLN s’abstient de se prononcer sur l’évolution de la situation en Libye. Son chargé de communication affirme que son parti attend la déclaration du ministère des Affaires étrangères. «Nous suivons la situation. Dès que nous aurons des éléments d’information, nous nous prononcerons», a-t-il indiqué.
SEDDIK CHIHAB, MEMBRE DU BUREAU NATIONAL DU RASSEMBLEMENT NATIONAL DÉMOCRATIQUE (RND) :
«Nous respectons la volonté populaire des Libyens»
Qualifiant la situation de «préoccupante», Seddik Chihab a affirmé que la position du RND est celle du gouvernement. «Nous respectons la volonté populaire des Libyens. C’est un peuple qui a été à nos côtés durant la guerre de Libération nationale, avec lequel nous avons des relations et des interactions», a-t-il soutenu. Certes, poursuit-il, «Mouammar Kadhafi a toujours été un voisin pas très commode mais nous arrivions à chaque fois à trouver une issue et à garder un climat serein et un bon voisinage». Il rappelle que dès son installation, le CNT a démontré une certaine «animosité» envers l’Algérie. Toutefois, «nous restons sereins concernant l’avenir. La volonté du peuple libyen sera respectée et l’Algérie s’attellera à œuvrer pour maintenir ses relations de fraternité et de bon voisinage».
MOHAMED DJEMAA, PORTE-PAROLE DU MOUVEMENT DE LA SOCIÉTÉ POUR LA PAIX (MSP) :
«C’est un aboutissement logique de toute dictature»
Le MSP salue la «victoire» des rebelles libyens avant de souligner que la présence étrangère n’a plus sa raison d’être. «Nous respectons la volonté du peuple libyen et nous considérons ce dénouement comme inévitable», dira le porte-parole du MSP. Il émet, toutefois, le souhait de voir les Libyens dépasser cette conjoncture et s’inscrire dans un Etat de droit et de démocratie. «Il faut l’avènement d’une authentique démocratie et surtout ne pas verser dans la vengeance ou la guerre civile.» Qualifiant la situation d’«aboutissement logique de toute dictature», il explique que le régime de Kadhafi a monopolisé le pouvoir ainsi que les richesses du pays tout en privant les citoyens de leurs droits élémentaires.
Propos recueillis par Rym Nasri
APRÈS L’ENTRÉE DES REBELLES À TRIPOLI
La LADDH salue la «victoire» du peuple libyen
La Ligue algérienne pour la défense des droits de l’homme (LADDH) salue la victoire de la «révolution de la liberté et de la dignité» du peuple libyen. La LADDH, dans un communiqué rendu public hier, «espère voir les Libyens construire un Etat démocratique, un Etat souverain, un Etat de droit où le citoyen et la dignité de l’homme seront le centre d’intérêt». Elle affirme sa disponibilité à collaborer et participer avec les organisations de la société civile libyenne dans la perspective d’œuvrer au renforcement et au développement des droits de l’homme dans la région maghrébine.
Rym N.